Le Vote des femmes/Voix données aux femmes

V. Giard & E. Brière (p. 16-21).


VOIX DONNÉES AUX FEMMES


L’intervention des Françaises dans les affaires du pays est depuis longtemps jugée si nécessaire, qu’en certaines élections municipales, des femmes ont obtenu des voix sans avoir sollicité de mandat.

Les bulletins portant inscrits des noms de femmes ont quelquefois été comptés.

En 1881, dans la commune de Grandpré (Ardennes), Mme  Jules Lefebvre, commerçante, mère de famille, eut son nom écrit sur bien des bulletins électoraux. « En votant pour elle, disaient ses électeurs, nous avons voulu choisir le plus capable parmi nous, à quelque sexe qu’il appartienne. » Ce raisonnement de ruraux n’est-il pas propre à inciter les citadins à rfléchir ?

Toujours en 1881, à Paris, Mme  Léonie Rouzade, candidate dans le XIIe arrondissement, obtint 57 voix.

Peu après, à Thorey (Meurthe-et-Moselle), trois dames obtenaient chacune cinq voix. Elles étaient, proclamaient leurs électeurs, les plus dignes de nous représenter.

En 1884, à Houquetôt (Seine-Inférieure) les électeurs accordèrent à une femme huit voix de plus que la majorité des suffrages exprimés.

Dans le (Lot-et-Garonne) les électeurs donnèrent à une femme trente-quatre voix de majorité.

À Vornay (Cher) Mme  Gressin, propriétaire, obtint suffisamment de voix pour être nommée conseillère municipale.

En enregistrant ces succès qu’ils savaient dus à l’active propagande faite par La Citoyenne, de grands quotidiens nous disaient de mettre un bouquet à notre chapeau.

Ces trois élections de femmes furent annulées ; le suffrage dit universel n’étant – pendant qu’il est restreint à la moitié de la nation – qu’une institution de fantaisie que les gouvernants mutilent à leur gré.

Mais les voix accordées en tant de points du territoire à des femmes, prouvent que les électeurs sont las de la fiction, qu’ils veulent dans la commune une représentation réelle de la population.

Tous les habitants de la commune doivent être déclarés égaux devant les prérogatives, comme ils le sont devant les charges.

Évincer de l’administration municipale, les Françaises qui savent avec rien, faire régner le bien-être en la maison, c’est de gaieté de cœur sacrifier le bonheur commun.

La femme ne doit pas seulement être l’âme de la famille, il est nécessaire qu’elle soit l’âme de la Cité, afin de pouvoir, en décuplant et en ménageant ses ressources, faire resplendir de bien-être le visage de chacun de ses habitants.

À chaque élection, le suffrage bien que réduit, borné, faussé et mutilé fait entendre un bégaiement de vérité. Ce serait trop long, de citer toutes les circonscriptions électorales où les femmes ont obtenu des voix.

Voici, cependant, à propos de succès électoraux féminins ce qui s’est passé en 1897 à Ménerville (Algérie).

Le dépouillement du scrutin terminé, M. Vissonnaux, candidat, fit observer que les bulletins, portant le nom de Mme  Pellier-Le-Cerf, ayant un caractère inconstitutionnel, devaient être considérés comme nuls. Il demandait que sa déclaration fût inscrite au procès-verbal et lesdits bulletins y annexés.

Le maire trouvant l’observation bien fondée, s’empressait de jeter les bulletins dans la cheminée et d’y mettre le feu.

À ce moment, survint M. Bouayoume qui, voyant l’escamotage, donna de grands coups de poing sur la table, protestant avec indignation contre la suppression de bulletins sur lesquels était inscrit le nom de Mme  Pellier-Le-Cerf. Il flétrit énergiquement les procédés du bureau. – « Vous violez, dit-il, la liberté du suffrage universel en annulant les voix données à une femme ! »

Aux élections municipales de 1908, Mme  Jeanne Laloé, candidate à Paris dans le 9e arrondissement obtint 987 voix, mais ; 527 bulletins portant son nom furent seulement comptés.

L’exclusion des Françaises de l’administration communale, fait qu’en la cité le bien-être manque, comme en la maison où il n’y a pas de femme.

Les édiles veulent Paris beau, ce dont chacun ne peut que les féliciter ; mais parce qu’ils sont exclusivement des hommes, leurs efforts tendent seulement à faire de la capitale du monde le plaisir des yeux ; alors, que des hommes et des femmes réunis, la rendraient en même temps qu’un séjour enchanteur, le pays de Cocagne souhaité.

Il est inutile d’insister sur les inconvénients du gouvernement d’un seul sexe, ni de parler des négligences dont souffrent les habitants des villes et des villages seulement régis par les hommes ; et où il n’y a qu’une moitié de la sollicitude humaine éveillée, alors que l’espèce entière devrait être appelée à tout prévoir.

Avec l’administration des seuls hommes, nous avons de tout, seulement l’apparence : les rues sont arrosées pendant que l’eau manque dans les maisons. Avec l’administration des hommes et des femmes, l’illusion deviendra réalité, les génératrices perpétuellement préoccupées de conserver les êtres, d’entretenir la vie qu’elles donnent, s’emploieront à accumuler à Paris l’air et l’eau.

Au pays de la soif, la garde de l’eau vivifiante est confiée aux femmes. À Ghat, seules les femmes disposent des sources.

Tout ce qui a trait au boire et au manger est office de ménagère ; malheureusement, ceux qui parlent de laisser la femme à son rôle, lui dérobent ce rôle, dès qu’il rapporte des honneurs et de l’argent.

Les hommes sont de mauvais ménagers, chacun se trouverait donc très bien, que les femmes fassent avec eux la cuisine administrative.

Les Françaises ont le sens de l’utilitarisme démocratique. Quand elles seront électeurs et éligibles, elles forceront les assemblées administratives et législatives à se pénétrer des besoins humains et à les satisfaire.

La République qui ne laisse pas en la métropole les femmes participer à l’élection du conseil municipal de leur commune, a autorisé en Océanie, des femmes à exercer les fonctions de Maire.

En 1891, le gouvernement fit remettre par le gouverneur de Tahiti aux huit cheffesses de districts de Tahiti et de Moréa, une écharpe aux couleurs nationales ; en même temps qu’il les fit rétablir en leurs pouvoirs et dignités d’officières de l’état-civil, pour mettre fin aux irrégularités constatées dans les actes de l’état-civil, depuis que l’annexion leur avait fait retirer leur emploi.

Les faits, forcent parfois les populations à reconnaître que la femme exclue de l’électorat municipal, est supérieure aux élus de la commune : À Rieufort de Randon (Lozère) momentanément privée de maire et d’adjoints, on vit un jour une jeune fille remplir sans embarras le rôle d’officier d’état-civil, procéder à un mariage à la place d’un conseiller municipal qui se déclarait inapte à unir les futurs époux, parce qu’il ignorait la loi et ne savait pas lire (sic).

C’est seulement le couple humain, qui peut en tout accomplir exactement ce qui convient dans la commune et dans l’État.

Nous mettons au défi les hommes les meilleurs, de faire de la commune la maison agrandie que chacun espère, sans le concours du cœur féminin.