Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 2p. 3-6).

CHAPITRE II

NAP. RAVELLE


Un jeune cow-boy étranger quitta la plaine pour prendre la seule rue de Squeletteville.

Le jeune homme se murmura à lui-même :

— Auras-tu une chance ici, Napoléon Ravelle ? Tu as dû quitter Winnipeg à la hâte, la police vendue étant à tes trousses parce que tu avais tué un tricheur professionnel, alors que tu étais en état de légitime défense pourtant… Écoute, Nap. : Tu as $150 et un cheval pour tout partage ; il est temps que tu te places si tu ne veux pas finir par crever de faim.

Crever de faim ?

Il vit la saloune :

— Il ne faudrait pas non plus crever de soif, mon vieux.

Il attacha sa monture au piquet hospitalier.

Et entra dans la saloune.

Il n’y avait que quelques cow-boys d’assis.

Debout au bar Vic Troyat ingurgitait verre après verres.

Et commençait déjà à être gris.

Ravelle s’approcha du bar et dit au waiter derrière :

— Un ouisqui double et stréte.

Troyat regarda le nouveau venu :

— Tiens, tiens, dit-il, un étrange…

Nap. poussa un gros soupir.

Il dit inexplicablement :

— Mon grand-père était un merveilleux cow-boy ; il est mort à l’âge avancé de 88 ans. Savez-vous pourquoi il a atteint cet âge patriarcal ?

— Non.

— Parce qu’il s’est toujours mêlé de ses affaires.

Les yeux de Troyat devinrent menaçants.

Mais la menace disparut vite de son regard pour être remplacée par la ruse.

Il éclata d’un rire qui sonnait faux.

Et dit :

— Il est un usage de l’Ouest qui veut que l’étranger ne puisse refuser une enchère unique au bluff…

Ravel l’interrompit :

— … avec enjeu tout l’argent que cet étranger a dans ses poches, oui, je sais. Allons.

Troyat dit :

— Ainsi vous acceptez ?

— Certainement.

Comme les deux hommes s’attablaient, Baptiste Verchères entra.

D’un rapide coup d’œil il mesura la situation.

Chose curieuse il ne se plaça pas derrière Ravelle.

Non.

Il s’immobilisa derrière Troyat.

Celui-ci brassa les cartes.

Parmi les 5 que reçut l’étranger il y avait 3 dix.

Bientôt Baptiste vit 3 valets dans les mains du brasseur.

Troyat reprit les cartes et demanda à son adversaire :

— Combien ?

— Deux.

La première carte était le 3 de cœur.

Et…

OH !

La seconde était le quatrième dix, le 10 de carreau.

Troyat dit :

— J’en prends deux moi aussi.

Comme il se saisissait du paquet, Baptiste, en un mouvement rapide comme l’éclair, immobilisa la main tenant les cartes et dit :

— Mes amis, approchez-vous, venez voir…

Les clients de la saloune entourèrent la table.

Verchères demanda à l’un d’eux :

— Tourne les 3 cartes qu’a gardées Troyat.

Les 3 valets apparurent.

— Maintenant, messieurs, regardez le paquet de cartes et la main de Troyat que j’immobilise. Voyez, son pouce est en train de tirer le 4e valet en dessous du paquet.

Puis Baptiste demanda à Nap :

— Quel jeu aviez-vous, étranger ?

— 4 dix.

Il libéra la main du tricheur.

Troyat la porta à son pistolet.

Mais il n’eut pas le temps de le dégainer de sa ceinture.

Les deux colts du chef de police étaient déjà dans ses mains, prêts à cracher leur mitraille.

Baptiste appela un waiter :

— Désarme le tricheur, dit-il.

Quand ce fut fait, Nap posa tranquillement ses deux armes à feu sur la table et sourit moqueusement :

— On a parlé il y a quelques minutes d’un usage de l’ouest canadien ; eh bien, il y en a un autre dont je me réclame ; c’est que la victime de tricherie a le droit de châtier de ses mains et de ses pieds le tricheur. Chef, avec votre permission, Napoléon Ravelle, de Winnipeg, et autres lieux, demande que cette coutume soit respectée.

Baptiste dit :

— Qu’elle le soit !

Les spectateurs s’écartèrent.

Les tables et les chaises furent poussées au loin.

Ce fut Troyat qui attaqua le premier.

Mais le direct qu’il destinait à la figure de Ravelle mourut dans le vide.

De nouveau il fonça.

Comme son poing était pour connecter, il se passa quelque chose d’extraordinaire.

Nap s’envoya la tête et le corps en arrière.

Puis son pied explosa en pleine figure de Troyat qui tomba.

Mais pour se relever aussitôt, la figure ensanglantée et la rage, la vengeance au cœur.

Ravelle s’écria :

— Ça, c’est de la savate, saligaud.

Troyat tituba vers son adversaire.

Celui-ci l’envoya au plancher d’un direct à la mâchoire.

Comme il se relevait en tricolant davantage Nap dit :

— Tiens, tiens, ouvrez la porte, les gas. Ce que j’ai commencé avec la savate, je vais le finir par le jiu-jitsu.

Quand la porte eut été ouverte, Nap s’empara du bras droit de Troyat.

Le tordit.

Le tordit.

À la fin le tricheur se mit à hurler sa douleur.

Alors Nap, en un mouvement brusque et puissant, fit passer Troyat par-dessus son épaule.

Le projectile humain partit comme un bolide, traversa le trou de la porte ouverte et alla s’écraser dans la rue.

Baptiste sortit.

Passa les menottes à l’homme toujours étendu.

Et dit :

— Vic Troyat, la tricherie aux cartes est une offense criminelle. Au nom de la loi je t’arrête.

Accompagné du posse réuni au dehors, il coffra le contremaître du ranch AB*10,000, dans la prison locale.