Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise IIII/Dessein V

eſt temps que vous qui auez fait profeſſion d’eſtre Amant, plein de perſeuerance, apres tant de tentations ayez quelque plaiſir, ſelon l’eſperance dont on vous a fidelement repeu, depuis le iour qu’il a eſté ordonné que vous viendriez en ce lieu faire preuue de voſtre courage, & que en fin vous y trouueriés ce que vous deſirez, auec tant d’affection & de paſſion. Or pource que vous eſtes coulpable, & qu’il eſt ſeant que vous ſubiſſiez le iugement d’Amour, il a eſté ordonné que vous auriez ce tēps particulierement à vous, & qu’il ſeroit determiné de voſtre affaire, ſelon la bonté de voſtre cœur. Parquoy c’eſt à vous à y penſer, & ie doy proceder contre vous, pour vous rendre la punition que vous meritez, ou pour vous inſtaller en la gloire de vos contentemens. Diſpoſez vous donc comme fidele Amant, a fin que vous acqueriez autant de grace qu’auez eu d’ennuy. L’Emperevr Puis que ie ſuis venu en l’ermitage d’honneur nouueau pelerin d’annour, ie veux & deſire demeurer exactement ſous les loix & couſtumes de ce lieu eſtant preſt de rendre conte de mes deportements : A cét inſtant voicy entrer en la ſale vn perſonnage eſtimé marchand pour ſon habit, il auoit vne belle aſſeurance & vne grace conſtante, ce qui le fit conſiderer de tous, & puis ſa facon auec humilité fut cauſe que l’on deſira oüir ce qu’il diroit & voir ſes actions : Approché de l’Empereur il luy fiſt la reuerence accompagnée de grande ſubmiſſion, alors l’Empereur le recognut pour celuy qui luy auoit baillé la figure d’argēt, & luy en auoit promis ce qu’il luy en demanderoit en temps & lieu, adonc le marchand luy fit ceſte harangue. Sire, apres auoir mis fin à pluſieurs grāds voyages, & ayant ſceu que vous eſtiés icy en lieu où toute courtoiſie abonde, toute galantiſe d’eſprit paroiſt, & le plus beau des ames ſe manifeſte, ie ſuis venu ſaluer voſtre majeſté, & auec cela vous ramenteuoir du don qu’il vous pleuſt m’octroyer quand ie vous laiſſé la belle figure. l’emperevr. C’eſt raiſon que vous ſoyez contenté. Le Marchand. Sire, il n’y a que Dieu qui me puiſſe contenter. l’emp. Ie l’entens ſainement, mais vous eſtes trop galand, & ſcauant pour vn marchand. le march. Sire, I’ay acquis & acheté de la ſcience ; parquoy en voſtre preſence ie n’oſe parler autrement que ſelon que le deuoir me commande de dire deuant le patron des beaux eſprits :Sire, pardonnez à ma preſomption, elle eſt humble. Et me faites l’honneur de m’accorder le don. l’emp. Pour le plaiſir & le bien que m’a apporté l’effait de la figure, ie vous ottroye le dō. {{sc|l’emp]]. Sire, dōnez moy, Madame, voſtre fille. l’emp. Elle n’eſt pas de condition pour eſtre donnee à vn Marchand. l’emp. Sire, donnez là dōc au Roy. l’emperevr. Serez-vous contant ? le march. Ouy ; Sire, pourueu que ce ſoit de bon cœur, car lors ie ſeray ſatisfait, & Vous quitte. l’emp. Ie la lui donne. le march. Sire, ayez en ſouuenance, & ne penſez plus à elle, car iamais plus ne partira d’icy puis que vous l’auez reſignee à celui qui la colloquera ſelon les loix de ce ſaint lieu. Il auoit encor ces termes ſur les léures, qu’vn petit murmure ſ’eſleua à la venue d’vn homme d’apparence, il auoit façon de Prince, geſte de grand, & entree de magnifique, eſtant ſuyui de gens bien en ordre, il ſ’approcha du Roy auec vne action de courtoiſie genereuſe, & modeſte, & luy ayant faict la reuerence luy diſt : Sire ie ſuis iſſu du grand Triſmegiſte & viens vers vous pour vous ſupplier de me faire droict ſur vn tort que ie preſume m’auoir eſté faict par ce ſage Empereur, lequel enuoya l’autre iour en priſon le grand Melancholicque, il m’eſt aduis que ceſte execution a eſté trop toſt faite, & partāt ainſi precipitee eſtre tortionnaire, veu que par le droict d’ancienne amitié deu à mes predeceſſeurs il eſtoit honneſte de nous auertir à ce que s’il auoit delinqué, iuſtice exemplaire non cachee, notable & non priuee, en fut faicte. L’Empereur qui eſtoit faſché que ſon bien ſe retardoit par telles venues, ſe fut volontiers mis en cholere, mais il ne ſçauoit à quoy telles parties tendoient, & ſi elles eſtoient faictes, ou auantureuſes, ayant toutesfois aſſez de courage pour ſe preparer à vaincre ſ’il euſt faillu ſ’offencer, reſpondit : Ie n’ay rien faict que par l’aduis du Conſeil, c’eſt au Roy mon frere d’en reſpondre icy, ie luy ayderay, & à moy d’en faire raiſon ches moy, ie m’y prepareray s’il en eſt beſoin. Il replicque, Sire ce n’eſt pas ceans le lieu, & n’eſt pas le temps de s’vlcerer pour pratiquer la guerre : Il n’y a qu’vn mot, puis que vous me faites l’honneur de parler à moy, ie ne vous demande ſimplemēt que la raiſon que vous me deurez quand vous aurez recognu la ſurpriſe que vous vous eſtes faict en vous faiſant tort m’en penſant faire, & ie vous en fais le ſeul iuge. Pour cét effect ou me conſiderez, ou bien enuoyez querir celuy que vous auez logé ſur la tour d’examen, & apres vous attribuerez le droict à celuy qui le merite. l’Empereur demanda l’aduis du Roy, de la Souueraine & des aſſiſtans. On fut d’aduis d’enuoyer là haut, donc incontinant on amena deuāt les Monarques Triſcrude que tous recognurent, on luy demanda qui l’auoit mis là haut, il n’en ſceut que dire, adonc l’eſtranger ſe fit cognoiſtre pour celuy meſme qui ſ’eſtoit dict le grand Melancolique, & fiſt raconter tout l’artifice par ſon Page. Et puis il ſe declara & fut recognu le Prince Traſite heritier du grand Triſmegiſte veritablement Seigneur des belles inuentions, & partant ſeance luy fit donnee, & depuis par effait on a cognu que ce qu’il auoit fait, n’auoit eſté qu’en intention de faire preuue de ſa valeur. Incontinant Gnoriſe requit que la porte fut fermee, ce qui fut fait, puis l’adreſſant a l’Empereur & repetant ſa remōſtrance luy dit. Entrés en la belle humeur de vos bonnes amours, & ſi vos fidelités vous le teſmoignent, oyés voſtre muſique ſouſpirer les doux accens que vous donnaſtes à l’aer, incontinant que ceſte belle affection vous eut touché.

J’honore des beautex des belles la premiere,
Je ſers des plus beaux jeux la plus belle lumiere,
Ie uou mes deſirs à la perfection.
Mon ame heureuſement en ſon amour s’eſleue,
Et mō deſſein parfait qui ma fortune acheue,
M’offre l’vnique obicci de toute affection.

Oriante beauté qui mon eſprit eſlances,
S’il m’eſt permis de viure auec mes eſperāces,
Ie te pri receuoir mes vœux deuotieux.
Animé par tes yeux tu me verras fidelle,
Et que te cognoiſſant vnique aymable, & belle,
Ie ne reuereray que l’honneur de tes yeux.
Royne de mes eſprits, ceſte maieſté graue
Ceſte belle rencontre & ceſte facon braue,
Qui vous practique, acquiert, & gaigne tous les cœurs,
Rendent mon cœur confu, car voſtre belle grace
Qui ſans les receuoir tous les eſprits enlace,
S’accordāt à mes vœux m’ottroye ſes faueurs.
Eſt-ce pas mon bonheur que ta beauté parfaite
Sans peſer mon merite, à mon ame permette,
De l’aymer, la ſeruir, l’honorer, l’admirer ?
Ie n’auois point de cœur auant cette fortune,
Mon corps eſtoit vne ombre, et ma vie importune
Ne ſcauoit que c’eſtoit d’aymer & d’eſperer.
Tout de cœur maintenant, tout d’amour, tout de flame,
Releué de valleur, ie ſus viuant d’vne ame
Qui me fait reſpirer tous effects genereux :
En ſi parfait eſtat, i’entretiendray ma vie
Afin que vous ſoyez fidelement ſeruie,
Autre deſſein ne peut me rendre bien-heureux.

Lemperevr. Ie ne fcay, pourquoy vous faites ma condition pire que celle des autres Amans, ſi ce n’eſt que vous me vouliés faire payer l’honneur du rang que vous m’auez fait tenir, lequel ie n’affectois pas : Lors que i’ay eu le contentemēt de voir & ouyr plaider les Amans, ie voyois la maiſtreſſe auec l’Amant, & moy qui n’ay pas moins de beaux deſirs, i’oy mes ſouſpirs eſtre raportez au vray, ie reſſen ma propre paſſion ſe mouuoir en mō ame, & ie ne voy point celle qui cauſe ma flame, ceſte beauté tant deſiree, tant offencee, tant inuoquee à pardon, ne paroiſt point. il eſt vray, i’ay receu vn grand contentement, & qui m’allegeoit beaucoup, quād i’ay entendu les fotunes de tant de cœurs menez diuerſemēt par l’amour, & leurs trauerſes ont ſoulagé ma peine, deſtourné ma grande melancholie & vn peu refait mō cœur, mais c’eſt ſans aporter fin à ma calamité. Si les yeux de ceſte belle ne reuienĕt ralumer ma vie, que me ſeruira de propoſer mon cœur ouuert en voſtre preſence : mais bien pour faire deuoir comme vray Amant, ie veux expoſer le ſerment de fidelité que ie lui iuray, la priāt de m’aymer. Page, repetez-le comme il fut ſouſpiré chez la Fee, & y ioignez la meſme induſtrie, cōme lors vous y futes dreſſé, le Page adōc chanta.

I’arreſte icy ma fortune eſtablie,
En m’obligeant à vos perfections,
Car ie n’ay plus d’autres intentions,
Ne d’autre obiet qui releue ma vie.
Mais auiſez douce Belle accomplie,
Qui m’acceptés en mes deuotions,
De faire eſtat de mes affections,
Et vous ſerez fidellement ſeruie.
En m’attirant par tant d’heurevx appas.
Ie uous ſupply ne me ſeduiſez pas,
Mais traitez moy comme ie le merite,
Uiuant ainſi, ce ſera veſtre honneur,

Car les beaux cœurs qui ſcauront mon bon-heur
Vou nommeront des parfaittes l’eſlite.

Que me ſert cela puis que ie ſuis ſeul, que ie parle auvent, & que celle qui eſt la gloire de mes entrepriſes n’eſt pas icy : Ie ſçay que i’ay failli la traitant mal, & ne ſachant pas fa qualité, qui toutesfois par raiſon telle autre qu’elle euſt peu eſtre, eſtoit aſſez puis qu’elle eſtoit ma Maiſtreſſe. Que voulez vous dauantage de moy ? & ie le feray. Que faut il que ie demonſtre pour faire voir plus de contrition, & quelle Palino ie chanteray-ie ? ie ſuis diſpoſé & appareillé de ſouffrir tout ce qui ſera arreſté contre moy, voila ie ne veux eſtre autre que treſhumble, affin que ie merite par la faueur des belles plus que par ma vertu, & ſi ma belle eſtoit preſente ie luy dirois,

Si vous auez le cœur capable d’amitié,
Iettés ſur mes ſouſpirs quelque trait de pitié.

Gnoriſe ayant recogneu ceſte viue affliction de cœur ſe leua & requit que la feneſtre d’azur fut ouuerte, pour dōner entree à l’iris de cognoiſſance & qu’il pleut au conſeil d’auiſer au bien de l’Empereur. La Souueraine ayant fait ſigne, les conſeillers vindrent à elle ſelon leur rang, & apres que chacun luy eut dit fon opinion, elle prononça,

L’Empereur ayant faict paroiſtre l’integrité de ſon cœur, doit receuoir le guerdon de ſes fidelitez, pource des maintenant il eſt liuré à ſon propre iugement, pour ouyr ce qui le peut conſoler, voir ce qui eſt capable de le contenter, & ſaiſir ſon ſouuerain bien ou il le rēcontrera & luy eſt loiſible de s’ēquerir de ce ſuiet, & ſuyure ce qui l’y attirera. Puis à temps opportun on fera paroiſtre l’Iris, s’il eſt beſoin, apres que les pretendans ſe ſeront preſentez.

La Souueraine fermoit la bouche acheuant cet arreſt & vn gentilhomme ancien & venerable ſe preſenta à l’Empereur, luy diſant, Sire cet arreſt ne peut eſtre executé ſans mon ayde, ie ſuis le vieil Meliquaſte auoué de la Souueraine, & qui ay conſeillé infinis princes & Rois Parquoy ſ’il vous plaiſt me croire, bien vous prendra de me ſuyure, & ie vo° cöduirai au labyrinthe d’Amour iuſques à la rencontre de vos deſirs. I’ay voſtre bien en ma puiſſance, la Belle eſt en mes mains, ie l’ay trouuee apres vne longue recherche par le commandement du Roy ſon pere. Ie l’ay conduite où elle eſt maintenant, & dont elle ne bougera que vous ne l’en tiriés : l’Empereur trāſporté ſe leuoit pour ſuyure Meliquaſte que les deux amās muetz furēt introduitz presētez par Eurogire, adōc la Souueraine tourna vne petit canelle d’or, dont il coula la liqueur notable qui eſt de couleur accomplie, de laquelle elle les arrouſa, auſſi toſt ils furent reſtituez en leur premier eſtat, & renuoyez à leur diſcretion. Cette liqueur eſt icy conſeruee dans vn vaſe d’or brillant cōme verre. On nous a dit qu’elle eſtoit cueillie d’vne fleur qui eſt ſœur du ſoleil, & qu’en ce pais là ils nomment le Soleil de la Terre & ſon ame, ceſte liqueur eſt treſprecieuſe effacant toutes infirmitez, & quelle eſt l’effait de Xyrile qui auſſi ſ’en reſiouit meſme par le continuel vſage qui luy eſt frequent, elle eſt telle que ſon vrine ſe conuertit en baume, ſa ſueur en ambre gris, ſes larmes en perles, ſes ongles en argent & ſes cheueux en or & disēt les ſages qui nous ont prié de ne le diuulguer qu’aux gens de bien, que ſi elle engendroit comme elle pourroit eſtant legitimement vnie à ſon deſirant, & deſiré, ſes enfans ſeroyent des corps ſi parfaitz qu’on les iugeroit n’eſtre qu’eſprits, pouuans communiquer leur perfectiō aux imparfaits. L’Empereur eut vn peu de patience impatiente, puis ſuyuit Meliquaſte.