Le Trombinoscope/Napoléon III

NAPOLÉON III, Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, ex-empereur des Français, né à Paris, dans le château des Tuileries — que l’on n’a pu nettoyer de cela qu’en le brûlant — le 20 avril 1808. — Il est le troisième fils d’un homme à qui l’histoire reprochera toujours de ne pas s’être arrêté au second. — Son père Louis-Napoléon Bonaparte, était le frère de l’empereur Napoléon Ier qui, dans la razzia de trônes faite au profit de toute sa clique, lui avait donné celui de Hollande — Napoléon Ier voulut être le parrain de son neveu, qui fut baptisé le 10 novembre 1810, au palais de Fontainebleau, par le cardinal Fesch, ce digne ecclésiastique dont on ne peut jamais prononcer le nom en société sans avoir l’air de s’arrêter tout à coup à cause des dames. — Au rétablissement des Bourbons, la Reine Hortense, sa mère, cette femme d’élite qui composait des romances en même temps qu’avec ses devoirs conjugaux, partit pour l’exil avec ses deux fils. Elle prit le nom de duchesse de Saint-Leu, parce que, depuis 1810, elle était séparée de son mari qui n’avait pas voulu se laisser raser plus longtemps avec l’air : Partant pour la Syrie… — Après s’être successivement fixée à Aix, à Genève, en Savoie et en Bavière, elle s’établit définitivement en Suisse, sur le bord du lac de Constance, ce qui fit beaucoup rire son mari lorsqu’il l’apprit, et se consacra à l’éducation de son fils Louis-Napoléon. — Ce dernier eut pour premier gouverneur un nommé Bertrand, duquel on dut se contenter, n’en ayant pas trouvé un qui s’appelât Robert-Macaire. — Le prince Louis se livra de préférence à tous les exercices du corps : l’équitation, l’escrime et la natation furent ses études favorites ; il eut un peu de mal pour apprendre à monter à cheval à cause de ses jambes trop courtes, grâce auxquelles il n’avait pas plus de prise sur sa selle qu’un petit binocle sur un gros nez ; mais en revanche la natation fut pour lui un triomphe ; la première fois qu’il se jeta à l’eau il s’aperçut qu’il nageait tout seul, cela lui servit énormément plus tard auprès de miss Howard pour se faire… commanditer. — À la nouvelle de la révolution de Juillet, Louis-Napoléon demanda à Louis-Philippe l’autorisation de rentrer en France ; elle lui fut refusée. Il se jeta alors dans le mouvement révolutionnaire de l’Italie où il ne fit pas ses frais ; à la suite de cette expédition, il tomba malade à Ancône et sa mère le ramena clandestinement à Paris, dont le séjour leur était pourtant interdit. Louis-Philippe les renvoya voir en Suisse s’il y était, avec tous les honneurs dûs à des mendiants qui s’introduisent par les cheminées, à une heure du matin, pour demander l’aumône. — En 1831 les chefs de l’insurrection polonaise offrirent à Louis-Napoléon le commandement de leurs légions, et comme récompense, dit-on, la couronne du nouveau royaume de Pologne. « Comment donc !… — répondit-il, — du moment où il y a un trône à fricoter, j’en suis… Le temps d’affûter mes moustaches, et je suis à vous. » Il allait partir lorsqu’il apprit la mort du duc de Reischtadt. « Ah ! ah ! se dit-il, cela change les choses, jamais je ne m’étais tant aperçu que je suis le neveu de mon oncle. » — Il lâcha les Polonais avec l’aisance et la sérénité d’un homme qui remet le couvercle sur un puits dans lequel son propriétaire vient de tomber et demanda de nouveau à Louis-Philippe l’autorisation de rentrer en France comme simple citoyen ; c’était la troisième fois en deux ans ; le bonhomme promettait d’être tenace. — Pour la troisième fois, Louis-Philippe refusa cette autorisation avec une ampleur toujours croissante. — Louis-Napoléon, voyant que le père Philippe mettait décidément une stupide obstination à ne pas lui faciliter les moyens de le renverser, se mit à écrire des brochures d’un démocratique à se faire condamner à trente-cinq ans de galères, s’il s’était avisé de les relire vingt-cinq ans plus tard. — Ces différents ouvrages étaient loués surtout par la presse républicaine du temps : Armand Carrel, qui n’était pourtant pas un naïf, s’y laissa prendre et imprima dans le National que les ouvrages du Prince Louis annonçaient un noble caractère. Nous croyons que de la part d’un homme de talent une telle erreur est impardonnable ; il faut n’avoir aucune notion des choses de la vie réelle pour ne pas boutonner hermétiquement sur son cœur le gilet de la défiance quand l’on voit un prince faire des brochures libérales. Pour notre compte personnel, nous avons à ce sujet des principes si arrêtés, que le jour où nous verrions, par exemple, le comte de Paris se rallier au programme de Gambetta, notre première pensée serait de nous écrier : Ah ! mon Dieu !… pourvu que cette pauvre République ait le bon esprit de ne plus sortir trop tard le soir toute seule !…

En 1836, Louis-Napoléon, comptant sur l’impopularité de Louis-Philippe, crut le moment favorable pour tenter son premier coup d’État. Il pensait que le nom seul qu’il portait soulèverait toute la France en sa faveur. Le 30 octobre, à cinq heures du matin, Louis-Napoléon entre à Strasbourg, accompagné de son Persigny ordinaire, qui, habillé en homme-orchestre, marchait devant lui en jouant de la clarinette, du triangle et des cymbales. Les Strasbourgeois se mettent en chemise à leur fenêtre, quelques-uns leur jettent des sous. Ils se rendent directement à la caserne du général Vaudrey qui était gagné ; là, devant toute la garnison et après que Persigny a joué l’air de la reine Hortense comme ouverture, Louis-Napoléon s’adresse aux soldats en ces termes : « Français !… Vous avez devant vous le neveu de l’Empereur… de l’empereur qui a ruiné le pays en hommes et en argent !… Soldats !… je viens à vous, et la main sur mon cœur, je dis à la France : Veux-tu redoubler ?… » En prononçant le dernier mot de sa harangue, le prince Napoléon fait un signe à Persigny, qui reprend l’air de la reine Hortense. Trois ou quatre vieilles brisques du régiment crient : vive l’Empereur !… Déjà le prince a donné l’ordre de télégraphier à toute la France le changement de gouvernement ; déjà Persigny, qui fut toujours un esprit positif, s’apprête à faire la quête, quand tout à coup, d’un formidable coup de poing, le lieutenant Taillandier enfonce à Persigny son chapeau jusqu’aux reins et met la main au collet du prince, rétablissant, en moins de temps qu’il n’en faut pour le raconter, l’ordre un instant troublé par ces deux saltimbanques. — Le prince Louis fut déporté en Amérique pour toute punition. Plus tard, Louis-Philippe eut à se repentir de sa faiblesse, et la chronique lui attribue ce mot à propos de Louis-Napoléon : « Ce n’est pas dans le nouveau monde que j’aurais dû l’envoyer, c’est dans l’autre. » L’année suivante il revint dans le canton de Thurgovie. Le gouvernement français, redoutant quelque nouvelle tentative de sa part, demanda son éloignement à la République helvétique. — Pas grosse, la République suisse !… mais du nerf !… — Elle refusa net, et comme la France faisait mine de se fâcher, elle leva crânement sa poignée d’hommes, et se campant devant le colosse, elle lui dit : « Comme tu voudras !… » Bravo ! la petite !… Certes, le pierrot ne valait pas tant de dévouement ; mais pour le principe, bravo ! la petite !… — Heureusement le différend s’apaise, le prince Napoléon ayant quitté volontairement la Suisse, pour éviter, a-t-on dit, que le sang coulât à cause de lui ; nous n’en croyons rien, il n’y regardait pas de si près. — Louis-Napoléon se réfugia à Londres où il se remit à faire des brochures socialistes jusqu’en 1840, époque à laquelle il tenta à Boulogne son nouveau coup d’État au lard, trop connu pour que nous en refassions ici l’histoire. Tout le monde sait, en effet, qu’ayant privé et avachi par des moyens honteux un vieil aigle fourbu, il le posa sur son épaule après avoir mis un morceau de jambonneau dans son châpeau pour le retenir, et débarqua à Boulogne le 6 août afin de se faire reconnaître comme empereur des Français. Personne n’ignore que ce vieil aigle ramolli, entendant le coup de pistolet que le prince tira sur le capitaine Col-Puygelier, poussa la frayeur jusqu’à déshonorer le collet de la redingote impériale et fut fait prisonnier avec son auguste maître. — Cette seconde scène de carnaval valut au prince Louis une condamnation à la réclusion perpétuelle. Il fut enfermé à Ham avec le général Montholon et le docteur Conneau. C’est là qu’il composa sa fameuse brochure sur l’Extinction du paupérisme, où il démontra d’une manière si brillante que s’il arrivait jamais au pouvoir il ferait diminuer le nombre des nécessiteux… en en fusillant une bonne partie. — Le 25 mai 1846 il s’échappa de Ham, déguisé en goujat ; la distinction naturelle de sa tournure et de sa physionomie facilita beaucoup cette évasion.

Lorsqu’éclata la révolution de 1848, Louis-Napoléon accourut en France, sans aigle et sans lard, offrir ses services à la République. On lui fit observer que sa présence en un pareil moment pourrait jeter le trouble dans les esprits ; roué comme potence, il s’éloigna, désintéressement qui lui valut d’être nommé député à la Constituante par cinq départements : le légume préludait à ses plébiscites intelligents. — Le 10 décembre suivant, il était élu président de la République par cinq millions et demi de suffrages potagers et recevait le pouvoir des mains intègres du général Cavaignac.

Vers la fin de 1851, sentant approcher l’échéance de son mandat, Louis-Napoléon sortit de son magasin d’accessoires la fameuse hydre révolutionnaire, qui ne manque pas plus son effet sur les hommes de quarante à cinquante ans que le croquemitaine sur les enfants de vingt mois. — Il représenta à la France que les élections suivantes allaient envoyer à l’Assemblée 750 députés qui ne mangeaient à tous leurs repas que de la viande humaine et que, si elle laissait arriver ces ogres au pouvoir, tous les citoyens ayant plus de neuf cents francs de rente seraient guillotinés. — Pendant que la France affolée d’une telle perspective était en train de se demander : Ah ! mon Dieu !… qu’est-ce que nous allons devenir ? Louis-Napoléon, le 2 décembre 1851, met les députés à l’ombre avant même que le soleil ne soit levé, prend dans sa poche la clef de l’Assemblée, distribue de l’eau-de-vie à la garnison de Paris, fait tirer une proclamation à 100 000 exemplaires et à mitraille sur le peuple, et demande par plébiscite, la présidence pour dix années, ce qui, cette fois, lui est accordé par 7 millions 500 000 suffrages, deux millions de plus que la première fois !… La betterave avait donné. — L’année suivante un nouveau plébiscite posait la couronne impériale sur ce faciès de sergent-de-ville abruti par l’absinthe, et désormais il ne manquait plus rien à la gloire du musée des souverains ; il avait trouvé son grotesque.

Nous n’essayerons pas de faire l’histoire de Napoléon III, chacun de nous en a classé les phases dans le coin de sa mémoire réservé aux souvenirs qui soulèvent le cœur. Nous nous contenterons, pour terminer sa biographie, de relater les faits qui lui sont personnels.

Le 29 janvier 1853, Napoléon III a épousé une Espagnole, de qualité, disent les uns, inférieure, ajoutent les autres. Elle se nomme Eugénie de Montijo, et l’on prétend… (Voir le Trombinoscope, n° 10).

De ce mariage, qui n’a pas été célébré à Nanterre, est né, le 16 mars 1856, un pauvre petit être scrofuleux que nous ne rendrons pas responsable des gredineries de son père, jusqu’au jour où il élèvera la prétention d’en profiter.

Napoléon a été l’objet de trois attentats qui n’ont pas réussi (1852-1855-1858). Ce fait a inspiré au Tintamarre une réflexion qu’il n’a pas publiée : « Un train et un empereur sont deux choses que l’on ne devrait jamais manquer. »

On doit, entr’autres choses, à Napoléon III :

1° Cette magnifique sentence : « L’empire, c’est la paix, » presqu’immédiatement suivie de cinq guerres à tous les coins du monde ;

2° La campagne du Mexique, dont bon nombre de capitalistes ont conservé des souvenirs qui valent dans les 30 centimes le kilog. pour faire des cornets à tabac ;

3° La liberté de la boucherie (1864). Il l’avait déjà donnée à l’armée dès le 2 décembre 1851 ;

4° Et enfin, entre autres ouvrages littéraires : la Vie de César, livre dans lequel l’auteur a eu évidemment l’intention de se comparer à l’empereur romain et a trouvé le moyen de ne pas se donner de coups de pied.

Si l’on en croit certains bruits, le règne de l’empereur Napoléon III aurait été émaillé de quelques faits scandaleux et intimes qui se seraient passés aux Tuileries. On a parlé d’une bouquetière disparue, d’un beau cent-gardes trouvé… où on ne l’avait pas mis de faction et assassiné sur place, de parties d’écarté où le perdant payait le gagnant d’un grand coup d’épée dans le dos, etc., etc. ; enfin d’une foule de petites fêtes de famille dans ce genre-là. — À ceux qui nous demanderaient s’il faut croire à toutes ces infamies ? nous répondrons : Ça ne peut pas faire question une seconde. — Nous avons déjà eu l’occasion de le dire : Avec les familles royales en général, et à plus forte raison avec celles de ce calibre-là, il faut croire à toutes les gueuseries qu’on leur prête pour tâcher de se rattraper un peu de celles qu’on ignore. — La fin du règne de Napoléon III fut marquée par une intrigue d’une malpropreté telle qu’un haut magistrat de l’empire put seul y séjourner sans tomber à la renverse. L’empereur avait eu — ou cru avoir — d’une cocotte un enfant adultérin ; l’impératrice fut informée de la chose ; on voit le reste d’ici : scène, bris de vaisselle, coups de griffes, etc., etc. — Un des plus honorables membres de la magistrature (c’est la magistrature elle-même qui en convient) se dévoua pour ramener la concorde dans ce ménage troublé. Il amalgama un tas de preuves, de lettres, de déclarations où il était question d’accouchement à sept mois, d’aveux de trahison, de repentir, etc., etc… L’impératrice, qui ne s’était mise en colère que pour la forme et pour se faire payer un chapeau à la scène du pardon, sèche ses beaux yeux, et dit à l’entre…preneur de réparations matrimoniales : « Cher monsieur Devienne…, je vous remercie bien de toute la peine que vous vous êtes donnée pour me prouver que Louis est pur. Si mon mari ne me trompait pas, il me tromperait bien ; mais enfin n’en parlons plus. »

En 1870, l’Empereur sentant le pouvoir lui échapper et le flot démocratique soulever les coussins de son trône, eut recours à ses deux moyens ordinaires pour consolider sa couronne et faire diversion au courant de l’opinion publique : le plébiscite et la guerre. — Le plébiscite lui réussit encore assez ; mais la guerre lui devint funeste. — Fait prisonnier à Sedan, le 3 septembre par les Prussiens, il fut déchu le 4. — Depuis ce temps il est fixé à Chislehurst où il fume des cigarettes sans nombre en caressant sa moustache baveuse et ses rèves de restauration.

Au physique, Napoléon III est plutôt mal que bien, plutôt laid que mal, plutôt ignoble que laid. — Il est de petite taille, les jambes sont courtes, l’encolure pâteuse. — Il a le front déprimé, le nez d’un polichinelle, l’œil éteint d’un pourri : il porte ses cheveux ramenés et collés aux tempes à en rendre jaloux toutes les cravates vertes de la barrière Popincourt. — Il était d’une constitution assez robuste ; les vices l’ont délabré, et le docteur Conneau a toutes les peines du monde à maintenir en équilibre les restes de cette carcasse rongée, cariée et gangrenée par quarante années de débauche. — L’ex-empereur parle très-peu ; ce côté saillant de son caractère et la disposition de sa vessie, qui occuperait à elle seule vingt-cinq chirurgiens, lui ont mérité le surnom d’insondable.

Septembre 1871.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Napoléon III, à la faveur de l’agitation entretenue dans le pays par des gens qui ont chacun leur idée, tente un nouveau Strasbourg le.......... 18.. ; il échoue. — Il se procure un aigle hydropique, l’apprivoise et redébarque à Boulogne le.......... 18.. ; il ne réussit pas davantage. — Il se retire à Chislehurst pour préparer de nouveaux plans et, avant d’avoir pu les mettre à exécution, meurt le.......... 18.., en s’étranglant de ses propres mains dans un rêve où il se prenait pour un honnête homme.