Éditions Édouard Garand (29p. 22-24).

Chapitre VII

LA PLACE D’HONNEUR


Ce n’est pas notre intention de parler longuement de l’inauguration du Musée Fiermont. Contentons-nous de dire que ce fut un réel succès. De quatre heures de l’après-midi à sept heures du soir, une foule défila dans le Musée, qui était à deux étages.

Le premier étage contenait des oiseaux et animaux empaillés, des minéraux de toutes sortes, des pièces de monnaie, des timbres, des armes offensives et défensives de presque tous les pays ; depuis le tomawak des Sauvages de l’Amérique du Nord, jusqu’au métrée des Australiens.

Une salle à part servait d’aquarium.

Le second étage contenait des objets d’art, tels que peintures, tableaux hors de prix, statues de marbre et de bronze, puis, dans un cabinet, des joyaux et pierreries de grande valeur.

À toutes ces choses merveilleuses, ajoutez des draperies, des tentures aux dessins artistiques. À la disposition de ces décors Mme Trémaine et Réjane avaient présidé.

Delmas Fiermont, aidé de Paul, faisait les honneurs de ce Musée, coûteuse fantaisie de millionnaire. Le jeune homme, cependant, s’occupait surtout de Réjanne, la conduisant d’un objet à un autre, lui faisant admirer et lui expliquant l’usage de telle ou telle chose.

— Voici de singuliers bracelets ! s’écria soudain la jeune fille. Mais… ils sont en fer ! ajouta-t-elle aussitôt.

— Ce sont des menottes, Réjane, expliqua Georges Trémaine, qui venait de rejoindre les deux jeunes gens.

— C’est donc cela des menottes ! s’exclama Réjanne, qui, s’en emparant, les glissa sur ses bras.

Tout d’abord, elle s’amusa à faire glisser les menottes sur ses poignets ; mais bientôt, cet amusement ne l’intéressa plus. Elle voulut enlever les bracelets…

— Mais, je ne puis plus les ôter ! fit-elle, avec un rire un peu contraint. Voyez donc, M. Paul ; elles ne veulent pas passer plus loin que le poignet !

Georges Trémaine essaya d’enlever les menottes, mais il n’y parvint pas.

— Père ! dit Réjanne, comme prise d’une sorte de panique. Enlevez-les ! Enlevez-les !

D’un geste quelque peu effrayé, elle tendait vers son père ses poignets délicats, tandis que des larmes, produites par l’énervement, perlaient au bord de ses longs cils.

— Si vous voulez me le permettre, Mlle Réjanne, je vais essayer à glisser ces menottes par-dessus vos mains ; puisque vous les avez mises si facilement, ce doit être, aussi, facile de les enlever, dit Paul.

Quoiqu’avec quelque difficulté, Paul parvint à enlever les menottes et la jeune fille eut un soupir de soulagement.

— Vraiment, fit-elle, lorsque les menottes eurent été remises à leur place, je n’oublierai jamais comment c’est fait des menottes maintenant ! Oh ! ces bracelets de fer ! J’ai cru, pendant un moment, que je ne parviendrais pas à m’en débarrasser ! et elle frissonna légèrement.

— Où donc t’es-tu procuré ces menottes, Paul ? demanda Georges Trémaine. J’étais sous l’impression que les policiers seuls avaient le droit d’en avoir en leur possession.

— Et c’est un policier qui m’en avait fait cadeau, quoiqu’il n’en eut peut-être pas le droit, répondit Paul. J’avais été dans l’occasion de lui rendre service ; alors, il m’avait présenté ces menottes, que j’étais fort content de posséder, sachant fort bien que peu de gens ont ce même avantage.

Le fait est que, ces menottes, Paul les avait trouvées dans la poche de l’un des habits de Peter Flax. Il regrettait maintenant de les avoir exposées aux yeux de Réjanne ; n’avait-elle pas dit, tout à l’heure, qu’elle n’oublierait de sa vie, comment c’était fait des menottes ?

Machinalement, Paul jeta les yeux sur son poignet gauche, auquel était passé le bracelet de fer… Comment s’en débarrasser ?… N’était-ce pas ridicule de penser qu’il ne pouvait trouver un moyen de limer, ou faire limer cette preuve de son arrestation ? Lui faudrait-il finir par prendre quelqu’un dans ses confidences ?… Prosper, le fidèle serviteur de son oncle peut-être ?… Mais cela lui répugnerait excessivement d’avoir à donner des explications à un domestique !… Enfin, il prendrait une décision sous peu, car il ne pouvait garder ce bracelet de fer à son bras pour le reste de ses jours ; qui sait quel mauvais tour cet ornement pourrait lui jouer, à un moment donné ?

— Paul, dit, à ce moment, Delmas Fiermont, il est sept heures, et Prosper vient d’annoncer que le diner est servi.

— Bien, mon oncle ! Je vais fermer les portes du Musée.

Bientôt, les portes du Musée étaient fermées au public ; tous étaient partis, excepté une quinzaine d’invités, parmi lesquels, inutile de le dire, étaient les époux Trémaine et leur fille Réjanne.

Paul vint offrir le bras à la jeune fille, afin de la conduire à la salle à manger.

— Vous êtes un peu pâle, Mlle Réjanne, dit-il. Sans doute, vous êtes lasse ?

— Lasse ! Mais, pas du tout !… Seulement… savez-vous, j’ai ressenti une impression si étrange, tout à l’heure… à propos de ces menottes, je veux dire…

— Essayez d’oublier ce petit incident, je vous prie, ou je me reprocherai toute ma vie d’avoir exposé ces objets à la curiosité publique.

— Non ! Non ! protesta Réjanne. Mais que ce doit être terrible de sentir ses bras emprisonnés dans ces bracelets de fer ! Ces pauvres malheureux qui sont arrêtés !… Sans doute, ils méritent de l’être ; cependant…

— Plus malheureux encore est celui qui est arrêté sous soupçon, et sans l’avoir mérité, croyez-le, Mlle Réjanne ! s’exclama le jeune homme.

— Comme vous dites cela, M. Paul !

— N’est-ce pas que j’ai raison ?

— Bien sûr que vous avez raison !… Quoique je considère que celui qui est arrêté et aux bras duquel on passe les menottes, est contaminé, par le fait même… et je ne tiendrais pas à compter ces sortes de gens parmi mes connaissances, assurément !

Paul se sentit pâlir.

— C’est parce que vous êtes très jeune que vous parlez ainsi, Mlle Réjanne, dit-il. Si vous étiez plus âgée, je dirais que vous êtes par trop préjugée… Celui qui est arrêté par erreur, est à plaindre et non à blâmer… Mais, parlons d’autre chose, voulez-vous ?… Ah ! l’oncle Delmas nous fait signe de nous hâter. Nous vous avons réservé la place d’honneur à table, Mlle Réjanne ; j’espère que vous l’accepterez ?

— La place d’honneur ?… Je… Je ne…

— Mon oncle vous adore, vous le savez, et puis, c’est la place que nous aimerions vous voir occuper toujours, fit Paul gravement. Ce n’est ni l’occasion ni le lieu de vous faire part de mes sentiments, je le sais, Mlle Réjanne ; mais, sans doute, vous avez deviné ?… Me permettez-vous de me présenter chez-vous jeudi, dans l’avant-midi ; c’est-à-dire après demain ? J’aimerais avoir avec vous un entretien important et sérieux… un entretien dont dépendra le bonheur de ma vie… Dites oui, Réjanne !

— Oui. Venez, après demain, dans l’avant-midi ; je vous attendrai, répondit-elle, en rougissant légèrement.

— Merci ! Oh ! merci ! s’écria Paul. Vous êtes un ange, Réjanne ! Je ne… Oui, mon oncle, nous venons ! s’interrompit-il.

Et plus d’un coup d’œil significatif s’échangea entre les invités, en voyant l’héritier de Delmas Fiermont conduire Réjanne Trémaine à la tête de la table et prendre place à ses côtés.