Le Vote des femmes/Les femmes dans l'État

V. Giard & E. Brière (p. 22-26).

LES FEMMES DANS L’ÉTAT



De même que pour appeler un être à la vie, il faut le couple humain, pour instaurer un milieu approprié où cet être puisse s’épanouir pleinement, la femme est autant que l’homme indispensable.

«La femme et l’homme, ces deux parties du même tout, dit Benjamin Franklin, c’est comme les deux branches d’une paire de ciseaux, l’une ne sert de rien sans l’autre.»

Les hommes sans les femmes, sont dans l’impossibilité d’organiser pour l’humanité entière de bonnes conditions d’existence. Ce ne sera qu’en s’adjoignant pour l’effort politique leurs compagnes, que les Français pourront assurer l’ordre social et la prospérité publique.

Interrogez à la campagne et à la ville des hommes de toutes conditions, ils vous répondront qu’une maison sans femmes est la pire des choses ; cependant, ces mêmes hommes ne veulent point se rendre compte qu’une commune et un État sans femmes, sont bien plus pitoyables encore que la maison d’où l’élément féminin est absent, car le mal-être, restreint ici à quelques individus, se généralise et est là, supporté par toute la population. Présentement, les Françaises ne sont pas représentées dans les assemblées administratives et législatives.

Ce retranchement des femmes de la chose publique, cause au corps social le préjudice et le malaise, que le retranchement d’un organe fait éprouver au corps humain.

Si vous avez un membre ou deux membres supprimés, toute votre personne est affaiblie, amoindrie ; de même, la nation, privée de l’activité de la moitié de ses membres, a sa force et son intelligence réduites, est endolorie, paralysée ; finalement, voit se rapetisser sa destinée.

Pour que l’individu et la collectivité puissent complètement exister, la première des conditions est que tous les organes du corps humain et que tous les organes du corps social fonctionnent. La république amputée des femmes est aussi réduite à l’impuissance que l’individu amputé d’une jambe et d’un bras.

La population française, qui a deux yeux pour voir et deux pieds pour marcher, se diminue en s’obstinant à ne voir que par le seul œil masculin les difficultés à résoudre et à ne marcher que du seul pied masculin vers les buts poursuivis.

Ce que décide une minorité des Français dans des assemblées où un seul sexe est représenté ne peut convenir à la nation tout entière.

Les hommes clairvoyants se rendent compte de cela ; aussi, le nombre augmente de ceux qui osent proposer de s’adjoindre les femmes pour combiner les arrangements sociaux.

Les Françaises qui subissent les lois doivent contribuer à les faire.

Comme le dit fort bien M. Jaurès : « C’est l’humanité complète qui doit agir, penser, vivre, et l’on a bien tort de redouter que le suffrage des femmes soit une puissance de réaction, quand c’est par leur passivité et leur servitude qu’elles pèsent sur le progrès humain. »

Les millions de femmes qui sont ouvrières, et les millions de femmes qui sont ménagères doivent pouvoir, en votant, régler les relations extérieures au point de vue économique et politique, en raison des traités de commerce qui élèvent ou abaissant le prix des denrées et de la main-d’œuvre.

On a entendu un ministre des finances se plaindre de ne pas trouver chez les députés le sens de l’économie. C’est que le sens de l’économie n’est réellement possédé que par l’élément féminin. Or justement, l’élément féminin est exclu de la Chambre.

Si le Parlement, où nulle femme ne siège et où n’est entré aucun mandaté des femmes, manque parfois de prudence et de prévoyance, il manque aussi, on en conviendra, autant d’aptitude et d’autorité, pour élaborer des lois réglant les rapports humains, que manquerait d’aptitude et d’autorité, une Chambre exclusivement féminine pour légiférer, sur ce qui concerne hommes et femmes ; attendu que l’homme absent serait, comme est aujourd’hui la femme absente du Palais-Bourbon, victime de la partialité du sexe omnipotent.

Les hommes ne peuvent, sans le concours du sexe féminin, juger, en même temps, de ce qui leur convient à eux et de ce qu’il nous faut à nous ?

Les deux types qui forment l’espèce humaine doivent avoir voix au chapitre, quand il s’agit de régler leur propre destinée.

Les femmes faites citoyennes, régénèreront la politique et l’impulsion qu’elles feront donner aux affaires permettra bientôt aux Français de manifester la virilité des peuples neufs.

Les sauvegardiennes de la probité morale affermiront la droiture masculine en la vie publique :

En dépit de délits spéciaux inventés pour elles, les femmes, si nous en croyons les statistiques, faillissent moins que les hommes. Il y a beaucoup plus d’inculpés que d’inculpées.

Puisqu’il est établi que la femme résiste plus à l’excitation au mal, que l’homme ; pourquoi ne pas garantir celui-ci contre ses propres défaillances en la lui adjoignant au gouvernail ?

Les maisons de secours se joignent aux statistiques, pour attester la supériorité morale de la femme, frappée d’infériorité légale.

Dans les établissements charitables, on rencontre surtout un public d’hommes, c’est-à-dire le sexe qui a en la vie, l’argent et les positions.

L’homme a dans la société le monopole du travail lucratif, il gagne plus souvent 8 francs que la femme 2 francs. Cependant, dès le premier jour de chômage le voilà réduit à la mendicité.

La femme qui est exclue des gros gains tend moins que l’homme la main.

Est-ce parce qu’elle a plus de dignité et moins de vices ? Ou est-ce parce qu’avec des centimes elle trouve mieux le moyen de parer à la disette que l’homme avec ses 8 francs quotidiens ?

Comment peut-on charger seul du soin de gouverner les autres, l’homme sans prévoyance qui n’est point apte à se gouverner lui-même ?

Pour les Français aimant les lendemains sûrs, la gestion du sexe masculin, qui avec son salaire convenable ne parvient à se suffire, offre beaucoup moins de garanties que celle du sexe féminin qui, à force d’ordre, d’ingéniosité, se tire d’affaire en sa perpétuelle pénurie d’argent.