Le Trombinoscope/Guillaume Ier

GUILLAUME Ier, frédéric-louis, roi de Prusse, empereur d’Allemagne et maître emballeur distingué, est né le 22 mars 1797. — Tout jeune il embrassa la carrière militaire et y obtint ce rapide avancement que les princes doivent au talent dont ils ont fait preuve en naissant de gens haut placés. — Lors de l’avénement de son frère au trône, en 1840, il devint gouverneur de la Poméranie et chef de plusieurs régiments en Prusse et à l’étranger. Ceux de nos lecteurs qui s’étonneraient que le commandement d’un régiment russe ou autrichien pût être confié à un prince prussien, auraient tort. On sait que dans ce monde-là, c’est un usage reçu ; les rois entre eux s’offrent un de leurs régiment comme nous nous offrons un cigare ; C’est devenu aussi naturel que de fusiller un simple soldat qui passe à l’ennemi. — Lors des événements de 1848, considéré comme le moteur le plus enragé du système absolutiste, il fut obligé de se réfugier en Angleterre. Il ne tarda pas à rentrer à Berlin et fut nommé gouverneur de Mayence. Il devint en outre président de toutes les loges de la franc-maçonnerie prussienne.

À ce propos, il nous serait presqu’impossible d’étouffer dans notre âme un cri d’admiration ; ça nous ferait trop de mal, nous aimons mieux le laisser sortir ; ce cri, le voici : Dieu !… que les francs-maçons nous font pitié !… En effet, ne faut-il pas que ces braves gens soient tous en enfance pour aller chercher, comme ils le font partout, leurs plus hauts dignitaires parmi les princes du sang !… que nos francs-maçons modernes et ramollis ne croient pas devoir continuer les traditions un peu rudes de leurs devanciers, d’accord ; ils sont libres ; mais alors, qu’ils renoncent à s’affubler d’un titre qui fut l’effroi des monarques et qu’ils s’intitulent tout simplement : Société des bonnets de coton réunis. Une franc-maçonnerie où les empereurs ont leur fauteuil, c’est presque aussi drôle qu’une association d’ouvriers fondeurs du Creusot qui se mettraient en grève sous la présidence du père Schneider. Frédéric-Guillaume IV, son frère, étant tombé gravement malade, Guillaume fut nommé régent le 9 octobre 1858. Sa régence n’offrit rien de remarquable, sauf une entrevue solennelle qu’il eut en juin 1860 avec l’empereur Napoléon III. On ne sait pas ce que c’est au juste qu’une entrevue de souverains ; beaucoup de bonnes gens de la province croient encore que les princes s’y entretiennent de la grandeur et de la prospérité de leurs peuples respectifs, c’est une erreur : pendant les entrevues de têtes couronnées, qui ne peuvent guère être mieux comparées qu’à celles qui ont lieu dans les antichambres entre larbins de bonnes maisons, la conversation roule uniquement sur le thème suivant : Combien te fais-tu de gratte sur la nourriture de tes bourgeois ?… T’es bête… moi j’ai une double clé de la cave !… En voilà un gâte-métier !… il ne se fait donner que trente du cent par les fournisseurs !… etc…, etc…

À la mort de son frère, Guillaume Ier monta sur le trône de Prusse (2 janvier 1861). En arrivant au pouvoir, il amnistia tous les condamnés politiques afin de faire, dans les prisons, de la place pour en mettre d’autres. — Il s’occupe immédiatement d’une vaste organisation de l’armée et vint de nouveau visiter à Compiègne l’empereur Napoléon III, qu’il avait sans doute besoin de consulter, comme plus ancien dans le métier, sur le meilleur moyen de faire danser l’anse du budget. — Le 17 octobre il fut sacré avec pompe à Berlin, donna encore une amnistie à cette occasion et, pour faire plaisir à Veuillot, déclara tenir sa couronne de Dieu seul. — Cette déclaration de droit divin, dont la conséquence était d’assimiler la nation prussienne à un vaste troupeau d’oies, ne fut pas du goût de la chambre des députés, qui trouva l’occasion de faire sentir sa mauvaise humeur au roi en votant toutes sortes de choses qu’elle savait lui être désagréables ; mais Guillaume résista et appela à son aide, comme président du conseil, M. de Bismark, chez lequel il avait remarqué une rare aptitude à fourrer dans sa poche les principes d’honnêteté qui pouvaient le gêner. — M. de Bismark eut bientôt déblayé le terrain ; quand les députés ne votaient pas les lois proposées par lui, il les congédiait et ne les rappelait que lorsque ces lois étaient exécutées. — Ce procédé dura jusqu’en 1863 et fut couronné, le 1er juin de la même année, par une ordonnance supprimant la liberté de la presse.

Nos lecteurs s’étonneront, sans doute, qu’avec un système comme celui-là, Guillaume n’ait pas les quatre fers en l’air depuis au moins une dixaine d’années ; le fait est facile à expliquer : les nombreuses diversions belliqueuses qu’il a toujours su opérer à temps et qui ont été couronnées d’un plein succès, ont eu jusqu’ici raison des aspirations démocratiques de la Prusse. Nous sommes malheureusement ainsi bâtis : nous revendiquons des libertés, on nous donne une victoire ; et comme de bons imbéciles, nous nous amusons pendant cinq ans encore avec cet os-là. Si, en août 1870, Napoléon nous avait conduits à Berlin, nous nous prosternerions aujourd’hui sous les casse-têtes de ses gardes-chiourmes et le Figaro serait encore en pleine splendeur en rendant compte des jeudis et des épaules de la régente Benoiton. — À la suite de la guerre de France (1870-71) (voir le Trombinoscope, cage Bismark), Guillaume fut élu empereur d’Allemagne ; nous ne croyons pas que ça tienne chaud à son peuple pendant bien longtemps. — Il a épousé en 1829, Marie-Louise-Augusta, princesse de Saxe-Weimar, qui lui a donné deux enfants nés avec chacun une envie de pendule sur la fesse gauche. — Cette union a été heureuse ; après quarante-deux ans de ménage, Guillaume envoyait encore à son Augusta des télégrammes amoureux dans ce style : « Moumoute adorée… Grande victoire !… prise de Nancy !… notre Fritz a exécuté un magnifique mouvement tournant qui a fait tomber en notre pouvoir tous ceux à sonnerie des horlogers de la ville. Mille baisers sur trous en rubis. — Ton Guigui. »

Au physique, l’empereur d’Allemagne n’est ni beau ni laid ; il a la physionomie vulgaire, mais sa tournure est très-commune. Il est chauve et n’a conservé qu’un cheveu ; encore est-il pour Augusta ; le soir, la reine en pince l’extrémité entre ses dents et, avec ses ongles effilés, joue dessus, pour bercer son roi, la valse de Freychutz. — Guillaume a l’air d’un vieux caporal tailleur retraité. Même avec la couronne et le manteau impérial, pas moyen de le prendre pour un empereur ; mais s’il avait un bras de moins, une tunique verte, un chapeau à cornes et un jonc à pomme d’ivoire, on n’éprouverait aucune difficulté à le faire passer pour le gardien du passage Véro-Dodat. — Guillaume mange de l’ail, boit comme un trou, a naturellement l’haleine empestée et souffle comme un phoque. Ce sont là des agréments que l’on ne peut guère se permettre que sur un trône ; en omnibus, on serait insupportable ; — Guillaume est très-économe ; quand il prend une culotte, il ne la quitte plus.

Octobre 1871.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Guillaume, après avoir cuvé ses dernières conquêtes, se sent de nouveau inquiété par le socialisme allemand le... 18... — Il a recours à son fameux système de diversion militaire et déclare la guerre le... 18... à une puissance voisine qui ne lui disait rien. — De Moltke n’étant plus là, son Fritz reçoit dès l’entrée en campagne, une tripotée indigne le... 18... — Le socialisme allemand, qui n’est n pas plus bête qu’un autre, profite de la circonstance pour faire enfin comprendre au peuple que c’est toujours sur son dos que tout ça se passe ; et le... 18... Guillaume est déboulonné de son trône. — Il perd tous ses États le... 18... Un seul lui reste : l’état d’ivresse. — Enfin, il meurt le... 19... dans un violent effort qu’il fait pour remonter la pendule d’Augusta après une indigestion de cliquot.