Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 2p. 18-22).

CHAPITRE VI

SEL ET SALPÊTRE


Baptiste examina longuement les agneaux morts.

Ou du moins une dizaine de carcasses.

— Je ne vois aucune marque de violence, dit-il.

Nap réfléchit.

Quelques instants.

À la fin il murmura :

— La mort par empoisonnement ne laisse jamais de traces externes.

— Ainsi, dit Verchères, vous croyez que les animaux ont été empoisonnés ?

— Oui.

— Mais avec quoi ?

— Attendez quelques instants, chef, je vais vérifier ma théorie et voir si elle correspond bien à la réalité.

Il s’éloigna.

Marchant lentement, la tête penchée vers la terre.

De temps en temps il ramassait quelque chose qu’il plaçait avec soin dans une blague vide.

Il y avait une vingtaine de minutes qu’il errait ainsi mystérieusement, quand il décida qu’il en avait assez et revint au chef.

Il lui dit :

— Je crois de plus en plus à la véracité de ma théorie. Il y a une raison bien simple d’en avoir le cœur net.

— Quoi donc ?

— J’ai appris aux USA bien des trucs. Regardez-moi faire…

Il sortit sa blague dans laquelle il y avait 25 ou 30 petits cristaux.

Puis il dévissa la coupe du goulot de la gourde qu’il portait en bandoulière.

Après avoir placé les étranges cristaux dans la coupe, il ajouta de l’eau.

Et brassa.

Brassa.

Jusqu’à ce que les cristaux se fussent dilués.

Il déchira alors une page de son calepin.

Fit des tracés sur le papier avec le liquide.

Les laissa sécher au soleil.

Alluma une cigarette.

Appliqua le tison de sa cigarette sur un des tracés.

Le feu rouge se mit à avancer sur le papier aux endroits où se trouvait l’ex-liquide.

Il dit alors au chef :

— L’expérience est faite. Je suis sûr, absolument sûr de ma théorie. Les agneaux ont bel et bien été empoisonnés.

— Mais comment le savez-vous ?

— C’est bien simple ; les agneaux adorent le sel. « Or le sel est inoffensif.

« Mais ma petite expérience a démontré que ces cristaux n’étaient pas du sel… »

— Qu’est-ce qu’ils étaient alors ?

— Du salpêtre.

— Hein ?

— Oui, et le salpêtre est du poison vif pour les moutons…

Le chef avait compris :

— Ah, ah, fit-il, ainsi les animaux en question aiment le sel et comme le salpêtre a le même goût que le sel…

— Ils ont été tués délibérément.

— Mais pourquoi ?

Le chef observa :

— Cherchons le gas qui a intérêt à ruiner Charmaine Boyer, c’est lui le seul coupable.

À ce moment ils virent deux hommes à cheval, qui venaient vers eux.

C’étaient Battling Renaud et Vic Troyat.

Baptiste sortit un de ses colts et le braqua sur Troyat :

— Ainsi tu t’es évadé, hein ?

Troyat ricana :

— Je me serais évadé pour venir me jeter entre vos jambes ? Me prenez-vous pour un imbécile ?

Évidemment.

Le bandit avait raison.

Renaud expliqua :

— Tout s’est passé légalement ; Vic a comparu devant un juge de paix qui l’a mis en liberté provisoire.

Nap demanda :

— Pourquoi avez-vous pris la peine de vous rendre jusqu’ici ?

Battling dit d’une voix rude :

— J’ai un message pour toi.

— Ah, ah…, un message ?

— Oui.

— À quel propos ?

— Charmaine m’a rétabli dans mon ancienne position ; tu es dégommé, Ravelle, comme contremaître, et remplacé par Vic…

Baptiste s’écria :

— C’est faux !

Nap, lui, insulta :

— Menteur !

— On verra bien…

— Chourre, fit Verchères, on verra bien.

Se tournant vers Ravelle il ajouta :

— Viens…

Quand ils furent hors de portée de voix, Nap demanda :

— Qu’y a-t-il ?

— Il y a que vous allez vous rendre immédiatement chez Charmaine et lui expliquer la situation.

— MOI ?

— Oui, vous.

Le chef pitcha un clin d’œil à son compagnon :

— J’irai vous rejoindre plus tard. Allez…

Le chef de police rassembla son posse :

— Nous bivouaquons ici cette nuit, les amis. Ayez l’œil et l’oreille au grain.

Quelques minutes plus tard, il entendit au centre d’un groupe de cow-boys du ranch AB*10,000, la voix de Battling qui ordonnait :

— Ravelle vient de partir à sa courte honte. Le nouveau contremaître est Vic Troyat ici présent. Obéissez-lui comme à la grande bossesse…

Troyat dit :

— Le premier travail à faire, c’est de détruire les agneaux morts.

— Comment ?

— Par le feu.

— Quand ?

— Immédiatement.

Mais quand ils arrivèrent au charnier naturel, ils eurent la surprise de leur vie.

Calme et froid, les colts aux mains, Baptiste se tenait debout, menaçant :

— Le premier qui allume une allumette est un homme mort, annonça-t-il.

Il ajouta :

— Cow-boys, on veut vous circonvenir, vous tromper. Certain individu a intérêt à faire disparaître ces agneaux sans lesquels il serait impossible de punir le gas qui a empoisonné les bêtes…

Il ordonna à 3 membres du posse de se reléguer comme sentinelles au cours de la nuit qui s’en venait.

Malheureusement un des vigilants s’endormit sur son quart.

Quand il s’éveilla les agneaux flambaient.

On éveilla Baptiste qui, voyant l’incendie, se pinça les lèvres.

Fit venir les cow-boys.

Et leur dit, braquant ses colts sur eux :

— Au nom de la loi, je vous désarme.

Silencieusement les membres du posse encerclèrent les cow-boys.

— Allons, bas les armes ; jetez vos colts et vos carabines sur le sol.

Ils obéirent.

— Posse, maintenant faites votre devoir.

Ils fouillèrent les cow-boys.

Sans résultats.

Mais quand deux possemen arrivèrent à Troyat et Renaud, ceux-ci produisirent chacun un colt et tirèrent.

Tirèrent sans viser.

Heureusement ils ne tuèrent ni ne blessèrent personne.

Seul le chapeau 10-gallons du chef fut transpercé d’une balle.

Les possemen eurent vite fait de maîtriser les 2 chenapans à qui Verchères déclara :

— Au nom de la loi je vous arrête…

— Pourquoi ? demanda Renaud en ricanant.

— Oui, pourquoi ? insista Troyat.

— Pour tentative de meurtre…

— Contre qui ?

— Contre ma personne…

Battling railla :

— Vous me paraissez en excellente santé pourtant, chef…

— Oui, mais pas mon chapeau !

Baptiste dit à quatre de ses hommes :

— Rendez-vous avec les prisonniers à Squeletteville et coffrez-les derrière les barreaux.

Le chef sauta sur sa monture.

— Où allez-vous ? lui demanda un posseman.

— Chez Charmaine. Attendez-moi et surveillez bien les cow-boys ; car il se peut qu’il y ait des traîtres de la race de Judas, parmi eux…

Giddap…

Giddap.

Le cheval du chef, portant son maître, partit au p’tit trot.

Verchères se mit à chantonner :

« Rendez-moi ma patrie
Ou laissez-moi mourir. »