Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 2p. 1-3).

Le cow-boy
amoureux

Par PAUL VERCHÈRES


CHAPITRE PREMIER

ALCIDE BOYER


C’était dans les temps antiques et solennels où Squeletteville, petite bourgade manitobaine formée de cow-boys canadiens-français, en était à ses débuts.

La couleur naturelle des planches de bois mou de ses maisons non peinturées n’avait pas encore été altérée et vieillie par le soleil, les pluies et la succession des saisons.

Baptiste Verchères, le chef de police de la bourgade, qui devait mourir en frisant près d’un siècle de vie, était alors un jeune homme fier, vigoureux.

Son poing gauche était synonyme d’hôpital.

Tandis que son poing droit signifiait cimetière.

Et parlons donc de ses deux armes à feu inventées par le colonel Colt.

De son premier colt, il avait déjà déculotté une pipe de plâtre dans la bouche d’un outlaw à une distance de 40 pieds et de son second avait démoli un trente sous à la volée.

S’il était brave jusqu’à la témérité, Baptiste Verchères avait aussi un fond de justice et d’honnêteté fruste.

Élémentaire.

Réaliste.

Il savait bien que dans l’Ouest barbare, aux méthodes sommaires, il lui était impossible d’imposer une norme de moralité collégiale ou couventine.

Certains scrupules dans le far-west étaient noyés dans des éclats de rire généraux.

Baptiste donnait de la marge aux cow-boys.

Mais il y avait certaines limites qu’ils ne devaient pas dépasser.

Il tolérait les filles de salounes et leur vertu faisandée.

Mais si l’innocence et la virginité étaient offensées, il s’empressait, à coups de feu si nécessaire, de couvrir l’offense du manteau du mariage.

S’il avait horreur du vol, il avait encore plus d’horreur contre la tricherie.

Un meurtre dû à la colère était pour lui une offense négligeable si on la comparait à un meurtre crapuleux commis pour s’accaparer du sale argent.

C’était le printemps.

Les dernières neiges venaient de fondre et la plaine encore molle n’était pas favorable au galop des chevaux.

C’est ce qui surprit Baptiste Verchères quand il vit entrer dans son bureau Vic Troyat, le contremaître du ranch de moutons AB*10,000.

— Qu’est-ce qui peut t’amener ici quand la plaine est détrempée et difficile, mon Troyat ?

— La mort.

— Et le défunt est ?

— Le grand boss…

— Alcide Boyer ?

— Oui.

— Comment est-il mort ?

— D’une ruade de cheval.

Baptiste se leva, se promena de long en large dans la petite pièce, cracha, toussa et finit par dire :

— C’est dur à avaler.

— Quoi ?

— Connaissant Alcide comme je le connais, je ne puis croire qu’un parfait cavalier comme lui n’ait pas réussi à éviter la ruade.

Troyat observa :

— J’ai fait le même raisonnement moi-même.

— Et… ?

— Et en examinant le cadavre j’ai fait une découverte curieuse qui mit fin à ma surprise.

— Quoi donc ?

— Un homme mort, eut-il été le plus habile des cavaliers, n’a aucune chance de parer une ruade…

— Que veux-tu dire Vic ?

— Ceci : J’ouvris la chemise de Boyer à la poitrine. Il y avait du côté du cœur un trou de balle cerclé de rouge.

— Où est le cadavre ?

— Dans le corral.

Troyat ajouta :

— On y va ?

Baptiste ne répondit pas.

Il demanda :

— Où est la fille d’Alcide ?

— À la maison.

— Seule ?

— Non, son cavalier, Battling Renaud la protège.

Troyat répéta :

— On y va ?

— Oui, juste le temps de former un possé !

— Bien, chef, quand vous serez prêt, venez me prendre à la saloune en face.

— Correct.