Le confessionnal des pénitents noirs/05

L’Édition populaire (p. 22-24).

LES TORTURES D’ELENA.


Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis l’arrivée d’Elena dans le monastère de San-Stephano, sans qu’il lui fut permis de sortir de sa chambre. Enfermée sous clef, elle ne voyait personne, si ce n’est la religieuse qui lui apportait quelques aliments, la même qui l’avait reçue aux portes du couvent.

Lorsqu’on pensa que son courage pouvait être brisé par ce long isolement, on la manda au parloir. L’abbesse l’y attendait seule et la sévérité de son accueil prépara l’orpheline à une scène des plus sérieuses. Après un exorde sur la noirceur de son crime et sur la nécessité de sauver l’honneur d’une famille que sa conduite désordonnée avait failli compromettre, l’abbesse lui déclara qu’elle devait se déterminer à prendre le voile sur le champ ou bien à accepter le mari que la marquise Vivaldi avait eu l’extrême bonté de choisir pour elle.

— Madame, répondit Elena, je rejette également les deux offres que vous me faites. Jamais je ne me condamnerai volontairement à être enfermée dans un cloître, ni à subir la dégradation dont vous me menacez.

La surprise et l’indignation se peignirent sur les traits de l’abbesse. Jamais on ne lui avait tenu tête avec cette fermeté :

— Sortez ! fut le seul mot qu’elle put dire en se levant de son fauteuil.

Elena fut reconduite dans sa cellule.

Le soir du cinquième jour on lui permit d’assister aux vêpres. Elle suivit les religieuses à l’office. Les chants émurent son cœur. Parmi les voix qui la charmaient, une surtout fixa son attention. Elle remarqua alors la religieuse qui chantait. Son voile était assez léger pour laisser entrevoir la beauté de ses traits. À la sortie de l’église, comme celle-ci passait près d’elle, elle lui jeta un regard si doux et si expressif que la religieuse s’arrêta et regarda un instant la nouvelle venue. Elle parut émue et elle lui adressa un sourire d’adieu qui exprimait une tendre pitié.

Quand elle fut rentrée dans sa cellule, conduite par sa géolière habituelle, elle s’informa du nom de la religieuse.

— Vous voulez parler de la sœur Olivia ? lui dit sa conductrice d’une voix aigre.

— Elle est bien jolie.

— Sans doute, répondit la sœur d’un air pincé, mais nous avons beaucoup de sœurs aussi jolies.

Et elle se retira.

Les jours suivants, Elena revit la sœur Olivia et échangea avec elle de tendres regards. Un soir, qu’elle pleurait dans sa cellule, la porte s’ouvrit et elle vit entrer Olivia.

— Vous n’êtes pas accoutumée aux privations, dit la sœur d’un ton très doux en posant sur la table une petite corbeille contenant des provisions.

— Je vous comprends, dit Elena avec reconnaissance, vous avez un cœur accessible à la pitié ; ayant souffert vous-même, sans aucun doute, vous êtes heureuse d’adoucir les souffrances des autres. Ah ! combien je suis touchée des sentiments que vous me témoignez !

Des larmes l’interrompirent. Olivia lui serra la main et lui dit avec un grave sourire :

— Vous jugez bien de ce que j’éprouve, mon enfant. Je partage vos douleurs et souvenez-vous que vous aurez une amie près de vous. Mais gardez cette pensée pour vous seule, car il faut qu’on ignore que je viens vous voir.

— Que de bontés ! s’écria Elena.

— Chut ! dit la religieuse ; je puis être observée. Bonne nuit, ma chère sœur, et que Dieu vous protège.

Et elle quitta la chambre subitement.

Plusieurs jours de suite, la jeune fille revit ainsi la bonne sœur qui l’encourageait et la consolait.

Un jour, Olivia entra avec un sourire mélancolique et dit à Elena :

— Je viens par ordre de notre abbesse, ma chère enfant. Armez-vous de courage ; on veut, que je vous prépare à prendre le voile parmi nous. Quelle que soit votre détermination, je vous conseille de montrer à l’abbesse quelque complaisance et de lui laisser espérer que vous pourrez céder un jour, sans quoi elle pourrait se porter aux dernières extrémités.

— Et quelles extrémités plus redoutables, demanda l’orpheline, que l’alternative qu’on me propose ?

— Ne m’en demandez pas davantage, répliqua Olivia, les larmes aux yeux, qu’il vous suffise de savoir que les conséquences d’une résistance ouverte seraient terribles. Croyez-moi, ma chère enfant, l’essentiel est de gagner du temps. Mais écoutez : la cloche sonne ; il faut que je me retire. Bonsoir, ma chère sœur…

La religieuse avait prononcé ces paroles avec un accent si marqué et en les accompagnant d’un regard si expressif, qu’Elena désira et craignit tout à la fois de la faire expliquer davantage. Mais avant qu’elle fût revenue de «a surprise, la sœur Olivia avait quitté la cellule.