Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise IIII/Dessein IIII

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DESSEIN QVATRIESME.


L’entree du grand Melancholique contempteur de ces gentilleſſes. Il eſt mis nud en la Tour d’examen. Il en ſort par vn bel artifice aydé par ſon Page.



LE matin que le Soleil auoit eſtendu les plus riches draps qu’il eſtale pour faire honneur à ſa propre lumiere, & manifeſter la fortune~. Erttreprijê 1v.· ·

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gloire de celuy qui le guide : & que defia le iour auoit alfeur~ le te1ï.1ps : Orcofee out1rit les portes d’Or c11 îig11e qt1e tous ces iotJrs & cefre Sen1ai11e eiloie11t v11 feul iour tout d’or. Attffi il auoit ellé ai11G. adt1ife, & qu’il 11’y au,roic point difri11étio11 de iours e111 de1nonfrratio11 des facrez n1y{l :eres & aétions qt1i s’ offriroye11t : At1ffi, l,elles a111es ·, nous 11’at1011s pl11s de iour 11y d’l1eures. decer1ninees : Nous ne defctuiîo11s plt1s les re11co11cres co1nme paraua11t, notls les efj1lt1cl1011s felo11 le plaifir, ,le peur d’efrre furpris, car il 11ousfi.1ffit de ce qui efr fans obfi :ruation de ten1ps , de peur de ma11ifefrer aux i11dig11e~ cc qui 11’appar~ie11c qt1’at1x vràys Amans , & qui fo11t ell :at. de la perfeétion, laquelle s’ acqt1iert p :1r vertueufen1c11c ay1ner. Ai11fi que 11ous eû :io11s e11 la fale d’i1111oce11-. ce , e11 laquelle tot1t eO :oit 111ag11ifi,1ueme11t ordon11é, voicy e11trerv11 per1on11age de faço11 . ta11 c rclcuee , qu’elle fut : it1gee l1agard e. I 1efl :oit : po11rta11c galand de n1ine, & d’apare11ce d’auoir ell :é n1icuxnou.rry qu’il 11e tàifoit pa :roi{l :re. E11 e11tra11c il fe p.[it à rire d’, 11e fa.co11 defdaig11et1fe, fe macquant de 11o.s a.étions. ~oy, dit-il, Qgelles ferieufes folies fo11t-ce cy ? quelles indece11tes fa11taiGes capal)les d.e te11ir en11naillotté les fe11s de fi gra11ds .Mon.1rques ? E11 quelle frenaifie fo11t crefbt1cl1ez les Sages fe prop,ofans ta11t de va11itez pot1r l’e11tretie11 de let1rs e11te11dcn1e11s ? C’eil ai1x efprits bas que fo11t fèa.ntes ces vetilles : Ces a.111t1fen1ens 4’An1ours fo11t propres à rete11ir & dit1ertii : 1

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BOb iiij 7 ~o

Le ruoyage des ~princes

des gés de peu.Il efl : i11dig11e at1x efprits Royauiç de.s’y defl :ourner. A la verité il feroit pl11s fea11t Aées Monarques de,vacquer ferieufeme11c au~ affaires de leurs efl :ats, que de s’ abuièr à ces infolentcs n101111neries. Lailfez ces ioiiets c :11fa11tins,reiettez ces ieux de ic :unelfe, ofl :ez ces de., ceptions d’ efprits derraquc :z de la voye droiéte. letnemocquede cesfaço11s i11utilc :s : le me rÎ !i. de ces ofl :entations follettes,& detelle ces 111yfrere’s de pure Folie : Et Roy des braues, Pri11ce des Curieux, Seigneur des ù1ue11tions, i’ :ibo111ine ces fa.laifes. G11orife oya11t ces importu11itez, & le peu dereuere11cede cefl : effronté, fic figne i quatre puiiia11s compaignons qui eG :oienc là, de fe (aiGr de· fa ·perfon11e, ce 1.1uïls fire11t pru’1e1nrrte11t, & fa11s extortio11. Il ,·aul11t contrec, dire & fe reua11cher,1nais 011 luy dit qu’il perdait temps, car où. eO :laforce, il co11uient ooeyr, & flattât qu’il falloit parler àl’Empereur&qu’ai11Ii luy fallait efl :er à droit : Ado11cques ils le fire11t approcl1er,& l’Etnpereurpar l’aduis du Co11feil luy dit : Hom111e peu refpeél :ueux,&com1ne i11J fe11fé, & f.11~s recog11oifrre le deuoir, qui elles vo11s ? le fuis, dit-il,legrand Melanchaliq11e qui ay en horreur ces fre11aifies. L’EMPEREVlt. Si rien ne votts plaifoit icy, vous n’y deüiez pas veJ1ir, 0~1 y eO :a11t ven11, au oir ell :é acco ?Jpaigné de deuo1r&refpeél : pour le n1oi11s a11x : perfo11nes,& ’ousauez deuvousgarder d’ offe11ceraucu11, pri11ci palemét efl :a11 t e11 lic :u où l’ 011 peut & doit faiÎtlll :iceà cl1acu11. LE MELANCHOLIQ. :. ~lie ~~lt~c9 f~auriez-vo11s fai~e eltant hors de vous ?

re

fortunez. 8ntreprife IV.

7.61

N’el.l :es vous pas bie11 hors devous, qua11d au lieu de paroiO :re 1nag11anime E111peret1r, vot1s aŒllez icy e11 langui{la11t A111anc, & a11lie11 d’v11 cœur de guerri~r, auez v11 co11rage faible & dan1eret. L EMP.-· le pardo1111erois Yoll)ntiers à voilre te111erité fi vo11s11’ a11iez ofFe11céque l’ A1nour qui m•eaa11ce qt1a11d ie ’CllX, ’& q11e ie fay reCttler de 1noy lors q11’il 111e plaiil :. Ec vo11s ren1ct-’ trois voG :re faute, !i feul vo11s 111’attaquiés.11ais vous auez offe11cé co11s les bea11x cœ11rs,e11 i11tereifa11t l’ A1nour, contre let111cl vot1s a11ez n1all1eureufement blafpl1cmé : & r-uis brauant e11 i11folens epicl1etesvo11s eO :es die Seig11e11r des in11e11tions. 011 vo11s iugc par voftrc parole, parq11oy v-ous lailfant e11 vos opi11io11s,il fa11dra qtte vous faciés paroiltre fi vo11s eftes fi gra11d ir111cnteur que vo11s dites, or oyez voG :re arrcCT :. Tour vos vanteries arrogantes, vo1is ferés mis 111td fier la Tourd’ exarnftl, l.i vosu :iclJetJerJs vos folies, 01, deuiendrés fage.

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Inco11ti11e11t il fut co11d11it à l :1. to11r, à lacj_ttelle 011 va parv·11e galerie qui eG : depttis la 11111raillc d11 petit p :rc, iufqt1es à l’ e11clos du parterre de la T 011r. Cell :e gallerie eft totttc de 111arbre,& vo11tee en plat fons, & à coG :é, d’arcades à Î<)tlr, par où l’ 011 void les iardi11s ; eftans c11 celle galerie, le 1v1ela11cl1olique fi1pplia, q11’il eut congé de dire v11e parole à fan Page, a11a11t t11ril ft1t exclus de to11te co111pag11ie l1t1111ai_11e. 011 le ra porta a11 côfeil & il l11y f11t·pcrmis, le Page veii1t, & parlai l11y fort peu & le re1111oya. La tot1r efl : a11 111ilie11 du gra11d iardi11,elle,a de ha11t vi11gt & v11e toitout .1 l’ e11co_ur cfl : V 11 q narré : do11 t les ]ign eg 1

r~s ? i 6, 2.

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Le ’V( !_Yttge des ’ :Princes

fo11t loing de l.J tour dé cinq toifes, ce carré eŒ paué de rnarbre de diuerfes couleurs,c’ c !l : v11 fingulier & notable ai :tifice e11tre tous,d’ a11ta11c que la to11r efr v11 cyli11dre bien planté, aya11t autot1r foy plulÎe11rs poi11ces, par le 1noyen des ombres .defquc :lles efrant_re1narquees à propos, felon les temps on cog11oiil : les l1eures (ur les 1narbres, ta11c du paueme11c q11e de la tour, la porte po11r y mo11ter efr àtt•~o !l :é defepce11trion, :a11 deda11s il y a pluGeurs belles fallcs & cl1ambres, où font de bea11x meubles & rares macI1ines, & rarecez remarq11ables. Tout au. l1aut il ;· a v11e cerralfe pauee de marbre 11oir, e11uiro1111ee <.ie q11arantc trois wcadei i :aillees en 011ale, & touteàutrc forte de’ fig11res adioi11tes à pi11lie11rs corn partin1ês à iour, de mefme faç6 q 11e la galerie d’ en1 bas,ces arcades feruent de garde-fo11s ou baladriers, ;l ce quel’ on f’y accoude, 011 que l’on 11’ait horreur d’aprocher fur le ras,où que sas y péfer on t6be. La fut me11é & lailfé nud Ie grand Mela11cl1olique expofé com1ne celuy q11i fort d11 ventre n1ater11el, puis la porte en trape laquelle eil : de fet. fut fermee : Or pour ce q11’ 01111e veut que ’celui qui eil :ai11fi expofé, fc n1esf.1ce, on le cei11t par le co~ps d’v11 ti11u de 1naille, qui c !l : abouti d’v11e cl1ai11e repalfee de cordes de foyc çrui ;, attacl1ee à vne boucle de fer, qi1i eil : au milieu de la ter.ra !Iè, e11 laq11elle fe peut protimener le patient qt1e l’ 011 y lailfe, ta11t qui ! l’ 011 facl1e qu’il foit befoiu de le retGur11er querir, apres que fa peille aura eO :é a{lèz lo11gt1e, cepe11da,1t qt1’il efl : là il recoit par le garde, v11 pet1 de pai11 q11’il lt1y ~ç11çl auc ;:c v11e pi. ::qt1e

de .la çl1a111bre lJat1te, 011 ;

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fortunez.. Entreprijè : I ,, .

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il ya v11g regardài.nont, ce pdi11eO :accompaigné d’v11e merueille = c’ ell : qt1e tbt1t là haut il y a v11 petit t11ya11 de fo.11taii1e d’eau clair( !, filla11t alfez pour abret111er v11 l1omme par iour,,auec cell :e commodité, le gra11d 1nela11colique ft1t lailf~~ & fut raporté a11x Pri11cès qu’il auoit ell :é en to11tes fes aéèio11s & paroles côll :a11t & vcnerabie, trancha11t du gra11d & 11e s’efpquua11ta11t aucu11eIT).et1t, ains lailf.1nt tot1~ faii :e ce qu’ 011 vouloir. Çell :e execution faite, or1 po(a la garde au bout de la galerie. La coull :utne e !l :oit telle, q)la11dil yat1oitlà vnexpofé,quel’o11 mettait .e11 cet e11droit v9e fe11ti11elle, ccluy qui e~1troic au mati11 y reGdoi~ iufqt1es an1ïdi, & celt1y qui Iuy fuccedoit y de111et1roit iufques à la nuit & de 11t1ic les fe11t1nelles 11’y eû :0yept qu’vne l1eure, Lo le11demai11 le page ·alla libremç11t où e/.l :oit le foldat, a11quel il parla a !îezlo11g te111ps,,(e 1nita iouer d’vn lut qu’il auoit apporté, puis f- ;e11 re.,. tour11a. Apfes midy le page reuiI1t, aya11t fon lut fous le bras, & onlelai !là pa !Iercomn1e au n1ati11, ~/.l :a11t venq, le not1ueat1 fc11tinelle le care !fa a{fez, ioi11t qt1el’ at1tre li1y a11oit raco11té co111111e il luy auoit donné le plaiGr,de fon lut= tant qu’il vouloit. Ce pp.geaya11t v11 peu difcouru at1ec le Soldat, il le pria delt1y .per111ettr~ d’ allrr a11 pied de la tour, pour ouïr fi [011 maifl :re fc plaignait :, Voire I.uy dit le Soldat, & co1n111c11t le po11rriésvous oJir ? LE :r>AGE. fi feray fort bie11,& y et1t-il qt1atre fois auta11t de difl-a11ce, 111c !Ï11cs i’ oiray bie11 s’il ro11fle ou s’il dort paiGblc111e11t, ou s’il fp11fpirc, & s’il parloit at1fli bas c6111c q11a11d 01~ qi t qt1elque

cl1qfe ~ l’oreille, ic le difcer11croi~~ .

. 764 . · ·Le ’V~yag·e·vles ’Princès ·. .

.1 :· E S o ;’DA T. le ne pè11fe pas qt1è cella fe pt1iie, fi ce11 efl :·pa :r fort~ L,E PAGE. 0 la ;pat1ure refolutio11 ! à la verité il 11’y a poi11t de fort, il 11’y a ’aue

... de l’i11dufrrie 11àtt1relle·. LE S 6 Ln AT • Tu te mocqt1es ·Page. Ie ne.le vot1drois ’pas 11’e11 aya11t poit1t d’ occafio11 , & lÏ vous voulez vous l’orrez auffi, mo11 n1a10 :rem’a et1feio-11é ce fecret, & defaiél : G ie veux prefrer l’oreille i’ oirray .fil fe pro111ne11e 011 f•il efl : aflis 011 cot1cl1é. Aya11t dit cela, il prit v11e fleur cpntrefaié :e q11i efroit de foye, bien elabouree, & f e11 frotta les deux trous des oreilles, le fro11t & le 11ez, puis il le n,it ft1r fo11 n1a11teau, & ella11t pres de1a tour il dit au Soldat, Ie l’ oy, il fe pro111e11e,& parle a{lèz trillen1e11t de fà fortune. Ce foldat curie11x prit le bouqt1et,& fit de la ma11iere qu’auoit fait le page,& Pe1i frotta allez viue1ne11t, 1nais inco11ci11e11t qu’il fe fut venu mettre ~u pied de la tour, il ft1t furpris d’v11 li profo11d fon111çil qt1e l’ 011 l’eut prefque at1fli toŒ e !êorcl1é qu’ eueillé. Inco11ti11e11t le page qui auoit fo11 cas pre/1, co1111ne auffi il auoit fait fi.1l-,tile111e11t, -ct1 111etta11t vne autre fl.e11r pot1r celle do11t il f>e{l :oitfrocté ; Et fe dilige11ta11t tira vi1e boëte plcii1e de gros four111is, aya11s cl1afqu’v11 at1 pied , v11e gra11de aifg11illee de fo}’C, & les prena11tl’v11 apres l’àutre, leur mit ft1r le bout d11 11ez v11 petit graii1 de be11rrc :, & les dreffa11t co11tre la muraille l :i. telle à mo11t le laiffoit aller : les fo11rn1is

iyn1e11t &de !ire11t fort le bet1re, partJtlO)’ le Ïe11ta11t fi1y11oye11t cefl
e odeur iu(qt1es à l1a11t, & le

gr5’.d 111elâcl1olique les J)re11oitq. : 11oi.ioit to11s les pçiuts les v11s at1x a11crcs,& & ::IJlt e11 e11c q11’il 11et1t .

' aiſémēt auec vne petite pierre tendre ſon fil iuſques à bas, auquel le Page attacha vn plus gros fil, & a ceſtuy là apres vn autre, puis en fin vne ficelle & en apres vne corde, & puis vn chable qu’il, auoit apporté dans l’eſtuy de ſon lut au lieu du lut, & le maiſtre ayant tiré tout l’vn apres l’autre, & vne tenaille & quelque ferrement pour ſ’en aider, ſ’il en eut eu affaire, il ſe detacha, & faiſant ſon artifice vers le deſert on ne l’eut ſceu voir : ainſi il acheua fort bien ſon entrepriſe, car sō page ayāt attaché le dormeur au cable il le tira à mont & le despouilla, le mettant en ſa place puis il ſe veſtit de ſes habillemens, & deſcendit en bas par ſon chable, en apres il donna congé au Page, & ſe promena tant que l’autre ſ’entinelle veint lequel eſtant arriué, ceſtuy ci comme faſché d’auoir attendu le rudoya, & grondant ayant la caſaque & les armes du ſoldat ſortit libremēt, paſſant iuſques dehors, ſans qu’on prit garde à luy & ainſi ſe retira en ſon logis.

Quand l’Empereur eut enuoyé le grand melancholique priſonnier : Il ne ſe tint pas là long temps, car l’aſſemblee auoit eſté troublee par ceſte auanture, & puis le Roy Roſolfe arriua auec ſa belle Feriſee, qui fut occaſion que les Princes s’allerent proumener aux beaux iardins, où ils paſſerent le reſte du temps, ſelon les occurrences, & par l’auis du conſeil, meſme à l’inſtance de l’Empereur, le lendemain fut donné à Roſolfe & Feriſtee, & le temps y fut tant bien employé, que l’Empereur ſe trouua plus contant qu’il n’auoit eſté, les Princes Fortunez l’ayans aſſeuré, qu’il trouueroit ſans doute ſa deſiree Etherine, auant que la ſemaine fut acomplie.