CHAPITRE IV
L’ÉGLISE JAPONAISE DE 1858-1872

Ce fut en 1859, le 6 septembre, que les premiers missionnaires catholiques arrivèrent en vue de Yedo. Le successeur de saint François Xavier était M. Girard, des missions étrangères de Paris. Sans difficulté, les autorités japonaises reconnurent officiellement au nouveau venu le titre de prêtre catholique et d’interprète du consul général de France et le laissèrent séjourner à Yedo tout en desservant Kanagewa. M. Mermet, un de ses confrères, habitait Hakodate. Le premier soin des missionnaires fut naturellement de bâtir des chapelles, pour les Européens d’abord, pour les Japonais à venir ensuite, car dès cette époque on savait qu’en un lieu ignoré du territoire nippon des descendants authentiques des chrétiens d’autrefois vivaient dans l’espoir et l’attente de jours meilleurs, après avoir conservé de leur mieux la foi qu’au XVIe siècle les Espagnols avaient prêchée à leurs pères : et l’on espérait bien, qu’à l’heure marquée par la Providence, la trace en serait trouvée par les nouveaux apôtres. Mais tandis qu’obscurément MM. Girard et Mermet travaillaient au labour de cette terre qu’ils devaient ensemencer, un orage politique de la plus haute gravité se préparait à leur insu. Le Shogoun Yesada, véritable maître du pays, avait dû, forcé par les événements, signer les traités qui ouvraient à l’étranger les portes du Japon. Son patriotisme éclairé, son intelligence et son information politique lui avaient dicté la ligne de conduite qu’il venait de suivre et son ardent loyalisme avait été assez fort pour lui faire préférer, à sa situation personnelle, le repos et la tranquillité de son pays. Car il ne se faisait pas illusion sur la portée des événements dont il était l’un des acteurs. Très vite, il comprit qu’il avait à choisir entre une guerre effroyable semblable à celle qui venait d’ensanglanter la Chine, ou un accord diplomatique avec l’Europe et l’Amérique. Il se décida pour la seconde alternative, mais il y perdit la vie. Le parti national ne pouvait lui pardonner cet acte de faiblesse et de lâcheté à l’égard de ceux qu’il appelait « les Barbares » et sa mort fut le prix de son dévouement. Le meurtre de Yosada ouvrit la crise dans laquelle le shogounat disparut au profit de la monarchie absolue du Mikado. De 1859 à 1868 le Japon fût en perpétuelle révolution. Des bandes armées s’attaquaient aux légations et cherchaient par des meurtres habilement perpétrés et toujours impunis à éloigner les étrangers. Naturellement, le shogoun était l’objet de toutes les haines japonaises comme de toutes les méfiances européennes. Dans de telles conditions il ne pouvait que disparaître. Et c’est ce qui arriva en 1868.

Pendant ce temps, et au milieu des plus grandes tribulations comme des joies les plus pures, l’œuvre de Dieu s’accomplissait. Un chapelle se construisait à Yokohama, une école de français s’ouvrait à Yedo. Il en allait de même à Hakodate. Puis un nouveau missionnaire, dont le nom allait être bientôt illustre, le père Petitjean, arrivait aider ses confrères. C’étaient les premiers débuts d’une grande œuvre. Comme autrefois au jour de la Pentecôte, le succès de la parole apostolique fut considérable. M. Girard évaluait à dix mille le nombre des Japonais de toutes classes et de toutes situations qui, en douze jours, entendirent ses instructions, au lendemain de l’ouverture de l’Église de Yokohama et, sans les lois toujours en vigueur, et qui ne tardèrent pas à être de nouveau appliquées, sans la prison qui s’ouvrit encore une fois pour recevoir les Japonais assez téméraires pour entrer dans le temple chrétien, le nombre en eût été infiniment plus grand, Aussi des Irlandais, quelques Français et quelques Chinois formaient-ils tout le noyau catholique de l’Église japonaise d’alors ; mais déjà six missionnaires étaient à leur service, attendant « dans la prière et la patience » de pouvoir plus efficacement travailler à la propagation du règne de Jésus-Christ. C’est alors que pour réveiller leur courage et leur foi, pour stimuler leur ardeur, Dieu daigna exaucer la prière de ses prêtres et réaliser leurs plus chères espérances. Comme toujours, au début de ses œuvres les plus belles, il voulait qu’une joyeuse aurore vint illuminer d’un divin et miraculeux rayon la moisson naissante, afin que chacun en la contemplant put dire en son cœur : « Digitus Dei est hic ! » Le doigt de Dieu est là. Donc, un vendredi du mois de mars 1865 — le 17 — vers midi et demi, une douzaine de personnes se trouvaient groupées à l’entrée de l’église de Nagasaki et semblaient attendre quelque chose. La porte était fermée. M. Petitjean, mû sans doute, comme il l’a dit lui-même, par une inspiration divine, s’approcha de ces gens, hommes, femmes, enfants et, leur ouvrant l’église, il leur fit signe d’entrer. Non sans crainte, on le suivit, car le souvenir des événements de 1862 était encore vivant et l’on se rappelait avec quelle fureur l’autorité japonaise avait fait arrêter et jeter en prison les sujets du Mikado qui étaient venus entendre les prédication chrétiennes. Il avait fallu alors toute l’énergique habileté du consul de France pour les faire relâcher et, depuis, on vivait dans la crainte continuelle de nouvelles mesures de rigueur. Néanmoins, l’invitation du missionnaire fut acceptée et, tandis qu’il s’agenouillait devant l’autel, trois femmes se détachant du groupe vinrent à ses pieds, les mains sur la poitrine, lui dire subitement par l’intermédiaire de l’une d’elles : « Notre cœur à nous tous qui sommes ici est le même que le vôtre. — Vraiment, répondit M. Pelitjean, mais d’où êtes-vous ? — Nous sommes tous d’Urakami. À Urakami presque tous ont le même cœur que nous. » Et aussitôt cette femme de lui demander : « Sancta Maria no gozowa doko ? Où est l’image de Sainte Marie ? » On peut deviner quelle fut la joie du prêtre à ce nom béni ! Et quoi, à travers les temps, à travers l’espace, c’était le nom de Marie qui, le premier, venait sur les lèvres de ces hommes, chrétiens de pères en fils, par la seule force de la grâce et de leur bonne volonté. Un jour, au XVIe siècle, d’autres missionnaires avaient baptisé leurs ancêtres et, comme un gage d’immortel espoir, ils avaient légué à leurs descendants, avec le souvenir de leur martyre, le nom de leur mère du Ciel. Et quand M. Petitjean les eut conduits vers l’oratoire dédié à la Sainte Vierge, tous de s’écrier avec transport : « Oui, c’est bien Sancta Maria ! Voyez, sur son bras on Ko Jésu Sama, son auguste Fils Jésus ! » Dans une commune union de foi et d’amour, le prêtre d’Occident et ses frères d’Orient retrouvés, glorifiaient Jésus et Marie ! Mais bientôt, de part et d’autre, les questions et les réponses se font nombreuses, plus convaincantes, plus merveilleuses : « Nous faisons la fête de on Araji Jésus Sama, le 25e jour de Shimotsuki. On nous a enseigné que ce jour-là, vers minuit, Il est né dans une étable, puis qu’il a grandi dans le pauvreté et la souffrance et qu’à trente-trois ans, pour le salut de nos âmes, il est mort sur la croix. En ce moment nous sommes au temps de la tristesse (le Carême). Avez-vous aussi ces solennités ? Oui, répondit le missionnaire, nous sommes aujourd’hui au dix-septième jour de Kanachimi no sitsu. » Puis ils lui parlèrent de Saint Joseph.

Chacun aurait bien voulu continuer, en vérité, un aussi émouvant dialogue, tel que seul il peut s’en établir un après une longue séparation entre père et fils ; mais il fallut se dire adieu, tout en se promettant bien de se revoir sous peu. Les jours qui suivirent cette scène mémorable amenèrent à l’église une foule de Japonais si considérable que bientôt la police prit ombrage de ces allées et venues et qu’il fallut agir avec prudence. Le P. Petitjean, néanmoins, recueillit de nouveaux indices de l’intensité de vie chrétienne qui subsistait chez ces pauvres chrétiens. Tous portaient des noms espagnols ou portugais « Petoro, Jowana, Domingo, Paolo, Marina ». Ils administraient le baptême, sanctifiaient le Dimanche et les jours de fêtes ; ils savaient même en latin le Pater, l’Ave, le Credo, le Salve Regina, puis d’autres oraisons jaculatoires en japonais, sans oublier le chapelet.

La nouvelle de l’arrivée des missionnaires se répandit bientôt parmi les chrétiens restés fidèles. Dès le mois de mai, le P. Petitjean en connaissait environ 3.800 répandus un peu partout dans les montagnes et dans les villages éloignés. Tous avaient gardé une foi vive et pure. Sur les mystères de le Religion ils en savaient autant que des paysans de France de moyenne instruction. Ce qui prouve bien, du reste, quelle mémoire précise des enseignements d’autrefois ils avaient gardée à travers ces deux siècles, ce fut la question du « baptiseur » de l’une de ces communautés religieuses. « N’avez-vous point d’enfants », demanda un jour Pierre au Père Petitjean ? « Vous et tous vos frères chrétiens et païens du Japon, voilà les enfants que le bon Dieu nous a donnés, répondit le missionnaire. » À cette réponse, Pierre incline son front jusqu’à terre en s’écriant : « Ils sont vierges ! Merci ! merci ! » — Du reste, ces chrétiens avaient pieusement conservé quelques vestiges de la foi de leurs pères : livres, calendriers, chapelets, images qui leur permirent, avec la grâce de Dieu, d’attendre patiemment que l’orage fût passé et que Dieu leur envoyât, avec de nouveaux prêtres, le rameau d’olivier. Sauf en quelques chrétientés où des difficultés surgirent sur la validité du baptême et sur la question des mariages, difficultés, il faut le dire, vite aplanies par l’admirable docilité de ces grands chrétiens, les missionnaires n’eurent donc, en ces années bénies, qu’à continuer l’œuvre de leurs prédécesseurs. Ce n’était pas de conversions qu’il s’agissait, mais bien d’édification et de sanctification. Ce qui manquait le plus, au sein de ces communautés renaissantes, c’était le prêtre. Les missionnaires commençaient à faiblir sous le poids d’un travail accablant et personne n’apparaissait à l’horizon pour venir les seconder dans le lourd labeur de rappeler à ces foules — on évaluait à 50.000 le nombre des chrétiens restés fidèles, mais c’était là un chiffre fort exagéré — avides d’instruction et de réconfort spirituel, les vérités de la foi et les pratiques du christianisme. Cependant, au cours de 1866, quelques nouveaux missionnaires arrivèrent et M. Petitjean fut nommé vicaire apostolique du Japon. De son côté, M. Roches, ministre de France, avait pris en main la cause des chrétiens japonais et, grâce à l’attitude, en somme bienveillante du shogoun, les communautés se formaient ou se reformaient, tandis qu’un vivifiant souffle de grâce et de vie divine passait sur tous, prêtres et fidèles, créant la sainteté et transformant les cœurs et les esprits. Comme aux premiers jours du Christianisme, les missionnaires assistaient, muets d’admiration, à des scènes d’une poignante beauté. L’Eucharistie est rendue à ces âmes qui s’y préparent avec une foi et un amour touchants ; des conversions s’accomplissent, des baptêmes se confèrent et, forts de toute la force de Jésus-Christ, on peut voir des jeunes gens, des vierges, des vieillards se livrer à toutes les ardeurs d’une étonnante mortification, devenir, sans crainte, et au prix des plus lourds sacrifices, apôtres infatigables parmi leurs frères païens et préoccupés de leur salut comme un moine dans son cloître. On toucha du doigt, au reste, cette vaillance en 1867, lorsque la persécution faillit se réveiller de son court sommeil à propos d’une question de funérailles auxquelles les bonzes prétendaient présider. De toutes parts, on se prépara à la mort avec une joie et une sérénité qui montraient bien que la race des martyrs n’est point éteinte dans l’Église et, énergiquement, les chrétiens refusèrent l’intervention des prêtres païens, avouant hautement leurs relations avec les missionnaires. La persécution ne vint pas sur le moment. Tout au contraire. À la grande joie des missionnaires, on apprit même que le shogoun était disposé à accorder la liberté de conscience. L’alerte, cependant, avait été donnés, et chacun comprit, qu’évitée aujourd’hui, la persécution pouvait éclater demain.

C’est, en effet, ce qui arriva subitement dans la nuit du 14 juillet 1867. Chacun vivait dans le plus grand calme quand, tout à coup, pour des motifs qui n’ont jamais été clairement connus et à l’instigation de personnes dont le nom resta ignoré, le village d’Urakami fut cerné par des émissaires du gouvernement et soixante-quatre chrétiens furent arrêtés, brutalement frappés, sans distinction d’âge et de sexe, et conduits à Nagasaki où on les incarcéra.

Mais heureusement, depuis le XVIe siècle, les choses avaient quelque peu changé. Les ministres européens prirent énergiquement la protection des Japonais persécutés et, à la demande de Mgr Petitjean, M. Roches se rendit auprès du Shogoun qui lui donna, pour l’avenir, les plus fermes espérances. C’était toutefois à une condition : à savoir, que les chrétiens consentiraient à être enterrés suivant les lois du pays, c’est-à-dire avec les cérémonies bouddhiques et la présence des bonzes. Autant valait leur demander d’abjurer leur foi. Aussi, devant le refus des chrétiens d’obéir sur ce point aux lois de l’Empire, la persécution continua-t-elle. Comme la lèpre, si fréquente au Japon, elle s’étendit bientôt sur toutes les provinces où vivaient des chrétiens : à Omura, Koba, Kitamura. Partout elle frappait, ouvrait les prisons et apportait la mort.

Cet état de choses dura jusqu’à la fin de 1867. Malgré les promesses du shogoun, les prisonniers ne furent point relâchés ; bien au contraire. Par ordre du gouvernement, on essaya de les faire abjurer, on en mit plusieurs à la torture, et des défections, hélas ! commencèrent à se produire. Elles furent rares, en vérité, et presque toujours immédiatement rétractées ; mais l’œuvre qui s’annonçait vingt-huit mois auparavant si pleine d’espérance, paraissait dès lors, sinon perdue sans retour, du moins gravement menacée.

C’est sur ces entrefaites qu’en cette année 1868 un événement d’une tout autre gravité vint rejeter à l’arrière-plan ces douloureuses préoccupations et donner, par là même, quelque répit aux martyrs : la révolution japonaise.

Le premier acte de ce drame sanglant qui devait si profondément bouleverser la société nippone s’était ouvert en 1865 avec une proclamation de guerre lancée contre les vassaux rebelles par le Shogoun Yemochi. Il s’agissait de punir les agissements de deux princes, Nagato et Satsuma, révoltés contre leur chef. Il ne peut être question de raconter ici les péripéties de cette première lutte qui se termine le 3 janvier 1868 par la suppression du shogounat et à laquelle les chrétiens ne furent pas mêlés. Défait par les troupes de Nagato, Yemochi mourut le 19 septembre 1866 à Osaka. Son successeur, Keiki, sur la proposition du prince de Tosa, promit de se démettre de sa charge pour restituer toute l’autorité qu’il concentrait en ses mains au jeune Mikado alors âgé de 15 ans, Mutsuhito[1] ; malgré ses promesses, il fallut un coup d’État pour le décider : ce qui fut fait par l’ordre impérial supprimant le shogounat.

Cette première phase de le révolution n’avait rien de rassurant pour les Européens, et, en particulier, pour les missionnaires. Avec le triomphe du Mikado, allaient arriver au pouvoir les plus redoutables adversaires des Occidentaux. Car personne ne pouvait se faire illusion. Cette « guerre sainte » entreprise subitement avait une cause profonde : la haine de l’étranger. C’était parce que le shogoun se montrait trop favorable aux étrangers qu’il avait été combattu ; c’était à chasser de l’Empire tous les Barbares que les patriotes travaillaient. Cependant, après une alerte assez courte, les Européens purent se rassurer pour le moment, car un des premiers actes du gouvernement nouveau fut de reconnaître officiellement les traités signés au cours des dernières années. Mais les chrétiens, qu’allaient-ils devenir ? Comme toujours, ils servirent de paratonnerre et c’est sur eux que la foudre tombe. Dès le 16 mars, la persécution recommença par des emprisonnements et de multiples interrogatoires, puis le 22 avril, par un édit impérial prohibant sévèrement l’« abominable religion des chrétiens. » La prison, dès lors, ne suffit plus au gouvernement. Ce fut la déportation. Malgré l’énergique activité des ministres, malgré les efforts de Mgr Petitjean, le village d’Urakami fut cruellement éprouvé. En juillet, 114 chrétiens étaient emmenés à Shimonoseki et dans des provinces fermées aux étrangers. Et ce n’était qu’un commencement ! Bientôt les îles Goto eurent, à leur tour, les honneurs de la persécution. Le cachot et la torture par le feu vinrent éprouver les chrétiens dont beaucoup n’étaient que néophytes, tandis que la mort faisait des ravages au sein du petit troupeau resté fidèle. Souffrances physiques et morales, privations et mauvais traitements eurent bientôt raison des corps à défaut des âmes. Chaque jour emportait avec soi quelque martyr au ciel.

Pendant ce temps la révolution marchait. Le nouveau régime en s’affermissant comprenait qu’il fallait achever l’œuvre de destruction commencée et abolir la féodalité encore toute puissante. Les daimyo, en grande majorité, n’y mirent pas obstacle ; mais il n’en alla pas de même des Samuraï et des bonzes qui tenaient à leur prépondérance comme à leurs privilèges et c’était d’eux, en réalité, que venait tout le mal dont souffraient les chrétiens. Cependant, malgré leurs efforts, des signes avant-coureurs d’une époque moins troublée semblaient poindre à l’horizon. Le gouvernement du Mikado finit par comprendre que cette lutte sourde et obstinée, sinon sanglante, ne pouvait qu’empêcher son développement économique et national et, à l’approche de l’expiration des traités, il envoya en Amérique et en Europe une ambassade chargée de nouvelles négociations. L’attitude de l’Europe fut telle que le Japon ne voulut pas tarder à rapporter les édits de 1870. Le 14 mars 1873 paraissait enfin la proclamation impériale par laquelle toute mesure vexatoire contre les chrétiens était définitivement abrogée. Ce fut, on peut le deviner, un beau jour pour l’église du Japon que celui où elle put lire que dorénavant chaque enfant du pays pourrait être à la fois bon Japonais et bon chrétien et revoir, comme gage de cette promesse, les premiers prisonniers rentrer dans leurs foyers. Le jour de Pâques — celui de toutes les résurrections — avait rendu à leurs familles et aux missionnaires un important contingent de martyrs. Pour la première fois, ils pouvaient publiquement affirmer, en assistant aux offices de la petite église de Nagasaki, leur foi et leur amour indéfectible et impérissable. Le reste des prisonniers ne tarda pas à rentrer à Urakami et dans les autres villages d’où ils avaient été arrachés. On pouvait, enfin, se compter et faire des rêves d’avenir ! La persécution était donc finie ; mais quel était l’état de cette communauté renaissante après l’orage qui venait de la disperser ? En combinant les renseignements fournis par Mgr Petitjean d’une part, M. Poirier de l’autre, nous pouvons arriver aux chiffres approximatifs suivants : Il était resté au Japon, pendant la persécution, environ 1.640 à 1.650 familles chrétiennes, c’est-à-dire à peu près 8.000 chrétiens. D’Urakami on avait déporté 3,404 habitants. Il en était revenu 1.984, ce qui donnerait un chiffre moyen de 40.000 chrétiens. À ce chiffre il faut ajouter 8 à 9.000 chrétiens vivant à Ikitsuki et qui ne s’étaient point encore déclarés aux missionnaires par crainte des mesures de rigueur exercées contre leurs compatriotes d’Urakami ; plus un nombre inconnu dispersé sur toute la surface du pays. Donc, sur 25 millions de païens, l’Église pouvait compter, en 1873, 15.000 chrétiens, dont deux à trois cents hérétiques on schismatiques russes. Le territoire était divisé en 8 districts comptant plus de cinquante chrétientés avec trois églises et vingt-sept oratoires. Il était gouverné par deux évêques, Mgr Petitjean et Mgr Lucaigne, sacré cette année-là même, et vingt-neuf missionnaires ayant sous leurs ordres six religieuses, deux cent vingt-sept catéchistes, deux cent cinquante baptiseurs et soixante-dix séminaristes répartis en deux séminaires. Malgré les difficultés de cette époque troublée, le clergé avait pu créer six écoles de garçons recevant deux cents enfants, une école de famille avec quinze élèves et deux orphelinats comptant trente-six orphelins.

C’était un beau résultat et un consolant espoir pour l’avenir qui s’annonçait meilleur.

  1. C’est le souverain actuellement régnant.