Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 2p. 13-17).

CHAPITRE V

LE RANCH AB*10,000


C’était le lendemain.

Il faisait encore noir quand la petite troupe composée des cow-boys du ranch et du posse s’ébranla en direction du nordet.

Baptiste demanda à un cow-boy :

— Où est le gros du troupeau ?

— Dans le corral du trécarré, assemblés là pour la tonte semi-annuelle de la laine.

À son tour Ravelle questionna :

— Combien y a-t-il de moutons ?

— Oh, une dizaine de mille.

— Et d’agneaux du printemps ?

— 5,000 peut-être.

— Fiou ! fit Nap, « SOME » ranch !

Il reprit :

— Mais sommes-nous loin du corral à tondaison ?

— Non, nous serons là dans 15 ou 20 minutes.

Le corral en question se dissimulait derrière une ondulation de la plaine.

Comme ils y arrivaient Baptiste appela :

— Eh, cow-boy-berger !

N’obtenant pas de réponse, il entra dans le corral avec Ravelle.

Celui-ci dit :

— Regardez.

Une couple de douzaines de moutons tournaient en rond.

Incessamment…

Les deux hommes hâtèrent le pas.

Ce tournoiement constant des bêtes ne pouvait signifier qu’une chose.

Une seule.

Une chose lugubre.

Ils pénétrèrent dans le cercle.

En effet le cadavre du cow-boy-berger reposait là.

Il était mort, littéralement saigné, d’une balle au ventre.

Baptiste connaissait l’homme.

Il était doux.

Comme les moutons dont il était le pasteur.

De service.

Souriant.

Il n’avait rien à lui.

Le chef de police remarqua :

— Le pauv’ gas, il n’avait aucun ennemi. Au contraire…

— Alors, dit Nap, ce n’est pas à cause de lui qu’on l’a tué…

— Évidemment non. Il est mort victime de son devoir cow-boy-pasteur.

Ravelle ordonna à ses hommes :

— Comptez les agneaux qui sont avec leurs mères dans le corral.

Comme les cow-boys commençaient à s’affairer, Baptiste dit :

— Résumons la cause, voulez-vous ? Peut-être le seul fait de l’étaler devant nous jettera-t-il un peu de lumière…

— Peut-être bien.

— Alcide Boyer est tué.

— D’une balle, puis d’une ruade de cheval.

— Ce qui prouve que l’assassin est malhabile.

— Ah…

— Oui, car il aurait dû comprendre que la présence de la balle démontrait hors de tout doute que la ruade était un féque…

Baptiste dit :

— Oui, et c’est pourquoi il a mis le feu au cadavre. C’est aussi la raison pour laquelle il ne sera jamais condamné pour ce crime.

— Hein ?

— Oui, pas de corpus delicti, pas de pendaison.

— Mais nous l’avons le corpus delicti

— Vous oubliez quelque chose, Nap. C’est que ce cadavre n’est plus qu’un squelette, un amoncellement d’os…

— Et puis après… ?

— Pourriez-vous jurer, après avoir contemplé les ossements, que ce sont là les restes mortels d’Alcide Boyer ?

Nap comprit :

— Vous avez raison, chef.

Celui-ci reprit :

— Je ne sais si vous pensez comme moi…

— À quel sujet ?

— Au sujet de l’identité de l’assassin.

— Battling Renaud.

— En effet ce ne peut être un autre que lui.

— Mais pourquoi aurait-il tué son ami ?

— C’est justement ça qu’il me faut découvrir. Après, le brin de paille qui était pris dans une de ses bottes le fera bien pendre.

Ravelle sourit :

— Vous oubliez, chef, que vous n’avez pas de corpus delicti.

— Et vous ?

— Et moi quoi ?

— Vous oubliez que nous avons un second cadavre bien identifiable…

— C’est vrai, le cow-boy-berger.

Baptiste dit :

— Et ce cadavre ne sera pas brûlé ou bien je change de nom.

Un cow-boy cria :

— Fini le comptage, boss.

Ravelle demanda :

— Combien ?

— 3002 agneaux.

Nap fit un calcul mental…

Et arriva à la conclusion qu’il y avait crime.

En effet, 10,000 moutons sont supposés reproduire la moitié du troupeau au petit moins.

La moitié faisait 5,000.

Il manquait donc 2,000 agneaux au bas mot.

Où étaient-ils ?

Ravelle leva les yeux au ciel.

Dans le firmament il vit au loin des oiseaux de proie qui planaient en rond, descendant presque au ras du sol, pour remonter tout de suite dans les airs.

Le nouveau contremaître dit :

— Les 2,000 moutons manquant à l’appel sont là-bas…

Baptiste ajouta :

— Oui, et les oiseaux de proie démontrent qu’il y a de la mort.

Ils partirent seuls.

À leur arrivée, ils constatèrent que les agneaux étaient défunts.

Ils constatèrent aussi autre chose.

La présence d’un homme.

Il était à dépouiller les bêtes mortes, de leurs toisons.

Baptiste lui dit :

— Eh, Tim ?

Tim tressauta.

Il n’avait pas remarqué l’approche des deux vigilants.

Nap demanda :

— Qui est ce gas ?

— Bocherall, un vaurien, un chenapan qui a été assez habile pour ne pas se faire pincer pour ses délits.

Ravelle se rendit auprès de Bocherall et lui demanda :

— Qui vous a autorisé à prendre ces peaux d’agneau ?

— Renaud !

— Que deviez-vous en faire ?

— Battling me les a tout simplement données.

— Ah, ah, eh bien, je vous les retire, moi.

— Pourquoi ?

À ce moment les regards des deux hommes se rencontrèrent.

S’entremêlèrent.

Ce fut Bocherall qui capitula.

Nap railla :

— Pourquoi ? Vous voulez le savoir, voici : C’est que je suis le contremaître de cet « outfit », indépendant de Renaud qui n’a plus aucune autorité dans la plaine de Charmaine Boyer.

— Mais il me les a données ces peaux.

— Eh bien, mettons que je les dédonne, moi !

Baptiste intervint :

— Tim, dit-il, tu es dans les patates et tu le sais fort bien. En effet, seuls les propriétaires de ranches ont le pouvoir de donner ou de vendre ce qui, en exclusivité, leur appartient. Laisse les toisons ici et déguerpis.

— Minute, fit Ravelle.

Il s’approcha du cheval de Bocherall.

Y lut la marque AB et dit :

— Le cheval reste ici. Tu pars à pied.

— Mais cette monture m’appartient.

— Tu mens.

— Non…

— La marque AB sur le cheval te dément.

— J’ai acheté cet animal.

— De qui ?

— De Battling Ren…

— Encore !

Baptiste intervint de nouveau :

— D’abord, dit-il, Renaud n’avait pas droit de te vendre la bête ; je te renvoie à ce que je t’ai dit tout à l’heure… Et puis, si c’est vrai que tu as bel et bien acheté l’animal, montre-moi ton reçu…

L’homme ne produisit pas de facture acquittée.

— Ainsi tu n’as pas le papier ?

— On ne m’en a pas donné.

— Alors sacre le camp.

Nap accentua :

— Ouste, ramasse tes guenilles.

Comme il prenait sa carabine, Baptiste lui dit :

— Montre.

Le chef sentit le bout du canon de l’arme.

— Ça sent la poudre, et ça signifie que cette carabine a tiré au moins un coup au cours des dernières 24 heures…

Il reprit :

— Je saisis cette carabine, et maintenant pousse-toi…

Cette fois le chenapan ne se fit pas prier.

Non, non.

Il s’empara de son baluchon et partit à pied, cependant que les 2 hommes lui souhaitaient un bon voyage ironique.