Le Virgile travesti (éd. 1786)/À Monsieur et Madame de Schomberg

À MONSIEUR ET MADAME DE SCHOMBERG.


Monsieur et madame,

C’est ici le second livre de ma façon, qui a été dédié en même tems à deux personnes. Les uns en riront, les autres ne le trouveront pas bon, et moi je me soucierai fort peu de ce qu’on en dira, pourvu que j’arrive a la fin que je me suis proposée. Il y a assez long-tems que je suis malade, pour croire que je mourrai bientôt. Quoique ma maladie soit de mon invention, je ne la cannois pas assez pour savoir combien elle durera ; et si elle me fera le plus vieux malade de France, comme elle m’a fait le plus estropié. C’est ce qui me fait songer à payer mes dettes. Toute la France sait asssez ce que je vous dois, MADAME ; et je sais, MONSIEUR, que je vous ai des obligations qui ne sont pas petites. Je pourrais bien m’en acquitter, misérable que je suis, à la façon des misérables, en disant que Dieu vous le rende, et le priant pour vous. Mais vous avez tous deux, quoique peut-être non pas en pareil degré, plus de crédit que moi en la cour céleste. Je n’entreprends donc point au-delà de mes forces. Je vous donne tout ce que je puis vous donner, si ce n’est pas tout ce que je vous dois ; c’est vous payer en mauvaise monnaie, mais il faut tirer d’un mauvais payeur ce que l’on peut. Si vous me prenez pour ce que je suis, vous ne douterez point que si mon Virgile Travesti était ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire plus digne de vous, je ne vous l’offrisse plus hardiment, que je ne fais les maigres divertissemens d’un malade. Je crois, MADAME, que les vers bur- lesques que y ai mis en lumière jusqu’à cette heure, ne serviront pas peu à vous faire croire ce que je dis maintenant en prose. Et pour vous, MONSIEUR, lorsque j’eus l’honneur de vous parler, je vous considérai comme un homme extraordinaire. Les grandes actions que vous avez faites depuis, ont bien fait voir que vous étiez ce que vous me parûtes, et que mon inclination naturelle ne s’étoit pas trompée. Et, j’ose dire, si les malheureux comme moi peuvent se réjouir, que j’ai ressenti une joie extrême quand les deux personnes du monde que j’estimois le plus, se sont trouvées si dignes l’une de l’autre. Mais en même tems que par les plus telles paroles que j’ai pu mettre ensemble, je tache de vous persuader que je vous honore extrémement, je ne vois pas que je vous importune de même. Je finis donc mon Épître, quelque plaisir que les malades, aussi-bien que les vieillards, prennent à parler, et quelque beau sujet que j’en aye. C’est par-la que je crois bien mieux vous témoigner mon zéle, que par ma longue prose. Permettez-moi seulement de vous jurer foi d’un homme qui n’a plus guère à vivre, que votre très-humble et très et cacera que vous allez voir au bas de la feuille, qui est le refrein ordinaire de toutes les Épîtres, est dans la mienne la plus grande vérité que dira jamais,


MONSIEUR ET MADAME,


Votre très-humbte, très-obéissant et très-obligé serviteur,
SCARRON.