Éditions Édouard Garand (29p. 43-44).

Chapitre II

LE CHANT DE L’OISEAU BLEU


Lorsque Paul Fiermont allait à Québec, soit pour un jour ou deux, soit pour y séjourner quelque temps, il ne se retirait pas à un hôtel ; il allait droit à son club (le plus aristocratique de la ville, cela va sans dire). Il avait sa chambre à coucher et son étude privée, à ce club, et cela, à l’année.

Le soir même de son arrivée à Québec, alors qu’il était installé dans le fumoir du club, il s’entendit appeler par son nom :

— Tiens ! Fiermont !

— Mais, oui ! C’est Fiermont !

— Comment va, mon cher ?

— Merci, ça va bien, Delherbe.

— Êtes-vous à Québec pour quelque temps, cette fois, Fiermont ?

— Oui, mon cher Le Mouet. Après les « Fêtes », voyez-vous, c’est assez déprimant la Banlieue ; je viens donc me distraire un peu à la ville.

— C’est Estelle qui va être contente de vous savoir à Québec ! fit Albert Delherbe. Et la mère donc !

— Renée, elle aussi, va être contente, ainsi que mes parents, dit Joe Le Mouet. Nous leur avons tant parlé, Renée et moi, de ce beau jour des Rois que nous avons passé au « château » !

— Et comment se porte Mlle Fiermont ?

— Elle se porte bien, merci, Delherbe.

— Il faudra que vous veniez rendre visite chez-nous, Fiermont !

— Chez-nous aussi !

— Vous êtes bien aimables tous deux, mes amis ! répondit Paul, et je ne manquerai assurément pas de me rendre à votre invitation.

— Topez là alors, Fiermont, dit Albert Delherbe, en riant, et allons faire la partie de billard.

— Ou bien la partie de cartes, ajouta Joe Le Mouet. Voilà justement Courville qui vient d’entrer ; il fera bien un quatrième, si nous le lui demandions. Qu’en dites-vous, mes amis ?

— C’est fort bien, répondirent ensemble Paul Fiermont et Albert Delherbe.

— Courville ! Hé ! Courville ! cria Joe Le Mouet.

— Allô ! Tiens ! Fiermont ! s’écria Jean Courville. Bienvenu, mon bon !

On le voit, Paul était très populaire, et cela ne saurait étonner.

Or, il y avait dix jours qu’il était à Québec, quand, un après-midi, alors qu’il consultait son calepin, il vit, au verso d’une page, une adresse, qu’il ne cherchait certes pas.

— Ah ! fit-il. C’est l’adresse de cet horloger Alexandre Lhorians… Pauvre oncle Delmas ! Il m’avait demandé de voir cet homme à propos de la malencontreuse horloge de la salle à manger… Je crois que j’irai voir ce M. Lhorians cet après-midi même. Je n’ai rien autre chose à faire, et j’avais promis à mon oncle… La rue C… Une des rues obscures et étroites de la basse-ville, je présume… Je ne connais pas beaucoup ce quartier, mais, avec une langue on va à Rome.

Vers les quatre heures, cet après-midi-là, Paul se dirigeait vers la rue C…, et arrivé au numéro 115, il aperçut une vitrine, sur laquelle était peinte : Alexandre Lhorians, Horloger.

Il entra. À la porte était fixée une clochette qui sonnait aussitôt qu’on pénétrait dans le magasin.

Un homme sembla surgir soudain de régions mystérieuses ; entre parenthèses, du sous-sol, tout simplement. Cet homme paraissait avoir de quarante-cinq à cinquante ans. Pas très grand, mais fortement râblé ; on sentait qu’il devait être doué d’une force physique extraordinaire. Sa physionomie dénotait une grande énergie, et ses yeux bruns qui se fixaient sur vous, étaient à la fois francs et doux.

— Quelque chose pour vous, Monsieur ? demanda-t-il.

— Monsieur Lhorians ? fit Paul.

— Vous désirez parler à M. Lhorians ? Il est occupé dans le moment ; mais si vous désirez l’attendre…

— Je vais l’attendre. Je ne suis nullement pressé.

L’homme avança une chaise auprès d’une table et dit :

— Vous trouverez sur cette table revues et journaux, Monsieur. Je vais avertir M. Lhorians de votre arrivée.

Resté seul, Paul s’amusa, pendant quelques instants, à feuilleter les revues et journaux, mais il fut bientôt las de ce passe-temps. Il se leva donc, et se mit à examiner les horloges et cadrans qui l’entouraient. Qu’il y en avait !… L’oncle Delmas eut été tout à fait dans son élément ici ; le pauvre oncle Delmas, dont la toquade pour les horloges était devenue proverbiale, de son vivant.

Dans le fond de la pièce, notre jeune ami aperçut une sorte de niche ou d’armoire, allant du plancher au plafond ; le contenu de cette niche était cachée par d’épais rideaux de peluche rouge. Une autre horloge sans doute ; l’horloge favorite, comme l’était, pour l’oncle Delmas, celle de la salle à manger du « château »… Paul sourit… Il n’avait pas hérité de la toquade de son oncle, et bientôt, cela l’ennuya beaucoup toutes ces horloges et tous ces cadrans dont il était entouré.

Il allait retourner s’asseoir et se remettre à feuilleter des revues, quand il s’arrêta soudain, cloué sur place par l’étonnement : c’est qu’un piano venait de résonner, au deuxième étage.

Aujourd’hui, les pianos ne sont plus des instruments de luxe. On ne songerait pas à acheter un ameublement de salon sans y inclure un piano ; ce dernier meuble est aussi essentiel, semble-t-il, qu’un canapé et des fauteuils. Chaque maison possède, de nos jours, un piano, un vitrola… sans parler du radio. Mais, ce récit se passait en 18…, et vraiment, il était assez surprenant d’entendre résonner les notes d’un piano dans ce quartier pauvre.

Une main légère se mit à jouer ce qui devait être la ritournelle d’une chanson ; c’en était une, et soudain, Paul entendit une voix souple et jeune chanter les couplets suivants :

L’OISEAU BLEU

— Dis, as-tu vu, mignonne,
Le petit oiseau bleu
Qui, sans cesse, fredonne
Sous la voûte des deux ?…
As-tu vu l’oiseau bleu ?
II
Aimes-tu, ma chérie,
Le charmant oiseau bleu,
Lorsque sa voix jolie
Lance un trille joyeux ?…
Aimes-tu l’oiseau bleu ?
III
Et, comprends-tu, mon ange
Ce que dit l’oiseau bleu ?…
Son langage est étrange ;
Mais combien merveilleux !
Comprends-tu l’oiseau bleu ?
IV
Dans toute la nature,
Ce que j’ai le mieux,
C’est la voix claire et pure
Du gentil oiseau bleu.
Que j’aime l’oiseau bleu !


Certes, ce n’était pas une grande cantatrice qui venait de chanter ; mais comme sa voix était fraîche et pure !

Celle qui venait de chanter avait mis tout son cœur dans ces simples couplets. Paul aurait aimé beaucoup pouvoir apercevoir la chanteuse ; elle devait être jolie, aussi jolie peut-être que l’Oiseau Bleu du promontoire, quoique, assurément, beaucoup plus âgée…

L’Oiseau Bleu du promontoire, qu’était-il devenu ?… D’autres annonces avaient paru dans les journaux, sans résultat. Alors, l’enfant ne devait pas habiter la ville de Québec… Pourtant, il était resté sous l’impression qu’elle demeurait à la ville ; ne lui avait-elle pas dit qu’elle n’était à la Banlieue qu’en passant ? Il est vrai que cela ne signifiait pas qu’elle demeurait à Québec…

— J’ai bien envie de faire des recherches, discrètement, s’entend, pour retrouver l’Oiseau Bleu, se dit Paul. Je ferai la chose très, très discrètement… D’ailleurs, elle n’est qu’une enfant, treize, quatorze, quinze ans tout au plus ; il n’y aurait donc rien de compromettant pour elle à ce que j’essaye de la retrouver la mignonne… Je crois que je…

— Vous m’avez fait demander, Monsieur ? Je suis Alexandre Lhorians, dit une voix soudain.