Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 2p. 7-10).

CHAPITRE III

LE POSSE


Sans y être invité, du consentement tacite de Baptiste, Nap Ravelle avait suivi le posse.

Les chevaux allaient nécessairement au petit pas à cause de l’état de la plaine.

Soudain le chef de police approcha sa monture de celle de Ravelle et lui demanda à brûle-pourpoint :

— Pourquoi êtes-vous venu ?

— Ben, vous savez, avec la réputation que vient de s’acquérir Troyat, il va sûrement perdre sa djobbe.

Le chef sourit :

— Et vous posez votre signature à sa succession ?

— C’est en plein ça.

— Avez-vous des références ?

— Les vôtres ne me suffisent-elles pas ?

— Évidemment oui, fit Verchères en éclatant de rire.

Il reprit :

— Connaissez-vous les moutons ?

— Oui, très bien. Mieux que vous pensez… J’ai acquis mon expérience dans les plus gros ranches du far-west américain.

— Très bien.

— Glisserez-vous un bon mot pour moi au propriétaire du ranch ?

— Oui, je ferai cela ; mais ce n’est plus d’UN mais d’UNE propriétaire qu’il s’agit.

— Ah…

Le chef expliqua avec une légèreté souriante :

— Charmaine Boyer est la plus jolie fille de la région. Belle, accorte, gentille, mais dangereuse quand on la fait fâcher…

Ravelle commenta :

— C’est une fille, je suppose, avec laquelle il faut marcher drette, comme on dit dans l’Ouest, hein ?

— Oui, elle est franche comme une balle.

Nap questionna :

— Y a-t-il d’autre monde qui compte dans la maisonnée ?

— Oui, un.

— Qui ?

— Battling Renaud, un ancien boxeur, qui un jour sauva la vie du père de Charmaine, Alcide Boyer, aloi’s qu’il allait se noyer.

— Alors feu monsieur Boyer lui manifesta sa reconnaissance ?

— Oui.

— Comment ?

— En le nommant gérant général du ranch.

— C’est tout ?

— Non.

— Quoi encore ?

— Le mort voulait que sa fille marie Renaud.

— Et Charmaine, que disait-elle de ça ?

— Elle remettait toujours sa décision à plus tard.

— Alors elle ne l’aime pas ?

— Ça m’en a tout l’air.

Le chef ajouta :

— Cependant, mon ami, n’allez pas croire que si vous avez des intentions matrimoniales à l’égard de Charmaine, le champ vous sera libre ; Renaud vous opposera une défense solide.

— Mais je ne connais même point la jeune fille…

— Aussi est-ce juste pour vous mettre sur vos gardes que je viens de vous dire ça.

Ils arrivaient au ranch AB*10,000.

Le chef se rendit immédiatement au corral.

Quelle ne fut pas sa surprise de constater que le cadavre n’était plus là !

À ce moment il s’aperçut que le feu était pris dans la grange à paille.

Alors il poussa un sacre.

Sans nul doute, le cadavre brûlait avec la paille et la grange.

Il attendit.

Attendit…

Que l’incendie se fût éteint.

Puis vérifia ses conjectures.

Un squelette calciné, inidentifiable, gisait dans les décombres.

Alors Verchères dit :

— Venez, Nap, nous entrons chez Charmaine.

Elle était seule.

Ses yeux rencontrèrent ceux de Ravelle.

Se tinrent.

Il passa alors entre eux un fluide mystérieux et très doux.

Quelque chose de ravissant et d’étrange à la fois.

Baptiste brisa le charme :

— Où est Battling Renaud ?

— Il est sorti il y a quelques heures.

— Pour où aller ?

— Je n’en sais rien.

Le chef dit en indiquant Nap :

— Cow-boy Ravelle, Charmaine.

Il reprit tout de suite :

— Vic Troyat, votre contremaître, est en prison.

— QUOI ???

— J’ai dû l’arrêter pour tricherie aux cartes, avec Napoléon Ravelle comme sa victime…

— Ah, ah, ainsi Troyat est un voleur ?

— Oui, et vous ne garderez pas un escroc comme contremaître, hein ?

— Non, évidemment.

Le chef sourit :

— Voilà pourquoi je vous ai amené Ravelle…

— Eh oui, mamzelle, dit celui-ci, j’ai l’honneur de poser ma candidature comme votre contremaître.

Charmaine demanda gravement :

— Approuvez-vous cette candidature, Baptiste ?

— Oui.

— Très bien, vous êtes engagé, M. Ravelle… Mais avez-vous de l’expérience dans l’élevage des moutons ?

— Oui, et davantage encore.

Le chef dit :

— Maintenant parlons d’autre chose.

— De quoi ?

— De votre grange à paille.

— Pardon.

— Évidemment votre grange à paille, ainsi que votre corral, étant à plus d’un mille d’ici, vous ne vous êtes pas aperçu de l’incendie…

— L’incendie ? La grange est brûlée ?

— Oui. Et s’il n’y a rien d’aussi éphémère qu’un feu de paille, il n’y a rien non plus d’aussi ardent à son zénith.

Il toussota :

— Et voilà pourquoi le cadavre de votre père n’est plus qu’un amas d’ossements calcinés…

Charmaine demanda avec une émotion intense :

— Mais pourquoi cette profanation ?

— Pour faire disparaître le tracé de la balle dans la poitrine du pauvre Alcide. Celui qui a transporté le cadavre du corral à la grange et qui a mis le feu à la paille n’est nul autre que l’assassin.

S’adressant à la jeune fille le chef de police demanda :

— Savez-vous qu’en ce moment il n’y a pas un seul de vos cow-boys ici ?

— Non, mais je m’explique qu’ils sont partis avec Battling.

— Renaud a-t-il l’habitude de vous laisser ici seule, sans protection ?

Charmaine dit bravement :

— Vous devez savoir, Baptiste, qu’une cow-girl comme moi est fort bien capable de se défendre…