Le Trombinoscope/Jules Simon

SIMON, jules (comme Trochu) — de son vrai nom : François-Simon SUISSE, philosophe sentimental, philanthrope platonique et homme politique larmoyant, né dans le Morbihan — encore comme Trochu — le 31 décembre 1814. — Devait venir au monde le lendemain : 1er janvier 1815 ; mais, avança d’un jour sa naissance afin que la France n’eût pas tous les malheurs dans la même année. — Il fit d’excellentes études et débuta dans l’enseignement comme maître suppléant au collége de Rennes. — De 1839 a 1851, il succéda à M. Cousin comme professeur d’histoire et de philosophie à la Sorbonne. — Le 16 décembre de la même année, il vit son cours suspendu pour avoir essayé d’enseigner à ses élèves un tas de choses qu’il est utile d’ignorer quand on est appelé à vivre sous un Empire ; et quelques mois plus tard, refusa de prêter serment de fidélité à l’homme de décembre, ce qui commença sa fortune politique.

Il avait été décoré de la Légion d’honneur le 27 avril 1845 ; on n’a jamais su au juste pourquoi ; cependant on a cru longtemps que c’était pour avoir collaboré à la romance de Jenny l’Ouvrière. — En 1846, candidat de l’opposition modérée dans les Côtes-du-Nord, M. Jules Simon échoue ; mais, en 1848, il fut élu dans ce département, et vint siéger à la Constituante comme républicain… toujours modéré. Nos lecteurs nous pardonneront ces répétitions de l’adjectif : modéré ; mais il n’y a pas de notre faute, et, dans le cours de cette biographie, nous serons forcé de les commettre encore souvent. Le côté saillant du caractère de M. Jules Simon est la modération. Personne mieux que lui n’a su jouer de ce qualificatif qui prête, d’ailleurs, comme un morceau de caoutchouc et n’a pas son équivalent en politique pour signifier tout ce que l’on veut et même le contraire.

Dès son entrée dans la vie politique, le dada favori de M. Jules Simon fut l’étude modérée des questions ouvrières ; aussi la Constituante le désigna-t-elle pour faire partie du comité modéré de l’organisation du travail. Après l’insurrection de juin, il fut nommé président modéré de la commission chargée de visiter les blessés. L’ordre rétabli, il devint secrétaire modéré de la commission de l’enseignement primaire et rapporteur modéré de la loi organique de l’enseignement, dont il présenta modérément à l’Assemblée un projet complet et modéré.

Élu en 1849 membre du Conseil d’État, il fut président de la commission des recours en grâce ; cette fonction était dans ses cordes sentimentales. — Éloigné momentanément de la politique, il alla faire en Belgique des conférences philosophiques toutes empreintes de cette douceur émolliente dont il a le secret, et qui témoignait à la fois d’un cœur sensible et d’un tempérament lymphatique. — En 1863, il fut élu député au Corps législatif par la 8e circonscription de la Seine. Il défendit alors la liberté de la presse. — Nota : Le gouvernement de M. Thiers vient de rétablir le cautionnement sur les journaux, et M. Jules Simon en est. — Il continua sa campagne en faveur de l’instruction publique et soutint les intérêts des classes laborieuses, questions dont il avait fait son marche-pied ordinaire. — Il revendiqua aussi les franchises communales de Paris et les lâcha plus tard avec l’aisance de ces grands réformateurs, qui n’attendent qu’une place au pouvoir pour cesser de trouver un cheveu dessus.

En 1869, il fut réélu député dans un grand nombre de circonscriptions, et dans les réunions électorales battit le tendre Lachaud, candidat officiel, de plusieurs douzaines de sanglots. — Pendant cette période, il essuya cependant, avec plusieurs de ses collègues modérés, un assez joli succès de trognons de pommes dans une réunion socialiste de Clichy. La réaction contre l’opposition en carton-pâte commençait, et le peuple se fatiguait visiblement de ces farouches républicains qui se faisaient, sans douleur et sans danger, les trop tranquilles avocats de ses revendications. — M. Jules Simon fut nommé, en 1868, président de la Société des gens de lettres. Il en profita pour aller mendier en faveur de cette Société des secours et des distinctions auprès du gouvernement de Vélocipède père. Les gens de lettres désavouaient ces démarches de leur président, pensant que des hommes intelligents ne devaient tendre la main à l’Empire que le poing fermé ; M. Jules Simon dut donner sa démission. — M. Jules Simon a publié un grand nombre de volumes, entre autres, l’Ouvrière, l’École, le Travail, etc., ouvrages dans lesquels il a éloquemment démontré qu’il y a beaucoup à faire en faveur des classes laborieuses.

M. Jules Simon a fait partie du gouvernement de la Défense nationale. Pas plus que ses collègues, il n’a eu l’audace de mettre en pratique ses théories républicaines qui lui avaient rapporté tant de gloire et d’argent, et sa popularité de mauvais aloi a sombré avec celle de ces complices. Cependant il a surnagé, ce qui tendrait à prouver qu’il était encore plus creux que les autres : M. Thiers, en dépit de l’opinion, l’a choisi comme ministre de l’instruction publique. Sentant toute son impopularité, mais bien décidé à la braver, M. Jules Simon s’est fait maçonner son portefeuille sous le bras, et jusqu’ici les horions les plus formidables n’ont pu avoir raison de ce scellement pour lequel l’auteur de l’Ouvrière semble avoir retrouvé le secret du fameux ciment romain. — M. Jules Simon, assure-t-on, a été membre de l’Internationale, sous le n° 606. Pour se faire une idée du plaisir qu’il éprouve lorsqu’on lui rappelle cette circonstance de sa vie, on n’a qu’à se figurer un concierge devenu millionnaire et que ses anciens amis n’abordent qu’en lui criant devant tout le monde : Cordon, s’vous plaît !…

Au physique, M. Jules Simon est un petit homme rondelet ; il est du nombre de ces philanthropes que l’étude des misères sociales engraisse. — Il appartient aussi à cette nombreuse catégorie de réformateurs en chambre dont l’œil deux s’humecte au spectacle du peuple opprimé et qui s’écrient avec feu : Il y a quelque chose à faire pour ces pauvres victimes !… je feroi… là-dessus un livre qui se vendra très-bien !… — L’Empire avait créé deux sortes d’heureux : ceux qui vivaient en le soutenant et ceux qui vivaient en l’attaquant modérément ; M. Jules Simon était de ces derniers, en compagnie des Favre, des Picard, des Ferry et autres débitants d’opposition douce, facile et lucrative. Le métier n’était pas dur ; avec un peu de précaution, on en tirait gloire et profit, et comme l’a si bien dit Rochefort : Se lever de son banc, réclamer une liberté, ne pas l’obtenir, se rasseoir, recommencer le lendemain et jours suivants pendant quinze ans, voilà quel était le jeu de ces charlatans qui piochaient dans l’idole avec des outils en carton peint. Ce n’était pas là un martyre ; mais si ça n’avançait à rien, cela avait au moins l’avantage de ne pas donner beaucoup de mal.

Depuis que l’auteur de l’Ouvrière et de l’École est au pouvoir, les femmes persistent à gagner douze sous par jour, et un rapport tout récent établit qu’il n’y a guère à Paris que 67 000 enfants privés de toute instruction élémentaire. M. Jules Simon continue à s’en attendrir de plus en plus, mais à s’en occuper de moins en moins.

Octobre 1871.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Jules Simon s’entêtant, on lui scie son portefeuille sous le bras, le.. 18... — Il reprend l’étude des questions ouvrières et publie le... 18... un livre remarquable sur la nécessité d’ouvrir des écoles en grand nombre. — Il redevient ministre le... 18... et n’en ouvre pas une seule. — Encore une fois rejeté dans la vie privée, il publie le... 18... un ouvrage sur l’urgence qu’il y a à améliorer le sort des institutrices ; revient au pouvoir le... 18... et les laisse toutes aux mêmes appointements. — Il meurt enfin le... 19... en prononçant les paroles suivantes que nous recommandons aux électeurs de l’avenir : « Les Républicains n’ont vraiment de bon temps que sous la monarchie, l’impuissance où ils se trouvent d’agir ne permettant pas au peuple de distinguer les vrais d’avec les faux. »