E. Dentu (p. 41-46).


CHAPITRE IV

LA JEUNE FILLE RICHE


Les femmes, on ne saurait trop le répéter, trouvent sur leur chemin peu de jalons et beaucoup de piéges. L’homme, non-seulement cherche à leur plaire, il aspire à les entraîner. Pauvres, elles succombent par l’espoir d’un peu de bien-être, par le désir de s’élever ou d’être aimées.

Bourgeoises, elles cèdent par exaltation, par amour ou par découragement. Riches, elles tombent dans les piéges de l’intrigue, en demandant à l’amour de les sauver de l’ennui, plaie vive de l’oisiveté. On n’a rien négligé pour leur éducation, selon le monde ; du sérieux de la vie, on ne leur en a rien dit… L’arbuste tenu en serre chaude, pousse droit ; mais que les orages l’atteignent, il fléchit au premier coup de vent et se brise sous la tempête.

De toutes les catégories de jeunes filles, celles que la fortune a favorisées sont les moins expérimentées. La nécessité rend les pauvres ouvrières industrieuses, le bien-être rend les oisives inhabiles. Tandis que les premières ne recourent qu’à elles pour se servir, les secondes sont à la merci de leurs valets. Celles-ci, s’affranchissent par le travail ; celles-là, sont esclaves de leur incapacité physique. Et pourtant, lorsque l’égoïsme n’a pas défloré ces jeunes âmes, que de dons Dieu leur a départis ! On cite complaisamment ces petites personnes guindées dans leurs corsets, emprisonnées dans leurs crinolines, qui n’ont de but dans la vie que le plaisir. Véritables poupées articulées, frivoles créatures qui laissent leur âme s’effeuiller lorsqu’elle cherche à s’épanouir. Langage, mouvement, sentiment, tout est faux en elles ; c’est la jeunesse sans fraîcheur ni spontanéité, c’est quelque chose qui s’agite sans but et parle sans réflexion. À celles-là, donnez des millions, elles les dépenseront. Ne leur demandez pas de rien économiser pour les pauvres, elles seraient incapables de compter. Le piano ? elles l’ont étudié jusqu’au quadrille. Du dessin ? elles n’aiment que les figures coloriées des journaux de modes. En littérature ? elles se passionnent pour le programme des spectacles. En jeux de société, pour le bésigue. S’habiller, se déshabiller, penser peu, dépenser beaucoup, voilà ce que ces parasites humains appellent vivre.

Heureusement ce ne sont pas là les femmes, mais quelque chose qui leur ressemble et dont on parle parce qu’il gêne.

Quel contraste entre cette nullité vivante et la jeune fille riche stimulée au bien par sa mère. Mademoiselle Alice Betty aura un jour une immense fortune. Dès son enfance on lui a inspiré l’amour des pauvres. Celle-là n’est pas restée oisive. Elle a travaillé pour les orphelins du sort et s’est fait la protectrice de tous, l’institutrice de quelques-uns. Non-seulement elle donne son superflu, elle prend encore sur son nécessaire. Centre d’un petit comité de jeunes filles, elle les anime de son esprit, leur met au cœur la bienfaisance, et toutes ensemble, mues par une seule pensée, s’ingénient à multiplier les ressources qui doivent accroître leurs charges.

C’est par de jeunes personnes riches que sont soutenus, en France, la plupart des orphelinats de jeunes filles. Nous pourrions citer parmi elles, les plus grands noms, qui possèdent le pur esprit de charité : celles-là, en contractant de nouvelles obligations par le mariage, loin de faiblir, trouvent dans leur dévouement de nouvelles forces ; les frivoles plaisirs du monde ne les distraient pas de leur mission de charité, leur cœur est un foyer qui, plus il embrase, plus il réchauffe !

Nous avons connu une jeune fille, mademoiselle Marie Juillerat, qui se multipliait pour les bonnes œuvres avec une ardeur surhumaine. Le malade couché sur son grabat, l’enfant abandonné, le vieillard prêt à rendre son âme à Dieu, la voyaient arriver les mains pleines. Et ce qui les consolait encore plus que ces dons, c’étaient les douces paroles sorties de cette bouche d’ange.

Deux routes sont donc à prendre pour les femmes ; l’une qui les livre au hasard et les expose aux écueils du vice ; l’autre qui, avec l’aide d’une sage mère, les conduit à Dieu.

Sur ces deux routes, les rangs ne se confondent pas ; mais ici marche le vice enrubanné, bouffi d’orgueil, doublé de sottise, et qu’un échec précipite du faîte des grandeurs dans les bas fonds de l’abjection.

Parallèlement, l’autre voie s’ouvre, tantôt semée de fleurs, tantôt abrupte et rocailleuse. Depuis l’humble enfant pauvre qui s’y traîne jusqu’à la jeune fille qui y marche avec un appui, le terme n’est point incertain, il aboutit à la considération.

Qu’a-t-il fallu pour que toutes, au début de leur destinée, ne prissent pas la même voie ? que les unes manquassent de protection ; que les autres fussent protégées. À ces pauvres abandonnées, la mère ne servait pas de guide ; des autres, elle était la main, l’œil, la parole !

Marcher à tâtons dans les ténèbres, c’est risquer de s’y rompre le cou ; éclairer sa route, c’est en abréger le terme et voir de loin le but à atteindre : la vigie active ne se trompe jamais, et le jour où chaque femme comprendra la grandeur de sa mission maternelle, ce jour-là l’homme l’acceptera pour son égale ; car ensemble ils régénéreront la société par la transformation de la famille.