Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise IIII/Dessein VI

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DESSEIN SIXIESME.


L’Empereur ſuit Meliquaſte au labyrinthe où il void pluſieurs apparances notables en allant. Meliquaſte raconte à l’Empereur la fortune d’Etherine, la repreſentation de laquelle luy apparoiſt dans la ſale du milieu.



SOus le plus ample palais de l’Hermitage d’hōneur, eſt vn labyrinthe tout taillé dans le roc, ſur lequel auoit eſté baſti vn des antiques logis que Sarmedoxe auoit oſté : ce labyrinthe eſt vne merueille en ouurage, & a eſté vn miracle en nature qu’il ſe ſoit trouué en terre vn roc ſi propre pour cet artifice parfait entre les accomplis tant pour l’excellence de ſa ſtructure où il ny a nulle faute, que pour les belles veines de pierre qui le rēdēt lumineux, moyēnāt vn petit ſouſpiral, que pour pluſieurs raretez exquiſes que l’on y remarque, & ſur tout en la ſale du milieu, laquelle eſt en voute ronde faite en doſme, & qui na qu’vne ouuerture outre la porte par laquelle on y entre tout aupres hors la ſalle eſt vne petite vis qui conduit au cabinet où eſt la belle figure. En ceſte salle & belle grotte, il y a vne petite ouale non au ſommet, mais vn peu plus bas vers le midi, par où le ſoleil iette ſes rayons, & alors on void non ſeulement en ce bas tabernacle ce qui eſt recellé, mais on diſcerne ce qui eſt viſible à vne lieue à la ronde, & celà par l’inuention qui s’y eſt trouuee à propos, dure enuiron vne heure & demie, peuplus peu moins ſelon le temps, l’ouurier l’eut bien fait pour durer d’auantage, mais les autres baſtimens l’empechoyent, l’Empereur ſuyuant Meliquaſte deuala de grand courage là bas, n’eſpargnant ny peine ny diligence.

Le Roy fut informé de toute l’affaire, & sō ſiege eſtoit iuſtement à l’endroit par où paſſoit l’Iris quand il paroiſſoit, quand l’Empereur fut ſorti, les Princes & les Dames diſcoururēt de pluſieurs auātures, & les aliāces furent conclues, car l’Empereur ne pouuoit ſe dedire du don de ſa fille au Roy, & puis tous les autres eſtoiët d’accord pour celebrer les nopces au prochain iour à ce que les amours fuſſent trouuees ſaintes & legitimes ſans quel but iamais le Roy ny les autres n’y euſsēt entēdu, l’honneur eſtant leur conduite. Cependant chacun entretenoit ſa dame, & le Roy deuifoit auec Etherine, & l’ētretint tant que venu le tēps d’vn artifice propoſé il fallut qu’elle ſe rangeat. Tandis que ceux cy ſont fi doucement occupés de ce qui ſ’offre, l’Empereur cheminoit par les allees du labyrinthe, oyant les diſcours de Meliquaſte & aduiſant les differentes ombres qui ſe preſentoient ſous terre. Si vn courage laſche ſe fuſt hazardé à ceſte veuë, ſi vn cœur bas s’y fuſt aduanturé, mille frayeurs l’euſſent ſurpris à la rencontre des apparences qui peuuent quelquesfois eſpouuanter les plus aſſeurez. Et puis ce Prince qui ſçait que c’eſt des hazards, & la difference des feints aux veritables, tranſporté d’amour & d’aiſe de iouyſſance de bien futur, & du plaiſir qu’il a d’ouyr ce que raconte le vieillard, ne ſe peut effrayer des obiets paſſagers qui le viennent tenter : Incontinant qu’il eut deſcēdu l’eſcalier pour entrer aux allees & galleries, n’ayant pas pris garde à l’actiō de Meliquaſte, il mit le pied ſur le ſueil, & comme il ſe fut balancé ſur ceſte pierre, elle tourna, & ſans doute luy eut fait prendre vne triſte cheute, ſans qu’il ſe ioignit à ſoy-mefmes, & ſe tenant droit & ferme, ſe laiſſa porter à bas par le tour que la pierre fit ſur ſon centre & ſe trouua debout, & ceux qui y obeyſſent tombent, ce qui fut aduenu à l’Empereur, s’il n’eut eu honte d’eſtre pris au piege, où les petits eſprits ſe laiſſent ſurprendre, il mit ſus à ſon propre vice la faute qu’il auoit faite de n’auoir agembé ce pas. Ayant paſſé vn petit tour, il vid vn brillant comme de feu lumineux, & il ſe tourna d’autant que c’eſtoit du derriere qu’il procedoit, & il apperceut vn Dragon qui auoit de grandes æſles, il ſe tint fur pieds pour diſcerner ce que c’eſtoit, & s’arreſta attendant s’il approcheroit : auſſi faut-il attendre ce qui ſuit, & s’oppoſer à ce qui vient contre quand on ne les peut euiter. Meliquaſte paſſoit en haſte, & l’Empereur laiſſant ce Dragon qui auoit gliſſé autrepart, ſuyuoit, & au proche deſtour trouua vn grand ſerpent frayant le paué, il ne ſe peut tenir qu’il ne voulut eſtre aſſeuré que c’eſtoit : donc il prit ſon eſpee pour taſter la beſte, qu’il cogneut eſtre feinte figuree par la reuerberation qui ſe faîſoit ſur l’ombre d’vn contrefait releué, & poſé en l’āgle d’enhaut, il eut preſques honte d’auoir tiré ſon eſpee, toutesfois il s’en excuſa ſur le deſir que il auoit d’ouyr l’hiſtoire que racontoit ſon conducteur, & celà luy nuiſoit. Ayant ainſi commencé à faire peu de cas de telles apparences, il continua à meſpriſer le reſte, eſtimant de meſmes quand le crocodile luy vint enuelopper les iambes, il le void, mais n’en ſentant rien, il trouue admirable & agreable ceſte gentilleſſe, qui fut ſuyuie du grand Lyon verd, puis du Baſilic, dont il receut facilement les belles figures alleché par les beautez de la queuë du Pan qui le retint plus que les autres, parce qu’elle luy ſembla plus veritable que toutes, & peut eſtre ſeule vraye, à cauſe que dedans vn des miroirs du milieu, il luy fut aduis qu’il vit vne figure reſſemblant à ſa deſiree Etherine, ainſi cōme quand on ſonge, on eſtime tout n’eſtre que ſonge excepté ce qui plaiſt. Il n’auoit pas apperceu le corbeau, car il ne faiſoit point clair où il eſtoit, mais vn peu apres il le vid qui pouſuyuoit deux innocētes tourterelles, dont il eut tant de pitié qu’il leur tendit ſon ſein, où il luy fut aduis qu’il les receut, mais elles paſſerent imaginairemēt cōme les autres, il cuidoit pourtant repouſſer le malin corbeau, & ſa main ne rencontroit rien : Il ne s’y amuſa point d’auantage, car ſon cœur eſtoit occupé au fon qui touchoit ſes oreilles eſcoutant Meliquaſte qui alloit touſiours filant ſon pro pos qui eſtoit tel. Ayant beaucoup trauerſé de terres, veu diuers Royaumes, practiqué pluſieurs Prouinces, & hanté toutes ſortes d’hommes, ie pris la route du deſiré pays de Quimalee, eſtant là auec les miens, & viſitant ſouuent la Princeſſe Caliambe que i’honore infiniment pour ſes rares perfections, ie vis aupres d’elle vne treſbelle Demoiſelle, qui à mon iugement eſtoit eſtrangere, & comme on cherche les occaſions de ſçauoir, i’en trouue vne de demander à la Princeſſe qui eſtoit ceſte belle, laquelle me fit entendre ce qu’il luy pleuſt. Elle me dit que elle appartenoit à vn Ancien qui l’auoit amenee en noſtre contree, & qui l’auoit donnee en garde par ſupplication au Roy, pour autant qu’il ne pouoit plus tenir aupres de ſoy, attendu que on l’eſtimoit trop belle & accomplie, pour eſtre eſtimee fille d’vn perſonnage de ſi petite qualité, & puis eſtant de grand merite, il eſtoit plus à propos qu’elle fuſt en la Court de quelque Roy. Ie ne puis me tenir que ie n’entraſſe en quelque belle affection pour elle, ayant remarqué ſon merite & cogneu ſes perfections qui ſont à la verité notables & exquiſes, elle eſt beile & ie ne penſe point auoir oncques veu Dame plus accōplie en beauté, que ceſte-là. Il n’y a ſcience dont elle n’ayt cognoiſſance, & eſt tant ſage, qu’elle paroit pluſtoſt Royne que ſimple Demoiſelle. Ie la voyois ſouuent, & de tant plus mon affection à la ſeruir croiſſoit, & bien que ie me trouuaſſe indigne de ſon amour, ſi auois-ie tant de plaiſir à me paſſionner pour elle que ce m’eſtoit aſſez : Et pource que ie m’eſtois addonné à tout ce qui peut & doit plaire aux beaux eſprits, ſçachant vne infinité de gentilleſſe, ie luy en dōnois le plaiſir, & pour toute ſatisfaction de mō amour luy communiquant ce que i’auois de plus rare, ce m’eſtoit aſſez ſi parfois auec ſa bonne grace ie pouuois deſrober ſa main pour la baiſer vn petit, ce que i’executois non en ſigne d’amour, car ie n’euſſe oſé, ains en hommage à celle qui peut dominer tous cœurs. Elle voyoit bien l’indiſpoſition de mon cœur, & en auoit pitié, & comme ie le penſois elle compaſſoit par ma paſſion cōbien plus auroit de trauail celuy auquel elle a pofé ſes affections, s’il l’ayme. Ie me fuſſe volontiers bruſlé d’Amour pour elle, mais incontinant ie rabbaiſſois ce beau penſer, eſtimant que ce me ſeroit folie de me conſumer pour vne qui eſtoit de trop grand lieu, & qui appartenoit d’amour à vn grand Monarque. Noſtre frequentatiō m’ayant inſinué en ſes belles graces, elle me cōmuniqua ſes affaires, qu’elle faiſoit tant pour me gratifier, tirant de moy mille petits plaifirs & ſeruices, que pour m’empeſcher de l’aymer d’amour, ce qui ſucceda, car quand ie fceu qu’elle eſtoit la Princeſſe de Boron, i’arreſté mes affections qui ſe conuertirent toutes en pure volonté de ſeruice, auſſi m’auoit-elle tellement dreſſé à ſon vouloir, & cognoiſſoit tant biē mon cœur, qu’elle ne fit point de difficulté de me deſcouurir ſon eſtat & ſa fortune, me manifeſtant que deſireuſe de voir & ſçauoir ſi ce qu’on luy racontoit des perfections de l’Empereur de Glindicee eſtoit vray : Elle ſe deſguiſa, & le vint voir iuſques en ſon pays, vſant d’vn artifice non practiqué, & nouueau s’eſtāt fait enleuer par vn Pyrate feint qui la donna à ceſt Empereur, lequel l’obtenant ſans la cognoiſtre luy fit pluſieurs demonſtratiōs d’honneur & de courtoiſie, qui eurent des fins ſemblables à l’excellence d’Amour deſirant, & me parloit de vous comme ſi ie ne vous euſſe point cogneu. Ceſte vigueur d’Amour vlcera leurs ames, & aduint qu’eſtans à la chaſſe il ſe faſcha contre elle, & la fit expoſer au milieu de la foreſt, où ſe voyant abandonnee, ſe reſolut de mourir, & s’en eſtoit deſia aſſeuree, ſe tenant preſte d’attendre le dernier peril, ce qui fuſt aduenu ſans l’arriuee d’vn Marchand bien accompaigné qui la retira, & auec lequel elle a touſiours eſté iuſques à ce que venuë en l’iſle de Quimalee a demeuré auec la Princeſſe Caliambe, en la com pagnie de laquelle elle eſt venue à l’Anniuerſaire. Or, Sire, elle a ſceu qu’il y a vn Empereur icy, elle croit que ce ne peut eſtre vn autre que vous, parquoy elle m’a enuoyé vers vous pour ſçauoir ſi eſtant retourné en voſtre terre, vous auriez agreable qu’ell vous allaſt voir, pour vous demander ſelon voſtre iuſtice raiſon du tort que vous vous eſtes fait en i’outrageāt. L’Emperevr. Ie ſuis icy en vn labyrinthe corporel, & vo° mettez mon eſprit en vn plus difficile, ie ſuis venu expres icy pour la trouuer, & elle me veut renuoyer : Elle eſt mon ſouuerain bien, c’eſt pour l’amour d’elle que i’ay tant ſouffert d’ennuys, & il m’en faudroit ſupporter de plus difficiles : Ie luy deſire faire voir que c’eſt à elle que i’addreſſe mes vœux, & elle me veut eſloigner, c’eſt vouloir prendre trop de vengeance de moy. Mais dites moy mon pere mon cher amy, eſt-elle en ceſte Court ? i’ay veu la Princeſſe Caliambe, mais elle n’y eſtoit pas. Meliqvaste. Ie vous diray, Sire, vous me ferez tantoſt telle reſponſe qu’il vous plaira, nous verrons ſi c’eſt celle que vous pēſez, car ie ne ſçay ſi elle m’a deceu. Ils cheminoient deuiſans, & l’Empereur par meſgarde marcha ſur la plante du myrthe vif, ce qu’auiſant il ſe retint, le redreſſa contre le mur, puis il entra en la ſale ronde apres ſon conducteur, lequel tira la porte ſur eux, puis tira vne fiſcelle qui fit vne ouuerture à la voute par où vint vne viue lumiere, qui fit voir à l’Empereur l’excellence de l’ouurage, tel qu’il ne voyoit là aucune iointure, ains ſeulemēt vn enduit continuel, & qui plus eſt merueille exquiſe, il parut en la ſale tout ce qui ſe faiſoit pour lors tout à l’entour dehors aux champs & aux Palais. L’Empereur iettant l’œil vif partout, auiſa Caliambe, à la conſideratiō de laquelle il s’arreſta pour eſſayer à voir Etherine, mais ce fut lōgtemps en vain, car il ne iettoit pas ſa veuë où elle eſtoit, apres qu’il eut obſerué les obiets il aduiſa ententiuement la ſale d’Innocence, & y apperçeut vne chaire enuironnee des Dames & des Princes, & en ceſte chaire il vid ſon Etherine tāt deſiree, ce fut à ceſte heure là qu’il n’eut plus de patience, il pria inſtamment le bon Meliquaſte de le retirer de ce labyrinthe, à ce qu’il ayt pouuoir d’approcher de l’excellence de ſon bien.