Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume I/Introduction/Chapitre VII-3


 
Traduction de James Darmesteter

Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1892.
Annales du Musée Guimet, Tome 21.


INTRODUCTION
CHAPITRE VII
LES GÂTHAS
iii.
Paraphrase des Gâthas dans le Varshtmànsar Nask.


Mais avant de juger de la valeur de ces traductions et de ces gloses, il faut être sûr de les comprendre, et le pehlvi n’est point encore de ces langues qu’on lit couramment : or les textes pehlvis dont il s’agit sont plus obscurs que tout autre, de toute l’obscurité de l’original qu’ils rendent. La traduction sanscrite de Nériosengh ne suffit point toujours à éclairer le texte pehlvi, par la raison même qu’elle est littérale et, par suite, nous abandonne toutes les fois que le sens littéral du pehlvi ne suffit pas, et il faudrait, pour faire jaillir la lumière, le secours d’une paraphrase exprimant autrement la même idée. C’est là précisément le service que nous rend le texte du Dìnkart dont nous avons parlé dans l’Avant-propos (p. v). L’Avesta sassanide possédait trois Nasks qui, à en juger par l’analyse du Dìnkart, s’étaient formés autour des Gâthas ; ce sont les trois premiers Nasks qui suivent le Stôt-Yasht, à savoir le Sûtkar, le Varshtmànsar, et le Bak, lesquels ont chacun vingt-deux chapitres répondant aux vingt-deux Gâthas[1] (en comptant dans les Gâthas les trois grandes Prières, le Yasna Haptaṅhâiti et l’Airyama ishyô). Le lien qui rattache le Sûtkar et le Bak aux Gâthas semble plus ou moins artificiel ; le Sûtkar contient nombre de légendes héroïques et mythologiques qui probablement ont été groupées autour des Gâthas par le dernier éditeur de l’Avesta, pour un objet purement systématique. Le Bak traite de sujets plus abstraits et plus dans l’esprit des Gâthas, mais ne les suit pas d’assez près pour être de grand usage dans l’interprétation de nos textes. Il en est tout autrement du Varshtmànsar. L’analyse pehlvie du Varshtmânsar suit, en général, d’une façon si continue, sinon complète, notre traduction pehlvie que l’on serait tenté de croire qu’il en représente une autre version, et que l’original du Varshtmànsar n’est autre que nos Gàthas même, n’était que dans un grand nombre de cas il contient des développements absolument étrangers aux Gàthas. Nous avons d’ailleurs une preuve directe que les Gàthas et le Varshtmànsar font deux : le chapitre xxiii de Varshtmànsar correspond à l’Airyama ishyô et l’analyse du Dìnkart n’a rien de commun, ni avec le texte zend, ni avec le texte pehlvi de l’Airyama. Or, un heureux hasard nous a conservé un texte zend, qui est clairement l’original de ce chapitre : c’est le Fragment IV de Westergaard, qui est un éloge de la prière Airyama, différent de la prière même. Ce spécimen nous permet de nous faire une idée de l’ensemble du Nask : c’est un Nask qui suppose nos Gàthas, qui les cite librement, les développe, les paraphrase, mais en est indépendant[2]. Or cette indépendance même est ce qui rend précieux le texte du Dìnkart, car il nous fournit un commentaire des Gâthas, identique de sens à celui que nous possédons, mais assez différent dans les termes pour en éclairer plus d’une obscurité.
Ces instruments, rectifiés ou nouveaux, permettent d’aborder les Gâthas avec plus de chance qu’on n’en avait jusqu’à présent d’y porter la lumière. Je n’ai point la prétention d’en apporter une traduction qui s’impose tout entière. Il y a plus d’un passage que j’ai dû laisser, autant dire sans traduction, et, en règle générale, dans tous les passages obscurs où le pehlvi offrait, soit des lacunes, soit un texte mal établi, je n’ai pu donner que des « hypothèses subjectives », par suite sans autorité. Et sans parler des matériaux nouveaux que peut apporter l’avenir, je ne doute pas qu’avec le seul secours de ceux dont j’ai fait usage, on pourra en plus d’un point rectifier mes traductions et résoudre des difficultés qui m’ont échappé. Mais je crois que dans l’ensemble l’esprit des Gâthas sera fidèlement rendu.



  1. West, Pahlavi Texts, IV, Dìnkart IX, 2-23 ; 25-46 ; 47-68.
  2. Le Varshtmànsar ouvrait avec un chapitre sur la légende de Zoroastre, intitulé l’Aèthrapaiti, qui manque aux Gâthas et pouvait leur servir d’introduction légendaire (Dk. IX, ch. xxiv).
    Le Varshtmànsar est le seul Nask qui soit directement rattaché aux Gàthas : « sur tout ce qui est dit dans les Gâthas, le Varshtmànsar dit quelque chose » (Dk. VIII, iii, iv).