Le confessionnal des pénitents noirs/06

L’Édition populaire (p. 24-36).

LES ANGOISSES DE VIVALDI.


Vivaldi et son domestique Paolo, enfermés dans la chambre souterraine des ruines de Paluzzi, la nuit de l’enlèvement d’Elena, avaient de nouveau réuni leurs efforts pour ébranler la porte ou la fenêtre grillée ; mais ils n’en purent venir à bout et bientôt, leur flambeau consumé les ayant laissés dans l’obscurité, ils s’abandonnèrent au désespoir.

Les paroles du moine, qui semblaient annoncer qu’Elena n’existait plus, revinrent assiéger l’esprit de Vivaldi. Paolo, couché près de lui, était non moins abattu. Il se livrait à de lugubres doléances, dont son maître absorbé n’entendait pas un mot, quand tout à coup il s’interrompit :

— Monsieur, dit-il, qu’y a-t-il donc là-bas ? Ne voyez-vous rien ? Je distingue un peu de jour, il faut savoir d’où il vient !

Il se leva et se dirigea du côté où la clarté l’avait frappé. Quelle fut sa joie en constatant qu’elle venait par la porte même de la chambre ! Cette porte refermée sur eux le soir précédent, était entr’ouverte maintenant sans qu’on eût entendu tirer les verrous ! Paolo la poussa tout à fait, sortit avec Vivaldi et tous deux, remontant l’escalier, se retrouvèrent un moment après à l’air libre.

La première pensée de Vivaldi fut de courir à Villa-Altieri, bien que l’heure fût matinale. Ils prirent donc la route. Chemin faisant, le jeune comte cherchait vainement quelle personne pouvait avoir eu intérêt à le retenir une nuit, pour le relâcher ensuite.

En arrivant près de la maison d’Elena il entendit des gémissements qui venaient de l’intérieur. Son étonnement se changea en terreur. Il appela et reconnut la voix éplorée de la servante Beatrix.

La porte était fermée ; il s’élança, suivi de Paolo, par une fenêtre et trouva la pauvre femme attachée à un pilier. Ce fut d’elle qu’il apprit qu’Elena avait été enlevée par des hommes masqués. À cette nouvelle, il demeura comme frappé de stupeur. Puis il adressa mille questions à Beatrix, qui lui expliqua comment l’enlèvement avait eu lieu.

Vivaldi soupçonna un instant sa famille d’avoir fait enlever Elena et il demeura persuadé aussi que Schedoni devait être le moine qui l’avait poursuivi avec tant d’acharnement et qui était à la fois le conseiller de sa mère, messager de malheur et exécuteur de ses propres prédictions. Il supposa aussi qu’on l’avait attiré et enfermé dans les ruines afin de l’empêcher de porter secours à sa malheureuse fiancée.

Il retourna chez lui et obtint d’abord une entrevue du marquis. Il se jeta à ses pieds, en le suppliant de ramener Elena chez elle. Mais la surprise naturelle et nullement jouée du vieux gentilhomme fit tout de suite voir à Vivaldi que son père ignorait complètement les mesures prises contre la jeune fille.

Vivaldi se présenta ensuite chez sa mère. Cette seconde épreuve fut bien différente de la précédente. Ce fut en vain qu’il questionna sa mère, en laquelle il découvrit enfin autant d’hypocrisie qu’il avait reconnu de franchise chez son père. La marquise resta impénétrable. Que pouvait-il au delà ?

Vivaldi alla trouver le père Schedoni. Il le trouva en prière dans l’église de son couvent.

— Enfin, mon père, je vous retrouve ! lui dit-il. Je voudrais vous parler en particulier et ce lieu n’est pas convenable à notre entretien.

Schedoni ne répondit rien et sembla continuer à prier. Par trois fois, Vivaldi renouvela vainement sa demande. Enfin, exaspéré, il s’écria :

— Que signifie cette momerie ? Je sais que vous êtes l’auteur de tous mes maux. C’est vous qui avez fait enlever Elena, c’est vous qui m’avez enfermé… Mais, je saurai enlever le masque d’hypocrisie qui vous couvre. Mais je saurai bien vous forcer à parler et à me dire où est Elena…

Comme il exhalait ainsi sa colère, plusieurs moines furent attirés par le bruit.

— Que faites-vous ? lui dirent-ils, ne voyez-vous pas la sainte méditation dans laquelle il est plongé ?

Vivaldi parla, mais les moines irrités par ses discours, voulurent l’emprisonner et lui faire subir les châtiments réservés à qui insulte un religieux dans ses pratiques de pénitence. Mais Vivaldi, puisant des forces dans son indignation, s’échappa de leurs mains et sortit de l’église.

Il arriva chez lui dans Un état digne de pitié. Paolo rendit compte à son maître de l’inutilité des recherches que, pendant son absence, il avait faites pour retrouver les traces d’Elena.

Ne pouvant demeurer en place, Vivaldi sortit accompagné de son fidèle Paolo. Il alla errer sur la côte où il accosta des pêcheurs. Il demanda si on voulait lui donner un bateau pour côtoyer le rivage, car il supposait qu’Elena, enlevée de Villa-Altieri, avait dû être conduite par eau à quelque couvent situé sur la baie.

En parlant avec les pêcheurs, le jeune comte apprit de l’un d’eux qu’un carrosse dont les stores étaient baissés malgré la chaleur, avait passé à Bracelli.

Ce fut un trait de lumière pour Vivaldi qui recueillit toutes les informations possibles sur cette voiture. Il résolut de se rendre à Bracelli où, sans doute, le maître de poste lui fournirait de nouveaux renseignements. Il retourna chez lui et, après avoir fait ses préparatifs, il partit accompagné de Paolo. Les gens de la poste de Bracelli lui apprirent qu’un carrosse semblable à celui qu’il dépeignait avait changé de chevaux et avait pris la route de Morgagni. Vivaldi se rendit en hâte dans cette ville ; mais là il perdit la piste : le maître de poste ne se rappelait aucune circonstance oui pût le guider, et le chemin se divisait en plusieurs branches.

Vivaldi en prit une au hasard : et comme il était probable qu’Elena avait été conduite dans quelque couvent, il résolut de faire des recherches aux environs de tous ceux qu’il trouverait sur sa route.

Déjà, il avait parcouru certains sites sauvages des Apennins, lorsqu’un soir il rencontra une troupe de pèlerins couchés sur le gazon. Vivaldi s’avança vers eux et s’adressa au chef de cette troupe pour lui demander le chemin. Celui-ci, voyant un jeune homme distingué, l’invita à sa droite et à partager le souper de la caravane. Vivaldi accepta l’invitation. Pendant que son maître s’entretenait avec le chef, Paolo captiva par sa gaîté et ses lazzi l’attention de la troupe qui convint n’avoir jamais vu un si joyeux compagnon et qui témoigna le désir de l’emmener avec elle visiter les chapelles d’un couvent de carmélites qui était le but de son voyage. Vivaldi entendant parler d’un monastère de religieuses, se détermina à accompagner les pèlerins, car il était possible, pensait-il, qu’Elena fût enfermée dans ce couvent. Il se mit donc en marche avec les pèlerins.

Ils passèrent d’abord la nuit dans un village où Vivaldi chargea Paolo de lui procurer un habit de pèlerin. De grand matin, on se mit en route.

Bientôt le couvent apparut. Les pèlerins s’arrêtèrent devant la grille, puis ils furent introduits dans l’église, édifice majestueux détaché du reste des bâtiments. Les sons de l’orgue, mêlés à des voix graves, vibrait.

Partout on voyait les apprêts d’une cérémonie. Vivaldi aperçut une longue file de religieuses qui s’avançaient en procession.

Il demanda à un moine, qui était près de lui, quelle cérémonie se préparait.

— C’est une procession, lui répondit-on ; vous n’ignorez pas que c’est dans ce bienheureux jour de la fête de Notre-Dame, patronne du couvent, que les jeunes filles qui veulent se consacrer à Dieu, prononcent leurs vœux.

— Et, demanda Vivaldi fort ému, quel est le nom de la novice qui va prendre le voile ?

— Je ne sais pas son nom, répondit le moine ; mais tenez, c’est celle qui est à droite de madame l’abbesse.

Vivaldi fixa sur la novice un regard anxieux et il s’efforça vainement de percer le voile qui recouvrait ses traits. Soit illusion, soit ressemblance réelle, il croyait reconnaître Elena. La cérémonie commença, puis la novice s’agenouilla et prononça ses vœux…

Vivaldi y prêta toute son attention. Quel fut son trouble, lorsque le père abbé se mit à détacher le voile blanc de la novice pour y substituer le voile noir ! Il eut grand peine à ne pas se trahir en s’avançant… mais le voile blanc ôté, il ne vit qu’un visage inconnu. Ce n’était pas son Elena !

Il respira et reprit son sang-froid.

Puis, une seconde cérémonie commença et Vivaldi apprit qu’on allait recevoir une novice. Une jeune personne, soutenue par deux religieuses, s’approcha de l’autel. Le prêtre allait commencer l’exhortation accoutumée, lorsque la jeune femme écarta elle même son voile et, laissant voir un visage où la douleur était mêlée à une douceur angélique, elle leva au ciel des yeux mouillés de larmes, et fit signe qu’elle voulait parler. Ô surprise ! C’était Elena elle-même !

Elle éleva la voix :

— Je proteste, dit-elle, en présence de tous les assistants, que j’ai été traînée ici malgré moi pour prononcer des vœux que mon cœur repousse ; je proteste…

Une rumeur immense l’interrompit et, au même instant, Vivaldi s’élança vers l’autel.

Elena jeta sur lui un œil égaré, puis, frappée de saisissement, elle tomba évanouie dans les bras des religieuses qui l’entouraient. Mais celles-ci ne purent empêcher Vivaldi d’arriver jusqu’à elle. Ses angoisses en la voyant presque sans vie émurent de compassion les religieuses elles-mêmes.

Elena en reprenant ses sens, rencontra le regard de Vivaldi ; à son tour, l’expression de ses yeux lui fit comprendre qu’elle n’était pas changée pour lui. Elle demanda cependant à se retirer et, aidée par Olivia et Vivaldi, elle se préparait à quitter l’église, quand l’abbesse donna ordre que le jeune étranger lui fût envoyé. Vivaldi n’était pas disposé à obéir à cette injonction ; mais il céda aux prières d’Olivia et de son amie, et adressant à Elena un adieu qui, croyait-il, ne devait pas les séparer pour longtemps, il se rendit au parloir où l’attendait l’abbesse. Il espérait éveiller chez celle-ci des idées de justice et d’humanité ; mais il reconnut bientôt que sa tentative était inutile.

L’abbesse commença un sermon que Vivaldi écouta avec patience ; mais lorsqu’elle en vint à parler d’Elena comme d’une criminelle, le jeune homme ne cacha pas son mépris et son indignation à la prétendue sainte femme qui, par orgueil et sécheresse de cœur, violait les lois de la justice en séquestrant une orpheline qu’elle condamnait de son autorité privée à une éternelle captivité. À cette sortie imprudente, elle répondit par des menaces. Vivaldi, en la quittant, crut trouver un secours dans l’abbé dignitaire ; mais celui-ci était un homme faible qui craignait de se compromettre.

Vivaldi résolut de recourir à d’autres moyens pour sauver l’innocente victime de son orgueilleuse famille.

Elena retirée dans sa cellule, était en proie à mille sentiments contradictoires, lorsque les sons d’une flûte se firent entendre au milieu des rochers dont les pics aigus faisaient face à la fenêtre grillée de sa cellule. En regardant avec attention, elle distingua une forme humaine à la pointe d’un rocher. Elle reconnut Vivaldi. Celui-ci avait appris d’un frère lai, gagné par Paolo, qu’Elena se montrait parfois à cette fenêtre. En apercevant celle qu’il aimait, le jeune homme lui communiqua un plan qu’il avait formé pour la délivrer. Il la conjura de se rendre au parloir à l’heure du souper et il lui expliqua que, tandis que l’abbesse, selon l’usage, donnait une collation au père abbé, il lui serait facile à lui Vivaldi, aidé par le frère lai Géronimo, de s’introduire lui-même dans la salle sous son habit de pèlerin et de se mêler parmi les spectateurs. Là, il pourrait l’instruire des moyens qu’il aurait trouvés pour favoriser sa fuite.

Elena promit à Vivaldi de faire tous ses efforts pour se rendre au parloir et le jeune comte descendit de son rocher et disparut dans la nuit tombante.

Quelques instants après, Elena reçut la visite d’Olivia. À l’altération de ses traits, on devinait quelque nouveau sujet d’alarme. Sur les prières d’Elena elle se dérida à parler :

— Ma chère enfant, lui dit-elle, mes craintes pour vous n’étaient que trop fondées. Vous êtes perdue si vous ne parvenez pas à vous échapper cette nuit. Je viens d’apprendre que votre conduite de ce matin a été jugée comme un attentat à la dignité de l’abbesse et qu’elle sera punie de ce qu’on appelle l’in-pace ! Hélàs ! Pourquoi ne vous dirais-je pas la vérité et que ce que je vous annonce, c’est la mort même, oui, la mort ! car quelqu’un est-il jamais sorti vivant de ce tombeau qu’on nomme l’in-pace ?

— La mort ! s’écria Elena, frappée d’horreur.

— Écoutez-moi. Dans la partie la plus reculée du couvent se trouve une chambre souterraine, taillée dans le roc et fermée par des portes de fer. C’est là que sont jetées les sœurs coupables de quelque grande faute. Ce châtiment est éternel. Dites-moi, ma chère enfant, comment je puis vous venir en aide pour vous sauver, car j’y suis décidée, dussé-je m’exposer moi-même…

Émue de cette générosité, Elena finit par confier à Olivia le projet concerté avec Vivaldi. Cette confidence ranima l’espoir de la religieuse qui lui promit de l’aider à parvenir dans le parloir et de lui fournir un habit de religieuse.

. . . . . . . . . . . . . . .

Elena, bien cachée sous l’habit et le voile d’Olivia descendit dans la salle de réception et se mêla aux religieuses qui y étaient rassemblées. Puis on passa dans l’appartement où la collation était préparée et qui était divisé par une grille en parloirs, l’un pour l’abbesse et les religieuses, l’autre pour les religieux et les étrangers. Parmi ceux-ci, Elena aperçut Vivaldi caché sous un manteau de pèlerin. Celui-ci déposa sur le rebord de la grille qui, comme nous l’avons dit, séparait les religieuses des étrangers, un petit papier plié et s’éloigna. Profitant d’un mouvement général qui se fit, Elena se rapprocha de la grille, prit le billet et le cacha dans sa manche. Mais, à ce moment, il lui sembla que l’abbesse regardait de son côté d’un air sévère. Elle craignit que l’on eut remarqué la présence de Vivaldi et qu’on n’eut cessé de l’observer à la dérobée. Chancelante d’émotion, elle sortit furtivement et se rendit dans sa cellule. Arrivée là, elle ferma bien la porte et elle déplia le papier.

Mais dans son impatience, elle laissa échapper la lampe de ses mains et elle se trouva dans l’obscurité.

Elle tomba dans un véritable désespoir. Aller chercher de la lumière, c’était se trahir. Attendre, c’était affreux. Le temps s’écoulait… Qui sait s’il ne serait point trop tard pour suivre les instructions de Vivaldi. Elle retournait entre ses doigts le malheureux billet qui renfermait son sort, son avenir, sa vie même, et dont elle ignorait le contenu.

L’heure s’écoulait. Horrible situation !

Au milieu de ses angoisses, elle entend marcher ; une lumière brille à travers la porte… on l’appelle tout bas, c’est Olivia ! Elle ouvre, prend la lampe des mains de la religieuse et, pâle et tremblante, lit avec avidité le billet qui lui donnait rendez-vous à la grille du jardin des religieuses, où le frère Geronimo l’attendait et où Vivaldi viendrait la rejoindre pour la faire sortir du couvent. Son fiancé la conjurait de ne pas perdre un instant. Et il s’était écoulé une heure et demie depuis le moment où Vivaldi avait écrit qu’il n’y avait pas de temps à perdre !… Dans cet intervalle, que de circonstances peut-être avaient rendu impraticable un projet d’évasion que le mouvement de la fête aurait favorisé une heure avant.

La généreuse Olivia partageait les inquiétudes de son amie, dont la vie était menacée, dont les instants étaient si précieux ! Convaincues qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre, elles décidèrent de s’acheminer sur-le-champ vers le jardin. Tout à coup, comme elles traversaient un couloir, elles se trouvèrent en face de l’abbesse elle-même. Elena s’effaça autant qu’elle put derrière Olivia et celle-ci ayant répondu aux questions de l’abbesse, elles se remirent en marche.

Comme Elena traversait le jardin, la crainte que Vivaldi ne se trouvât pas à son poste, l’immobilisa d’émotion. Mais Olivia, lui montrant un bosquet que la lune commençait à éclairer, murmura à son oreille :

— Là derrière, sous cette allée de cyprès, est l’in-pace !

Ce mot terrible ranima les forces d’Elena qui redoubla d’efforts. Enfin, elle arriva à la porte de la grille et elle frappa doucement dans ses mains. C’était le signal convenu. Elle attendit la réponse avec une inexprimable anxiété. Enfin trois petits coups se firent entendre, puis, la clef tourna dans la serrure, la porte s’ouvrit et deux personnes parurent. À la lueur d’une lanterne sourde que tenait Géronimo, Elena reconnut Vivaldi qui s’élança vers elle :

— Ô ciel ! dit-il tremblant de joie, est-il possible que vous soyez encore à moi ! Si vous saviez ce que j’ai souffert pendant cette heure mortelle !…

— Ce n’est pas le moment des explications, interrompit Géronimo ; nous avons déjà perdu trop de temps.

Elena remercia et embrassa avec effusion Olivia, puis l’orpheline franchit la porte.

Comme nos fugitifs suivaient l’avenue qui conduisait à l’église, Vivaldi craignant de rencontrer quelque religieux, demanda s’il ne pourrait pas éviter de passer par le lieu saint, mais Géronimo déclara que c’était impossible. Ils y entrèrent donc ; l’église était déserte. Ils arrivèrent à une issue latérale qui communiquait à une grotte où se gardait la madone dite N. D. du Mont-Carmel, devant laquelle une lampe brûlait nuit et jour. Leur guide pénétra dans l’enceinte qui renfermait la madone et ouvrit une petite porte donnant sur un passage étroit et tortueux pratiqué dans le roc. Tout à coup, Elena se souvint que, d’après la description que lui avait faite Olivia, ce passage devait être celui qui conduisait à l’in-pace. Alarmée a l’idée que Géronimo les trahissait, elle refusa d’aller plus loin.

— Où nous conduisez-vous ? lui dit-elle.

— Où vous devez aller, répondit le frère d’une voix sourde ; parole qui augmenta les alarmes d’Elena et inquiéta Vivaldi lui-même.

— Pourquoi, dit-il, ne pas nous mener directement à quelque porte du couvent ?

— Les autres portes sont obstruées par des troupes de frères lais, répondit Géronimo d’une voix rude.

Vivaldi comprenant les suites que pouvait avoir sa défiance, encouragea Elena du regard. Mais en s’engageant en silence dans les détours du passage, il se tenait prêt à tout événement. Il tendit une main à Elena et prit son épée de l’autre. Enfin, ils atteignirent la porte tant désirée. En passant, Elena aperçut l’entrée d’une espèce de chambre pratiquée dans le roc. Géronimo donna la lanterne à Vivaldi et se mit en mesure d’ouvrir la serrure, pendant que le jeune comte se préparait à lui remettre le salaire convenu. Mais la porte ne s’ouvrait pas. Géronimo se retournant, dit froidement à Vivaldi :

— Je crains que nous ne soyons trahis. Il y a deux serrures : la seconde est fermée, et je n’ai que la clef de la première.

À ce moment, des chants résonnèrent à quelque distance.

— Qu’est cela ? demanda Elena. D’où viennent ces sons ?

— De la grotte que nous venons de quitter. C’est la dernière antienne des religieux.

Les fugitifs apprenaient ainsi que la retraite leur était coupée.

— Oui, nous sommes trahis ! s’écria Vivaldi d’un ton ferme, en s’adressant à Géronimo, mais je vois que c’est par vous traître !…

Et Vivaldi brandit son épée. Elena s’efforça de le calmer et d’arrêter ses violences. Soit que le jeune homme fût désarmé par ses prières, soit que l’air d’innocence du frère lui imposât, il remit l’épée au fourreau et essaya de forcer la porte ; mais en vain.

Géronimo toujours impassible et dédaignant de se justifier, leur indiqua une dernière chance de salut. Il fut convenu qu’il retournerait seul dans l’église pour voir s’il n’y avait pas moyen de les faire sortir par la grande porte. Il les ramena dans la chambre qu’ils avaient traversée déjà et s’en alla.

Les fugitifs attendirent de longues minutes. Géronimo ne reparaissait pas. Elena regardait la chambre souterraine et sépulcrale où ils étaient.

— C’est, pensa-t-elle, le terrible in-pace dont m’a parlé Olivia.

Elle frémit. Mais, à ce moment, on entendit un bruit sourd.

— Avez-vous entendu ? demanda Elena.

— Oui… Quelqu’un est caché non loin d’ici, mais rassurez-vous, j’ai mon épée.

Vivaldi prit la lanterne et la promena autour du caveau. Il découvrit une petite porte en même temps qu’il entendait une prière dite à haute voix. Il poussa la porte qui s’ouvrit et il se trouva en présence d’un religieux agenouillé. C’était un moine à l’aspect vénérable. Le religieux témoigna son étonnement de leur présence dans ce lieu. Vivaldi lui confia résolument sa situation et son embarras. Le religieux écoutait, mais sa pitié semblait combattue par quelque considération pressante.

Elena l’implora à genoux.

— Je n’ose dire, prononça le religieux, quel sort attend cette jeune fille, ni quel sera le mien si je vous sauve… Le terme de ma vie est prochain, votre jeunesse vous promet des années de bonheur… Eh bien ! vous les aurez, mes enfants… Suivez-moi, nous allons voir si ma clef ouvre la porte…

Vivaldi et Elena suivirent, anxieux, le vieillard. Ils arrivèrent devant la porte. À ce moment, ils distinguèrent des pas dans l’éloignement.

— Ils approchent, mon père ! murmura Elena, défaillante ; si la clé n’ouvre pas tout de suite, nous sommes perdus ! Oui, j’entends leurs voix, ils m’appellent…

Enfin, la porte tourna sur ses gonds ; elle ouvrait, sur un plateau de montagnes.

— Ne me remerciez pas, dit le religieux, vous n’en avez pas le temps. Je vais refermer la porte et retarder aussi longtemps qu’il me sera possible ceux qui voudraient vous poursuivre. Ma bénédiction soit avec vous, mes enfants.

Vivaldi et Elena eurent à peine le temps de lui dire adieu. La porte se referma derrière eux, et le jeune homme entraînant sa bien-aimée, se dirigea en toute hâte vers l’endroit où Paolo devait les attendre. Ils arrivèrent enfin au pied de la montagne, où ils trouvèrent le fidèle serviteur avec les chevaux.

Vivaldi enveloppa Elena qu’il mit en croupe, puis ils partirent au galop.