Le Vote des femmes/Les femmes et le budget

V. Giard & E. Brière (p. 27-33).


LES FEMMES ET LE BUDGET


La puissance d’économie des femmes fera s’équilibrer les recettes et les dépenses.


Puisqu’on reconnaît aux femmes de réelles facultés d’épargne ; et, l’aptitude à augmenter la valeur d’emploi de l’argent, pourquoi ne fait-on pas appel au concours féminin pour mettre fin aux déficits budgétaires ?

Si les Françaises participaient à l’administration de l’État, elles apprendraient aux membres du Parlement à être moins prodigues des fonds publics, et les contribuables obtiendraient en payant moins d’impôts, plus de garanties et de commodités.

Les hommes ne savent faire face aux exigences sociales avec le gros budget de la France, comme la femme sait faire face aux besoins de la famille avec le petit budget du ménage. En l’État, les recettes énormes ne couvrent pas les dépenses phénoménales :

Pendant que législateurs et administrateurs municipaux déplorent que le manque d’argent entrave tous les projets de réforme, des électeurs avouent, s’ils sont commerçants, que sans leur femme, ils ne pourraient faire honneur à leurs affaires…

S’ils sont ouvriers, employés, médecins, avocats, petits rentiers, confessent que, sans leur femme, ils ne parviendraient point à équilibrer leur budget, à vivre.

À la ville comme à la campagne, c’est quotidiennement que l’on entend des Français dire : que cent francs ne valent pour l’homme que soixante francs, tandis que pour la femme, cent francs sont l’équivalent de cent vingt francs.

Alors !… le voilà bien trouvé le moyen de mettre fin aux déficits budgétaires et de rendre possibles les transformations sociales souhaitées.

Ce moyen consiste à cofier aux femmes, qui ont de si grandes facultés d’épargne, tout ce qui a rapport aux finances.

Tout le monde a sous les yeux l’exemple d’hommes qui, en dépensant de très grosses sommes, ne parviennent pas en la maison à réaliser le bien-être que couramment les femmes y introduisent, avec peu d’argent. Eh bien, l’État est une agglomération de maisons à administrer. Or, n’est-ce pas imprudent de confier aux seuls hommes, qui se montrent souvent inhabiles à équilibrer leur budget individuel, le budget national ? Attendra-t-on que la France ait déposé son bilan, pour charger l’élément féminin d’introduire (les réformes en nos finances ?

L’accroissement des dépenses, devrait susciter un patriotisme capable de faire émettre par tous les groupes de la Chambre et du Sénat, la proposition d’appeler les femmes au secours du pays.

Nouvelles venues en la politique, elles trancheraient aisément dans le vif du fonctionnarisme et préserveraient les Français des lourdes charges et de la vie chère.

Tous les contribuables doivent pouvoir mettre un frein à la dilapidation des deniers publics. Exclure ces épargneuses – les femmes – de la gestion sociale, c’est contraindre la République à faillir à ses engagements.

Si les femmes coopéraient à l’administration des biens de la nation, les recettes excèderaient les dépenses.

Les Françaises ont en elles développée, par l’obligation quotidienne de partager un centime en quatre pour arriver à satisfaire de multiples besoins familiaux, une aptitude administrative qui fera s’ouvrir une ère de prospérité pour les populations qui l’utiliseront.

On réaliserait de grandes économies, si le budget national était épluché et passé au crible par les femmes, comme l’est le budget familial.

Le bien-être résulterait, de la remise à la femme de la clef de la caisse publique.

Les hommes point pressés de voir la Française échapper à la dégradation civique, dont dérivent pour elle toutes les oppressions, toutes les spoliations, trouvent que pour le sexe féminin l’heure n’est jamais venue de posséder le bulletin affranchisseur. En 1789 et 1793, les hommes disaient qu’il était prématuré de donner les droits politiques aux femmes ; en 1848, ils jugeaient également prématuré d’englober les femmes dans le suffrage. Actuellement, ils sont d’avis qu’il serait encore prématuré d’octroyer l’électorat aux femmes.

Toute proposition de loi, ne devrait cependant venir en discussion, qu’après que le suffrage aurait été attribué aux femmes.

La France entière ayant seule l’intuition des besoins humains, la France entière peut seule poser les bases d’une société meilleure en votant des réformes fondamentales.

Tenir les femmes hors des salles de vote où tout se projette et à l’écart du Parlement où tout se résoud, c’est les désigner d’avance pour être sacrifiées.

Les femmes seront plus considérées, mieux rétribuées, quand elles exerceront leurs droits politiques. Et, l’humanité entière a intérêt à ce qu’elles exercent leurs droits politiques ; car, on ne peut sans nuire à l’espèce, sans amoindrir l’homme, garder infériorisée la femme, qui imprime à la société sa marque de fabrique, puisque matrice de la nation, elle est le moule qui forme tous les Français.

Afin de se justifier d’annuler les femmes, les hommes spoliateurs les incriminent d’attachement aux vieux usages ; alors, qu’il est surabondamment prouvé qu’en dépit de toutes les entraves, elles ne sont pas plus qu’eux ennemies du progrès.

Les femmes sont les premières à utiliser les innovations ; on les a vues adopter pour la locomotion tous les nouveaux systèmes.

La femme que l’homme déprécie afin de pouvoir, en la spoliant de ses droits, l’opprimer et l’exploiter, n’est pas plus que lui bornée, elle doit donc être autant que lui électeur.

Soutenir que la dégradée civique, que la serve obligée de singer son maître peut avoir sur lui une influence occulte pour le bien, semble être moins encore une erreur qu’une ironie.

L’homme ne reçoit pas d’en bas ses impressions morales ; et, aussi longtemps que la femme sera au-dessous de lui, elle pourra l’amuser, le charmer ; non changer sa manière de voir et de faire, non le métamorphoser ; car si l’être dit supérieur condescent à demander à l’être dit inférieur le secret du mal, jamais il ne lui demande le secret du bien.

Aussi, il paraît indispensable que pour accomplir la mission sociale qu’on lui assigne, la femme ait le pouvoir que confère la souveraineté ; ce ne sera que ce pouvoir matériel, qui lui assurera l’autorité morale.

Au lieu de restreindre en les partageant les prérogatives masculines, les femmes les augmenteront ; puisque le jour où il sera en les mains de tous les ayants droit hommes et femmes, le bulletin octroiera aux Français et Françaises la faculté de matérialiser leur volonté d’être heureux et libres.

C’est de peur de ne pouvoir faire parler comme on veut le suffrage rendu conscient en même temps qu’il deviendrait universel, que l’on écarte des affaires publiques cette force nationale, la femme.

Ce ne sera qu’en unifiant la condition de l’homme et de la femme que l’on unifiera la manière de voir des Français.

Dire à la Française, de cesser d’être coquette, sans lui donner le moyen d’améliorer son sort en votant, c’est la maintenir en une immobilité mentale qui paralysera la marche en avant.

La femme doit voter, car il n’y a place au soleil de la République que pour qui dispose d’un vote. Et, ce ne sont pas seulement les femmes, c’est la nation entière qui souffre de l’annulement politique des Françaises.

Les hommes n’ignorent point cela ; cependant, à quelque parti qu’ils appartiennent, réactionnaires et républicains, ils sont d’accord pour faire envisager le vote des femmes comme un danger public.

En notre France qui garde l’empreinte monarchiste de la loi salique, le fantôme de la femme politique est aussi redouté que le spectre rouge. Ce ne sera, cependant, qu’à l’aide de celle-ci que l’on pourra triompher de celui-là. Les femmes étant seules assez nombreuses pour mettre à la raison les perturbateurs.

Bien que l’on sache, que les femmes sont pourvues de facultés qui feront se transformer sans violences la société et que partout où les femmes ont voté, elles ont mis leur zèle et leur énergie au service des partis avancés, les révolutionnaires repoussent le bulletin pondérateur de la femme, et les radicaux évolutionnistes ne s’empressent pas d’utiliser ce bulletin pondérateur, qui leur assurerait le gouvernail de la barque sociale.

Si les hommes d’opinions si opposées s’entendent pour représenter comme un épouvantail le vote des femmes, c’est qu’ils sont d’accord pour continuer à accaparer les bénéfices électoraux ; et, qu’ils trouvent avantageux de tenir les sièges législatifs de la force du nombre des femmes, sans avoir besoin d’obtenir leurs bulletins.

Pour faire s’activer l’évolution de l’humanité, il faut mettre la femme au niveau de l’homme, afin que les deux êtres équivalents qui se complètent ne cheminant plus en des voies différentes, marchent du même pas vers la justice sociale.

La République cessera seulement d’être pour les Françaises une bluffeuse, quand elle leur facilitera le combat pour la vie en les armant du bulletin de vote.