LE TRAVAIL
DANS
LA GRANDE INDUSTRIE

II
LA MÉTALLURGIE[1]

I
L’ORGANISATION DU TRAVAIL


Des mines de houille à la métallurgie la transition est aisée et, on peut le dire, naturelle : il n’y a qu’à suivre le wagonnet de charbon qui va du puits de la mine au gueulard du haut-fourneau ; la houille est le premier aliment et le premier instrument, le premier élément, au sens de « ce qui constitue, » et le premier agent, au sens de « ce qui fait agir, » le primum manens et le primum movens de l’industrie métallurgique. Cette industrie est répandue un peu partout sur le territoire français : quoique l’une des plus agglomérées, des plus concentrées économiquement, elle est géographiquement assez disséminée. En termes généraux, il y a en France trois groupes métallurgiques importans, qui sont ceux du Nord, du Centre et de l’Est[2] ; et, du point de vue, où nous nous sommes particulièrement placés de la condition des ouvriers, si l’on consulte la liste des syndicats, on constate qu’il en existe, pour la métallurgie et la construction mécanique, qui s’en rapproche et s’y rapporte : dans la région du Nord, à Maubeuge et à Denain ; dans la région du Centre et de la Loire, au Creusot, à Saint-Etienne, à Firminy, à Montluçon ; à Paris même ; dans l’Ouest, au Havre ; et, dans l’Est, à Audincourt (Doubs)[3].

De même que, pour les mines, nous avons examiné de plus près, observé plus spécialement un établissement du Pas-de-Calais, ainsi, pour la métallurgie, sera-ce un établissement, ou plutôt quelques établissemens de la Loire, que nous considérerons comme type, en cet essai de monographie élargie d’usine ou d’industrie, d’où notre objet est de tirer des conclusions sur quoi fonder une politique sociale positive et pratique. Nous choisissons la Loire, non seulement à cause du rang qu’elle occupe présentement dans la métallurgie française, mais à cause de la place qu’elle y tient traditionnellement, depuis des temps déjà anciens, et, en un mot, non seulement parce qu’elle est un des points géographiques et économiques de l’industrie métallurgique en France, mais parce qu’elle en est comme le sol historique.

« A Saint-Genis-Terre-Noire et à Saint-Chamond, — écrivait l’annaliste Guillaume Paradin, qui visitait le Lyonnais en 1540, — sont des mines de bon charbon de terre ; cy sont aussi à Rive-de-Gier, mais non en telle quantité. C’est merveille de voir les habitans de ce pays, qui en sont tous noircis et parfumés par l’usage qu’ils en font pour leur chauffage au lieu de bois. Mais le principal profit qui en vient est des forges, au moyen de quoi est le Giérest fort fréquenté de certaines races de pauvres étrangers forgerons, lesquels ne demeurent guère en un lieu, mais vont et viennent ainsi qu’oiseaux passagers, même pour raison du voisinage de Saint-Etienne-de-Furens en Forez[4]. »

C’est ici, vraiment, le pays du Noir et du Rouge, où la flamme que des siècles de siècles ont emprisonnée dans la terre, délivrée par l’effort des hommes, en jaillit toute-puissante, et dirigée par leur volonté intelligente, transforme tout en embrasant tout.


I

Avant d’aller plus loin, c’est-à-dire avant même d’entrer en matière, quel sens exact et précis donnerons-nous à ce nom général et générique, la métallurgie ? Etymologiquement, la métallurgie, c’est l’œuvre, le travail du métal. « L’œuvre, le travail, » pris de cette manière absolue, ce seraient toutes les œuvres, tous les travaux ; et « le métal, » pris, lui aussi absolument, ce seraient tous les métaux : la métallurgie serait donc l’ensemble de tous les travaux, de toutes les œuvres qui s’accomplissent sur, par, et avec tous les métaux.

Mais l’usage, conforme en cela à la raison et au bon sens, a singulièrement restreint cette acception trop vaste et presque indéfinie. Il a d’abord écarté les métaux précieux, et il ne vient à l’esprit de personne d’appeler « métallurgie » le travail de l’or et de l’argent, qui est « orfèvrerie. » Puis il a écarté, d’autre part, tout ce que l’on est convenu de qualifier de « petits métaux, » le cuivre, le plomb, le zinc, etc., pour s’en tenir finalement au fer et à l’acier. Si bien que la métallurgie, aujourd’hui, c’est proprement le travail du fer et de l’acier ; mais non point encore tous les travaux qui se font avec ou sur le fer et l’acier. La construction mécanique elle-même, qui se rapproche tant de la métallurgie et qui s’y rapporte si intimement qu’elle n’existerait pas sans elle parce qu’elle manquerait de sa matière première, n’est pas cependant la métallurgie[5].

Nous bornerons par conséquent la métallurgie à la production et à certaines transformations, en quelque sorte primaires, de ces deux seuls métaux, le fer et l’acier, négligeant à la fois leurs transformations ou utilisations secondaires, et les transformations ou utilisations, la mise en œuvre, le travail des autres métaux.

L’Office du travail du royaume de Belgique, dans une Classification des exploitations industrielles et des métiers recensés (31 octobre 1896), qui sans doute est la plus complète de toutes celles que l’on ait tentées[6], a dressé un tableau où sont rangées sous ces onze têtes de chapitres : — Fabrication des métaux usuels autres que le fer ; Fabrication des produits sidérurgiques ; Construction de machines et d’ouvrages métalliques ; Fonderies ; Ferronnerie, serrurerie, poèlerie ; Fabrication de boulons, clous, vis, chaînes, fils et câbles métalliques ; Fabrication d’armes à feu portatives ; Coutellerie ; Fabrication d’ustensiles de ménage ; Travail des métaux ; Fabrication d’objets et ouvrages spéciaux en métal, — les multiples opérations auxquelles une industrie quelconque soumet un métal quelconque, — grands ou petits métaux et métaux précieux : fer, acier, cuivre, plomb, zinc, étain, nickel, or, argent… Le chiffre total est d’environ cent vingt ; et, dans ce total, le fer et l’acier figurent pour près de soixante-quinze[7]. —

Nous sommes encore loin des « mille métiers » que le professeur Schmoller se plaisait à discerner dans la métallurgie, et, je crois, dans la métallurgie proprement dite, que nous nommerons, si l’on le veut bien, la sidérurgie. Mais nous aussi, dans la métallurgie, même réduite à la sidérurgie, en y regardant attentivement, nous discernerons, sinon mille métiers, du moins un assez grand nombre de catégories ou de spécialités d’ouvriers et d’ouvrages, car une extrême division est, dans cette industrie, comme la condition même du travail. Pour nous y promener sans nous y perdre, le mieux est de faire, atelier par atelier, la visite d’une usine, d’en observer minutieusement la vie prodigieuse, de l’étudier en tous ses organes, de la suivre en toutes ses fonctions, de la décomposer en tous ses mouvemens, de l’analyser en tous ses actes.

J’ai recueilli sur place, grâce à la complaisance inépuisable des directeurs et des ingénieurs que je n’ai pu lasser de mes questions, de quoi établir en toute sûreté la monographie de trois de ces usines. Toutes les trois sont situées dans le même bassin et dans la même région, séparées seulement l’une de l’autre par une faible distance. La première, que nous désignerons par la lettre A, étant au centre, dans l’un des faubourgs d’une grande ville ; la deuxième, désignée par la lettre B, est à moins d’une heure de chemin de fer vers le sud-ouest, dans une ville de 15000 habitans ; et la troisième, désignée par la lettre G, vers le nord-est, à une demi-heure, dans une ville qui compte une population à peu près égale.

Toutes les trois sont à proximité, on pourrait dire au milieu de houillères qui leur fournissent le combustible ; toutes les trois appartiennent à des sociétés d’actionnaires ; elles ont pour raison sociale : la première, Compagnie des Forges, Fonderies et Aciéries de A… ; la deuxième, Société anonyme des Aciéries et Forges de B… ; la troisième, Société des Forges et Aciéries de la marine et des chemins de fer, à C… A toutes les trois enfin s’applique et convient parfaitement la définition donnée par Roland, dès les premiers jours de la grande industrie, et précédemment rappelée[8] : « Un vaste laboratoire, un immense atelier où les machines en grand sont communément mues par l’eau (ici une correction à faire : la vapeur a remplacé l’eau) ; une grosse forge, une forge d’ancres, une refonderie de fer, l’ensemble des martinets et des grands travaux sur cuivre, des fileries de fer, etc., sont des usines, qu’on distingue encore par la nature de l’objet particulier qu’on y exploite, comme un laminoir, le lieu où l’on fore le canon, etc. »

Oui vraiment, cette définition s’applique bien à nos trois usines, sauf encore que leur activité la déborde et la dépasse, comme la puissance de la très grande industrie d’aujourd’hui, engendrée de la grande industrie d’alors, déborde et dépasse l’idée que l’on en pouvait concevoir aux alentours de 1780. On devrait employer le singulier et non le pluriel, on devrait dire : une grosse forge, une forge d’ancres, une fonderie de fer, des fileries de fer, un laminoir, le lieu où l’on fore le canon sont une usine ; ce qui signifierait que l’usine est tout à la fois et tout ensemble tout cela : le lieu où l’on fore le canon, un ou plutôt des laminoirs, des fileries de fer, une fonderie de fer, une forge d’ancres, une grosse forge ; une agglomération de vastes laboratoires, d’immenses ateliers, où, sous l’action de machines en très grand (il en est une, à l’usine C, de dix mille chevaux de force), communément mues par la vapeur, on fond, on forge, on forme le fer et l’acier, on les durcit et on les assouplit, on les plie et on les dresse à cent autres usages inconnus il y a cent ans, on les façonne et on les trempe pour la conquête soit pacifique, soit belliqueuse, industrielle ou militaire, de la terre et de la mer. Tout cela, forges, fonderies et aciéries, les trois usines que nous allons décrire le sont donc, et l’une d’elles, l’usine B, possède en outre un haut-fourneau.

Dans ces entreprises colossales où s’exécutent tant de travaux, comment le travail est-il organisé ? et d’abord, sur cet espace considérable, et cependant restreint, où tant de travaux sont menés de front, comment le travail est-il divisé ?

Vers le temps où Roland s’essayait à deviner l’industrie moderne et à définir « l’usine, » jusqu’au commencement du XIXe siècle et au-delà, on produisait le fer ou l’acier brut en traitant directement le minerai dans les bas foyers, foyers catalans, etc.[9]. Le métal était ensuite mis à la forme utile par des marteaux ou martinets. De là l’expression de l’Encyclopédie méthodique : « l’ensemble des martinets. » — « Peut-être, note à ce propos un homme des plus compétens, les procédés électriques nous ramèneront-ils un jour à la production directe. » En attendant, la production de ce métal (fer et acier) demande généralement trois opérations successives : 1° production de la fonte, en partant du minerai, par le haut-fourneau ; 2° production du fer ou de l’acier brut, par les fours à puddler, fours Martin ou convertisseurs Bessemer et Thomas ; 3° mise à la forme voulue, par les laminoirs, presses ou pilons.

De ces trois opérations, la première est la production de la fonte. Dès que la pointe du ringard a éventré le haut-fourneau, de ce corps énorme qui dévore indifféremment, aux souffles alternés et excitans d’un air brûlant et d’un air froid, houille, minerai, castine, scories minérales et détritus ménagers, vieille ferraille, vieux chaudrons, vieux ustensiles défoncés, et qui les rend pour ainsi dire distillés en une abondante coulée de lave, liquide et rouge comme le vin qui s’échappe d’un fût mis en perce, et plus rouge encore, incandescente, avec des grésillemens, des brasillemens et des jaillissemens d’étincelles, aveuglante de chaleur et de couleur, par un mélange singulier toute rouge et toute blanche, liquide et rigide aussi, feu et fer, eau de feu et de fer, la fonte s’est élancée dans un étroit chenal de sable pareil à ceux par où les enfans, sur les plages, s’ingénient à faire passer la mer ; elle s’est répandue en des séries de rigoles creusées côte à côte et semblables aux corbeilles où les boulangers disposent la pâte pour faire le pain ; elle a rempli de son flot bouillant, elle a inondé de sa nappe argentée et vermeille, qui s’y est condensée, solidifiée, visiblement métallifiée, ces alignemens de petits parcs qu’on serait tenté de croire un petit jeu, mais qui sont un grand ouvrage des hommes.

La voilà maintenant, grise encore, et baveuse, et terreuse, telle qu’elle est sortie du haut-fourneau, à l’état brut, en barres longues et minces, en saumons, en gueasets, en riblons, — ce sont les termes consacrés, — prête à subir les transformations des deuxième et troisième degrés : production du fer ou de l’acier et mise à la forme utile.

L’usine A n’a point de haut-fourneau ; elle ne traite donc pas le minerai ; elle ne fait pas sa fonte, elle la reçoit toute faite ; mais elle fait et façonne l’acier et le fer. Ces deux dernières opérations, la production du fer ou de l’acier et la mise à la forme utile, exigent encore une dizaine de manipulations, représentent encore une dizaine de fabrications différentes, et par conséquent entraînent la création et l’entretien d’une dizaine de services ou ateliers différens :

A. — Aciérie et Fonderie : Production de l’acier brut en lingots ou en pièces moulées ;
B. — Puddlage : Production du fer brut ;
C. — Tôleries : Atelier pour la transformation du fer ou de l’acier bruts en têtes diverses, blindages, etc. ;
D. — Forges : Atelier pour la transformation du fer ou de l’acier bruts en pièces diverses, mises à la forme voulue par les pilons, presses ou autres engins semblables ;
E. — Laminage : Atelier transformant le fer ou l’acier en barres étirées par laminage en cannelures ;
F. — Bandages : Atelier transformant le fer ou l’acier en frettes ou cercles pour roues, pour canons, etc. ;
G. — Ajustage : Atelier terminant à froid par tournage ou rabotage les pièces diverses, arbres, canons ou autres, préparées par les services des tôleries, des forges et du laminage ;
H. — Blindage : Atelier affecté au finissage des plaques préparées par les tôleries et les forges.
K. — Entretien : Service comprenant tout le personnel affecté à l’entretien, aux réparations et à la construction des outils nécessaires pour la fabrication.


Tout à l’heure, c’était de la fonte qui coulait du haut-fourneau ; c’est à présent de l’acier qui coule du convertisseur. La poche, pleine de métal liquide, se promène autour de la fosse de coulée et se vide dans les lingotières ou dans les moules, selon que l’on veut obtenir des lingots ou des pièces moulées. Les ouvriers se tiennent des deux côtés, effacés comme les servans d’une pièce, éclairés d’une clarté violente, illuminés, empourprés de cette pourpre qui passe, éclaboussés aussi parfois de particules que projette et fait voler à vingt mètres cette matière éclatant en un effort qui la déchire, portée à sa plus haute intensité de vie, et forcée à réaliser le miracle de la transmutation. Ils sont là, rendus sans doute quelque peu indifférens par l’habitude, étonnés quand même et émus au fond, soit de la puissance de l’œuvre, soit de la beauté du spectacle, attentifs, muets, presque religieux dans le rayonnement de la fournaise ouverte, qui leur souffle au visage une température de douze cents à quinze cents degrés ; qui vient de cuire la fonte pour la refondre en acier ; et qui, dans le même instant, les baigne de sueur et les dessèche.

Jour et nuit, une équipe est là, douze heures durant, de six heures du matin à six heures du soir, relevée par une autre équipe de six heures du soir à six heures du matin[10] ; de jour une semaine et, la semaine suivante, de nuit ; ayant à sa tête son contre-maître de fabrication ou chef-fondeur qui ne la quitte pas, comme elle et avec elle tantôt de jour et tantôt de nuit, chargé de surveiller dans tout l’atelier la marche des fours, la succession des coulées, etc., etc. Sous ses ordres, pour chaque four en marche, un fondeur chargé de la conduite du four ; un aide-fondeur ; un leveur de porte ; un chef-gazier ; un aide ; un grésilleur ; des manœuvres qui font le chargement. En outre, pour l’ensemble des fours, et après les fondeurs, les couleurs, ceux qui opèrent la coulée : un chef-couleur, deux aides-couleurs ; des manœuvres encore, puis d’autres manœuvres employés au démoulage ; les maçons, les quenouilleurs, les peseurs, les machinistes, les décrasseurs. Mais ce n’est pas tout, et chaque équipe active a en quelque sorte sa section d’administration, comme, dans l’usine prise en son unité, chaque service actif a en quelque sorte ses services auxiliaires d’intendance, de santé, et du train[11]. Cette section administrative est « de jour » et se compose : 1° de pointeurs, qui tiennent la comptabilité de l’atelier et la remettent au chef-comptable de l’usine pour l’établissement des prix de revient ; 2° de déchargeurs de lingots ; 3° d’appareilleurs ou chargeurs de lingots à livrer aux autres services.

Si « l’aciérie » travaille jour et nuit à deux équipes qui se relèvent de douze en douze heures, « la fonderie » ne travaille que de jour et à une seule équipe, dont la besogne consiste à préparer les moules en terre dans lesquels on doit verser le métal liquide pour lui donner la forme demandée. Elle comprend, aux ordres d’un contre-maître, des fondeurs qui veillent aux cubilots, des mouleurs proprement dits, des aides-mouleurs et des manœuvres ; des ébarbeurs ; des mélangeurs de terres ; des modeleurs pour établir les modèles en bois, les « gabarits, » avec un chef-modeleur, qu’il faut choisir très expérimenté dans la connaissance des bois et la lecture des dessins.

Mais l’usine A… ne produit pas seulement l’acier ; elle produit encore le fer, par le puddlage ou brassage de la fonte. « Brassage » est le mot vraiment expressif, aussi juste que pittoresque. Ici, devant le four à puddler, qui est une sorte de fourneau à réverbère, d’aspect assez primitif et, à l’extérieur, sans cette majesté compliquée de la mécanique moderne, des ouvriers, robustes entre les plus robustes, se postent, nus jusqu’à la ceinture. Le col du « convertisseur » ne se débouche pour cracher son jet enflammé qu’à l’heure ou qu’aux heures de la coulée : au contraire, la gueule du four à puddler est incessamment béante, et, comme celle de Cerbère, on dirait qu’elle attire les hommes. Si lointaine, d’ailleurs, que soit cette allusion mythologique, elle n’est point déplacée en ce lieu, car ou la race des cyclopes « brasseurs de fer » a complètement disparu, ou bien en voici les derniers survivans.

Armé du rabot ou de l’aspadelle, — le « rabot » est un ringard de 2m,50 de longueur, et lourd en proportion, terminé par un crochet ; l’ « aspadelle, » un autre ringard, du même poids et de la même taille, terminé par une palette, — empoignant de ses fortes mains ce long et lourd outil, chacun de ces géans nus s’approche à son tour, présente à cette espèce de cratère artificiel en ignition sa poitrine et sa face, y plonge son levier qui, en créant le fer, lui aussi va remuer le monde, et, à chaque mouvement de ses bras qu’il lance en avant, il semble qu’il les enfonce dans la gorge d’un monstre pour y aller chercher quelque chose d’invisible encore, mais qu’on sent déjà formidable Du crochet de son rabot ou de la palette de son aspadelle, il fait donc son métier de puddleur, il brasse la fonte, il la retourne sur la sole du four ; il la pétrit, la coupe, la roule en boules.

Après quelques minutes de cette agitation, qui est de l’action, en plein brasier, le ringard est rouge : l’homme alors le retire, et le couche dans une bâche remplie d’eau où il vient comme s’éteindre en fumant, avec un sifflement ou un chuchotement. L’outil est las, mais l’ouvrier n’a pas le temps de l’être : il prend un autre rabot ou une autre aspadelle, et il recommence, et il continue, tant que son camarade ne lui dit pas : « à moi, » bien des minutes encore, et tant que le moment n’est pas venu de saisir dans la pince d’une grosse tenaille-écrevisse les balles de métal chauffé à blanc et de les porter au cinglage.

Le puddlage, ainsi que l’aciérie, se fait à l’usine, par deux équipes, de composition identique, une de jour, une de nuit. L’une et l’autre de ces deux équipes comprend : un contre-maître ; un pesear ; des maîtres-puddleurs ; des aides-puddleurs ; des troisièmes ou routeurs de boules ; des marteleurs ou cingleurs ; des lamineurs ; et des machinistes. Ainsi qu’à l’aciérie, le service actif se double d’un service auxiliaire, constamment de jour, et qui comprend des rouleurs de fonte, pesant et préparant les charges pour chaque four ; des casseurs et classeurs de fer ; un pointeur pour la comptabilité de l’atelier.

A côté, à la suite de l’aciérie et de la fonderie, la tôlerie. Une grue happe, au sortir du four, le lingot de métal réchauffé, et l’apporte sur la table du laminoir. La machine s’ébranle ; la masse menée et ramenée entre des cylindres qui tournent en sens contraire, s’aplatit, s’étire, s’élargit. Auparavant, il n’y a qu’un instant encore, c’était un bloc, un cube, un tronc, haut d’une trentaine à une cinquantaine de centimètres ; c’est désormais une tête épaisse de quelques millimètres à peine, large d’un mètre, longue de plusieurs mètres, qui se développe comme une étoffe, comme une toile d’acier, comme un drap garance, d’un rouge vif, plus que vif, brutal et sanglant.

Ainsi que les cardeurs et les épingleuses nettoient leur laine ou leur tissu, en arrachent les impuretés qui les déparent, ainsi des ouvriers, chaque fois que, dans son va-et-vient, le jeu des cylindres fait passer et repasser la plaque devant eux, la nettoient du bout d’un balai qu’ils trempent préalablement dans une cuve afin d’éviter qu’il prenne feu au contact du métal en feu ; ou bien, dissimulés derrière les montans, s’abritant derrière les colonnes du laminoir, mais près de la tête rouge feu, rouge sang, près de ce feu de fer à le toucher presque, ils jettent dessus des paquets de bruyère mouillée : tout aussitôt la plaque suinte et chuinte, une flambée monte, une fusée part et retombe alentour en une cascade de flammèches, dans une atmosphère que ne réussissent guère à attiédir, — c’est-à-dire à rafraîchir, — les courans d’air qu’on laisse se croiser par des portes pareilles à des brèches, et comme si l’on eût abattu aux quatre murs un pan pour respirer, des quatre coins de l’immense atelier.

De même que l’aciérie et le puddlage, la tôlerie travaille à deux équipes, de jour et de nuit. L’équipe comprend : un contremaître ; des chauffeurs et des aides-chauffeurs ; des leveurs de portes : des chefs-lamineurs ; des seconds lamineurs ; des rattrapeurs ; des manœuvres pour la plaque ; des serreurs de vis ; des machinistes ; des rouleurs de charbon. En dehors de ces deux équipes qui alternent de jour et de nuit, la tôlerie occupe, mais de jour seulement, un personnel auxiliaire nombreux, — et qui n’est pas purement auxiliaire, ou ne l’est pas tout entier, mais dont une partie a la charge de travaux préparatoires ou complémentaires, — composé de : deux sous-chefs de service ; de chefs-cisailleurs, d’aides-cisailleurs, et de manœuvres-cisailleurs ; de traceurs ; de peseurs ; de chargeurs ; de répareurs ; de recuiseurs ; et, comme partout, de pointeurs pour la comptabilité. — Ajoutons tout de suite, en intervertissant l’ordre dans lequel nous avons rangé les dix ateliers de l’usine A, que le cinquième, l’atelier du laminage proprement dit, où l’on transforme le fer ou l’acier en barres par laminage en cannelures, se subdivise, pour ce qui est de l’organisation du travail et de la répartition des ouvriers, à peu près de la même façon que la tôlerie, où l’on transforme le fer ou l’acier en plaques par laminage entre cylindres lisses.

L’atelier qui porte sur notre liste le no 4, la forge, est le royaume des mastodontes, où règnent les marteaux-pilons gigantesques et les presses moins imposantes, mais peut-être plus puissantes encore : marteaux de trente, de soixante, de cent tonnes ; presses de plusieurs centaines et, parfois, de plusieurs milliers de tonnes[12]. Domestiqués et asservis à l’homme qu’il leur serait facile de broyer d’un seul coup, les monstrueux engins obéissent en quelque sorte au doigt, et il semble qu’un enfant les manœuvrerait. La pièce à forger une fois placée sur la base qui sert d’enclume, le forgeron présente à l’énorme marteau celle des faces ou celui des points de la pièce où il faut qu’il vienne frapper ; la masse s’abat, un poing de 60 000 ou de 100 000 kilos frappe de haut, si fort que le sol en tremble et en ahane sourdement, si juste que la main la plus sûre n’y saurait mettre plus de précision, ni la plus fine plus de délicatesse.

Le forgeron est comme l’âme ou l’esprit de ce corps qu’il conduit, qui sans lui irait à l’aveugle et tomberait n’importe où, qui par lui tombe là où il est utile qu’il tombe, et par lui forge, forme, crée au lieu d’écraser. Tout naturellement, c’est lui qui est à la tête de l’équipe ; il y a autant d’équipes, — forgerons et aides-forgerons, — qu’il y a de pilons ou de presses, et généralement les équipes sont doubles, pour un travail continuel de jour et de nuit. Au-dessus de ces forgerons et aides-forgerons répartis en équipes dont chacune a sa presse ou son marteau-pilon, est un chef-forgeron qui, lui, commande à toute la batterie des marteaux-pilons et des presses. La forge emploie, en outre, constamment de jour avec le chef-forgeron, un chef-gabarieur ; des traceurs ; des forgeurs à mains ; des frappeurs ; des outilleurs ; et le sous-officier comptable, le pointeur.

Mais un lingot d’acier, tout chaud amené du four voisin sous le marteau-pilon, a été aplati, arrondi, de quelques touches irrésistibles : il a l’air maintenant d’une meule à repasser qui flamboierait. Or, voici que l’on ajoute et que l’on ajuste au marteau une grosse pointe, un cône très court et très aigu ; puis, cela fait, qu’on précipite de tout son poids et de toute sa force la masse, avec l’espèce de diamant métallique dont on l’a armée, droit sur le centre de la meule. Bientôt, un trou y est creusé. On accroche la meule à la griffe d’une grue qui la transporte et l’emboîte sur un axe, le premier d’une série de trois ou quatre de calibre différent et croissant. Le disque tourne, tourne, comme un soleil de feu d’artifice, à une vitesse qui s’accélère, et chaque tour le distend, l’évide et l’élargit. On voit, dans un éblouissement, le cercle se dessiner et se parfaire, d’axe en axe, jusqu’au dernier, où l’ouvrier qui préside à l’opération prend un grand compas et le mesure pour s’assurer qu’il a atteint le diamètre convenu. S’il l’a atteint, on le retire, et le lingot est changé en bandage de roue pour chemins de fer. L’atelier des bandages, à l’usine A, travaille à une seule équipe de jour, qui comprend des chauffeurs et aides-chauffeurs ; des marteleurs ; des lamineurs ; des compasseurs ; des manœuvres ; des machinistes ; un pointeur, etc.

Une des opérations principales de l’aciérie, c’est la trempe, et le proverbe n’a pas tort qui dit que la trempe fait l’acier. Du fer porté à une haute température, puis refroidi brusquement par immersion dans l’eau, n’acquiert aucune qualité nouvelle. L’acier, porté aussi à une haute température, si on le laissait refroidir naturellement, ne serait pas altéré non plus et demeurerait le même acier. Mais, lorsque, au lieu de le laisser refroidir peu à peu, on le plonge, tout rouge encore jusqu’au blanc, dans de l’eau froide, il devient aussitôt très dur et très cassant, d’autant plus dur que l’acier était plus chaud et que l’eau était plus froide. C’est de l’acier complet à présent, brillant et susceptible de recevoir le plus beau poli, l’on dirait volontiers le poli « à huit reflets » des obus et le poli glacé des lames. Il a même parfois, et pour certains ouvrages, le défaut d’être trop dur et trop cassant. On le soumet alors au recuit ; on le réchauffe à une température inférieure à celle de la trempe, et, en le laissant refroidir lentement, on ressoude en quelque manière ses molécules, on l’empêche de s’égrener, et on lui rend ainsi de l’élasticité et de la plasticité.

Nous assistâmes, dans l’atelier de cémentation[13] de l’usine C, à la trempe d’une plaque pour tourelle de cuirassé. On la fit glisser, longtemps chauffée, puis progressivement refroidie, au-dessous d’un jeu de robinets ; et l’eau, pleuvant doucement, comme en caresse, vint corriger, amender, achever l’œuvre du feu, la rendre plus malléable ou plus maniable, sans la rendre moins résistante… Un peu plus loin, dans une autre partie de l’atelier, on était en train de tremper des canons de 155 millimètres. Eux, comme il faut qu’ils soient très durs, un homme au visage couvert d’un masque les cueille, si rouges qu’on les croirait saignans, à la gueule du four, et, tout entiers, tout d’un coup, le palan qui les enlève les dépose dans une cuve où ils disparaissent de la culasse à la bouche. Pour les longues pièces de marine, les vrais Longs Toms, qui n’en finissent pas et qui pèsent plus de 40 000 kilos, la cuve est verticale ; c’est un puits profond au moins du double de leur longueur ; elles y descendent majestueusement, comme dans la gloire empourprée d’une apothéose de la force, s’y engloutissent, et n’en remontent que blanchies et bleuies de l’incorruptible éclat, durcies encore, dures à jamais de la dureté infrangible de l’acier.

Mais non, il n’y a pas d’acier si dur qu’il soit infrangible ou impénétrable à l’acier, et voici peut-être le plus grand miracle. Jusqu’ici l’homme, pour produire le métal, le traduire en sa forme et le conduire à sa fin, a eu la collaboration surhumaine, quasi divine ou infernale, du feu. Le feu est venu à son aide, pour amollir, fondre, dissocier, réassocier le fer et l’acier. Maintenant c’est l’acier seul, à froid, qui va rogner, entamer, scier, couper l’acier, sans le moindre bruit ni le moindre grincement. Je me rappelle un armurier de Tolède qui prenait une pièce de deux sous et tranquillement, sur le seuil de sa boutique, pour l’émerveillement des passans, la perçait d’un coup de poignard. Mais ici, c’est bien autre chose que le bon poignard de Tolède ! La roue dentée, mue par un pouvoir supérieur, entre dans le bloc d’acier et le tranche, avec la même facilité que le couteau entre et tranche dans le beurre ou dans le savon. Les copeaux d’acier volent autour de la machine à raboter, moins légers, mais tout aussi minces que les copeaux de sapin, et s’enroulent comme eux en tortillons. L’ajusteur travaille l’acier comme le menuisier travaille le bois ; il y fait des coupes et des assemblages. A l’usine A, les ateliers de l’ajustage et du blindage sont, eux aussi, à deux équipes de jour et de nuit, et dans chacune d’elles il y a, sous les ordres d’un contre-maître, des tourneurs, des raboteurs, des fraiseurs, des perceurs et des manœuvres.

C’est le dernier service actif de l’usine, ou l’avant-dernier, si l’on compte comme actif le service de l’entretien. Normalement, ce service n’est que de jour ; point de service de nuit ; mais survienne une réparation urgente, et tout de suite il se dédouble en service de jour et service de nuit. Il comporte d’ailleurs toutes les subdivisions possibles, de façon à parer à tout événement ; toutes les catégories ou spécialités s’y retrouvent et s’y rencontrent : contre-maîtres ; pointeurs pour la comptabilité ; chef-chaudronnier, chaudronniers ; chef-forgeron, forgerons ; frappeurs ; chef-maçon, maçons ; chef-électricien, aides-électriciens ; chefs-chauffeurs de chaudières, chauffeurs ; chefs-alimenteurs, alimenteurs ; chefs-machinistes, machinistes ; chefs-monteurs, etc.

Les services auxiliaires sont au nombre de six, à savoir :

M. — Bureau des études ;
N. — Comptabilité ;
P. — Laboratoire ;
H. — Magasin ;
S. — Caisse de secours ;
T. — Transports.

Le bureau des études est chargé de préparer les plans et devis des constructions nouvelles, et de pourvoir aux modifications ou réparations qu’exige si fréquemment l’outillage compliqué d’une usine. Outre le chef de bureau, qui est le chef du service, il se compose surtout de dessinateurs.

A la comptabilité, un chef-comptable et autant d’aides qu’il en est besoin. Ce sont eux qui réunissent, centralisent et totalisent tous les renseignemens transmis par les « pointeurs » des divers services ; qui les groupent pour établir les feuilles de paie et les revients ; et qui font parvenir les revients bruts au bureau de l’administrateur délégué, pour arrêter la comptabilité générale de l’entreprise.

Le service du laboratoire est de la plus haute importance : c’est un service fondamental dans les aciéries qui produisent les nouveaux métaux avec nickel, chrome, tungstène, molybdène, etc. Car il y a acier et acier ; et il est trop simple de croire que l’acier est toujours le même acier : deux grains d’acier ne se ressemblent pas plus que deux gouttes d’eau ; ils peuvent, au contraire, différer grandement. Il suffit à qui veut s’en convaincre d’en regarder deux échantillons au microscope, et l’on en regarderait dix qu’on en trouverait de dix types… Le laboratoire de l’usine A se subdivise en laboratoire chimique, pour l’étude et le dosage des corps dont sont constitués les aciers, pour l’examen et la détermination de leur composition chimique ; et en laboratoire physique, pour l’examen, à l’aide du microscope, de l’état physique des aciers. À ce service sont employés un chef de laboratoire, des aides, et des gamins ou apprentis.

Le magasin occupe un chef-magasinier, également chargé de tout ce qui concerne les blessés (malgré les précautions, les accidens sont malheureusement presque quotidiens dans les grandes usines métallurgiques, — nous aurons plus tard à le constater) ; un sous-chef-magasinier, à qui incombe le soin de faire les commandes nécessaires à l’entretien et de les distribuer dans les ateliers ; ce chef et ce sous-chef assistés de plusieurs aides.

La caisse de secours, à l’usine A, n’est point, à proprement parler, un service d’usine ; les ouvriers en ont seuls l’administration ; seuls, ils y nomment leurs délégués ; ils font leurs affaires eux-mêmes et eux seuls ; la Compagnie n’intervient que par ses dons et tout au plus, officieusement, quand on le lui demande, par un conseil.

Le service des transports est confié à un entrepreneur, ayant à sa disposition le personnel et le matériel suffisans pour effectuer toutes les manutentions en dehors des ateliers : chargemens de wagons, déchargemens, etc..

Si la comparaison de l’organisation du travail avec l’organisation militaire est permise pour la métallurgie comme pour les mines, telles sont les troupes ou telles sont les armes, tels sont les cadres de sous-officiers, tel est le corps d’officiers de l’armée métallurgique. Et l’on peut hardiment, pour la métallurgie, user de cette comparaison qui se présente à l’esprit dès que l’on se trouve en face d’une force disciplinée et hiérarchisée, organisée ; car, quelle force plus disciplinée, plus hiérarchisée, plus organisée que l’armée ? et, dans l’industrie, quelle discipline, quelle hiérarchie, quelle organisation du travail plus forte que dans la métallurgie ? Chaque service, actif ou auxiliaire, relève d’un chef de service : soit, à l’usine A, quinze chefs de service, qui relèvent du directeur technique ou ingénieur-directeur, sont en relations continuelles avec lui, et avec lui traitent toutes les questions intéressant la marche de tous les services. Mais, chaque jour, l’ingénieur-directeur lui-même va conférer de ces questions, notamment des marchés et des commandes, avec l’administrateur-délégué, qui représente et en qui s’incarne la Compagnie : « en qui s’incarne » est le mot vrai, puisqu’il est le patron en chair et en os, la personne et le nom de ce patronat impersonnel et anonyme.


II

L’usine B possède, ce que n’a pas l’usine A, un haut-fourneau ; elle a, de plus, une tréfilerie. Ce haut-fourneau, construit il y a quelque vingt ans, est le seul qui à cette heure reste en activité dans le département. De là une nouvelle catégorie ou plutôt de nouvelles catégories, de nouvelles spécialités d’ouvriers. La loi du haut-fourneau étant de ne s’éteindre jamais, ces ouvriers forment des équipes de jour et de nuit dont chacune comprend : des fondeurs et des aides-fondeurs ; des peseurs ; des chargeurs ; des rouleurs ; des leveurs et empileurs ; des outilleurs ; et des manœuvres.

La tréfilerie n’est pas ce qu’il y a de moins étrange dans le travail du fer, dans ce théâtre merveilleux, tout plein de changemens à vue, où la puissance de l’industrie atteint on ne sait quoi de magique, et, mariant les couleurs, variant les formes, se jouant des dimensions, séparant et combinant de nouveau les élémens constitutifs des corps, renversant ou redressant les données de la nature, réalise l’illusion et matérialise l’impossible. Cette barre qui s’engage, longue d’un mètre peut-être et large de huit à dix centimètres, dans la première cannelure du laminoir, guidée par des hommes qu’on a eu la précaution de revêtir de jambières de métal, sort bientôt de la dernière, longue d’une trentaine, d’une quarantaine de mètres ou davantage, pas plus grosse que le petit doigt ; elle se tord en anneaux, se plie, se replie, court à terre, comme un serpent de feu ; c’est le plus mobile, le plus agile, le plus reptile des reptiles ; et il faut être perpétuellement sur le qui-vive pour l’éviter, sauter d’un côté, puis de l’autre, selon qu’il ondule d’un côté ou de l’autre, ne pas se laisser prendre, en ses lacets, en ses nœuds, car, de quelque point qu’il effleure, il blesse ; son contact même est une morsure, et sa morsure est une brûlure. Une seconde de distraction ou de retard peut être fatale, et Ton nous a cité le cas d’un de ces ouvriers qui, ayant manqué son élan, a eu le pied entortillé, encerclé et coupé net. Il faut donc, à la tréfilerie, une mobilité, une agilité, une « reptilité » presque égales à celles de ce fil qui zigzague en une traînée de feu ; aussi la règle ou l’habitude est-elle de n’y mettre que de très jeunes gens.

Ce travail donne la machine ou le fil ébauché. Mais, le laminoir n’étant pas un instrument assez délicat pour en réduire l’épaisseur au-dessous de 6 à 7 millimètres de diamètre, si l’on veut faire de la « machine » un fil fin, on l’étiré à travers des filières, c’est-à-dire à travers des plaques d’acier dur percées de trous. Le fil, enroulé sur une bobine, est aminci à la lime par une de ses extrémités, et engagé dans la filière, — comme naguère la barre dans le laminoir, — saisi avec une pince, fixé à une autre bobine à laquelle on imprime une rotation et sur laquelle il vient s’enrouler au fur et à mesure que la première se déroule[14]. Ainsi, à froid, — en suivant la filière, — et après un grand nombre de passages par des trous de plus en plus étroits, la « machine » devient le fil fin, et le câble un fil télégraphique ou une corde de piano.

L’atelier de la tréfilerie emploie : des chauffeurs du train-machine et leurs aides-chauffeurs ; un lamineur, des dégrossisseurs ; des doubleurs ; des démêleurs ; des porteurs et tourniqueurs ; des empileurs de machine ; des tréfileurs ; des recuiseurs et décapeurs ; des trempeurs et galvaniseurs ; un tonnelier ; des outilleurs ; des magasiniers et manœuvres.

Au demeurant, l’organisation du travail est à peu près la même à l’usine B qu’à l’usine A ; la distribution en ateliers est la même, sauf quelques spécialités encore, que l’usine B a admises et que n’a pas l’usine A. Cette usine B se compose, en somme, de quatorze ateliers différens, savoir :


1° Haut-fourneau ;
2° Puddlage ;
3° Aciéries Martin ;
4° Moulerie d’acier ;
5° Tréfilerie d’acier ;
6° Aciérie à creusets avec fours de cémentation ;
7° Laminoirs avec marteaux de ressuage et martinets ;
8° Fabrique d’outils industriels et d’agriculture ;
9° Fabrique de ressorts pour carrosserie et chemins de fer ;
10° Fabrique d’essieux pour carrosserie ;
11° Fabrique d’enclumes ;
12° Grosses forges ;
13° Atelier de montage-finissage ;
14° Ateliers d’entretien, moulerie de fonte, et machines à vapeur.


Le personnel dirigeant et sous-dirigeant comprend : un directeur, huit ingénieurs chefs de service ; des sous-ingénieurs ; des contre-maîtres et des surveillans, répartis comme il suit entre les ateliers :

1 ingénieur pour : 1° le haut-fourneau, avec 1 contre-maître et 1 surveillant ; 2° le puddlage, avec 1 contre-maître et 1 surveillant.
Personnel ouvrier du haut fourneau. — (Voir plus haut.)
Personnel ouvrier du puddlage. — Puddleurs. — Aides-puddleurs. — Troisièmes aides. — Cingleurs. — Pilonniers. — Traîneurs et balayeurs. — Casseurs. — Rouleurs de houilles et de crasses ; manœuvres. — Rouleurs de fonte.
1 ingénieur pour : 3° les aciéries Martin, avec 3 contre-maîtres et 2 chefs d’équipe ; 4° la moulerie d’acier, avec 1 sous-ingénieur, 1 contre-maître et 4 chefs d’équipe.
Personnel ouvrier des aciéries Martin. — Fondeurs. — Aides-fondeurs. —
Chauffeurs. — Aides-chauffeurs. — Chargeurs et rouleurs. — Aides-chargeurs. — Gaziers. — Couleurs. — Aides-couleurs. — Pocheurs. — Peseur, marqueurs et ébarbeurs. — 3e" Aides et manœuvres. — Outilleurs. — Maçons.
Personnel ouvrier de la moulerie d’acier. — Mouleurs. — Ebarbeurs. — Sableurs et manœuvres. — Outilleurs.
1 ingénieur pour : 5° la tréfilerie, avec 1 contre-maître, 1 surveillant, 1 chef d’équipe.
Personnel ouvrier de la tréfilerie. — (Voir plus haut.)
1 ingénieur pour : 6° aciérie à creusets, avec 1 sous-ingénieur et 1 surveillant ; 7° les laminoirs, marteaux de ressuage et martinets, avec 2 contremaîtres, 2 surveillans et 1 chef d’équipe.
Personnel ouvrier de l’aciérie à creusets. — Fondeurs. — Arracheurs. — Démouleurs. — Gaziers. — Peseurs de charges. — Pocheurs et manœuvres. — Chauffeurs à la cémentation. — Cémenteurs.
Personnel ouvrier des laminoirs, étirage et ressuage. — Lamineurs. — Dégrossisseurs. — Presseurs. — Leveurs de barres et releveurs. — Scieurs. — Dresseurs. — Chauffeurs. — Aides-chauffeurs. — Marteleurs. — Aides-marteleurs. — Pilonniers. — Étireurs. — Burineurs d’acier. — Magasiniers et casseurs. — Rouleurs de houille et manœuvres. — Tourneurs de cylindres. — Outilleurs.
1 ingénieur pour : 8° les outils, avec 2 contre-maîtres ; 98 les ressorts, avec 1 contre-maître et 3 chefs d’équipe.
Personnel ouvrier de la martellerie et outils. — Forgeurs. — Frappeurs. — Chauffeurs. — Marteleurs. — Étireurs. — Pilonniers. — Cintreurs. — Meu-leurs et limeurs. — Magasiniers et manœuvres.
Personnel ouvrier des ressorts. — Cisailleurs. — Pointeur et perceurs. — Lamineurs. — Découpeurs. — Forgeurs. — Frappeurs. — Limeurs. — Chauffeurs. — Cintreurs. — Recuiseurs. — Ajusteurs. — Trempeurs. — Meuleurs et arrondisseurs. — Monteurs. — Outilleurs. — Emballeurs et manœuvres. — Nettoyeurs.
1 ingénieur pour : 10° les essieux de carrosserie, avec i contre-maître ; 11° les enclumes, avec 1 contre-maître ; 12° les grosses forges, avec 1 sous-ingénieur, 1 contre-maître, i surveillant et 2 chefs d’équipe.
Personnel ouvrier des essieux de carrosserie. — Chauffeurs. — Aides-chauffeurs. — Marteleurs. — Pilonniers. — Paqueteurs. — Matiïceurs. — Forgeurs et enviroleurs. — Frappeurs. — Tourneurs et aléseurs. — Perceurs. — — Meuleurs. — Raboteurs et mortaiseurs. — Ajusteurs. — Magasiniers et

manœuvres.

Personnel ouvrier des enclumes. — Forgeurs. — Frappeurs. — Limeurs. — Perceurs. — Trempeurs. — Manœuvres.
Personnel ouvrier des grosses forges. — Chauffeurs. — Aides-chauffeurs. — Marteleurs. — Aides-marteleurs. — Pilonniers. — Leveurs de porte. — Lamineur de bandages. — Mandrineurs de bandages. — Burineurs d’ébauches de bandages. — Forgeurs. — Frappeurs. — Cisailleurs. — Dresseurs. — Traceurs. — Vérificateurs. — Outilleurs. — Rouleurs de houille et manœuvres.
1 ingénieur pour : 13° le montage-finissage, avec 2 contre-maîtres, 1 surveillant et 3 chefs d’équipe. Personnel ouvrier du montage-finissage. — Forgeurs. — Frappeurs. — Traceurs. — Ajusteurs. — Tourneurs. — Raboteurs. — Mortaiseurs. — Perceurs. — Fraiseurs. — Aiéseurs. — Scieurs. — Centreurs. — Embatteurs de roues. — Manœuvres.

i ingénieur pour : 14° les ateliers d’entretien, machines à Tapeur, avec 2 sous-ingénieurs, 6 contre-maîtres et 6 chefs d’équipe.

Personnel ouvrier des ateliers d’entretien et des machines à vapeur. — Chargeurs de houille. — Wagonniers. — Chauffeurs de chaudières. — Alimen-teurs. — Machinistes. — Aiguilleurs. — Charpentiers. — Menuisiers* — Maçons. — Aides-maçons. — Terrassiers. — Manœuvres. — Ajusteurs. — Forgeurs. — Frappeurs. — Tourneurs. — Perceurs. — Raboteurs et tarau-deurs. — Chaudronniers. — Ferblantiers. — Électricieus. — Modeleurs. — Mouleurs de fonte. — Ébarbeurs.


L’usine B fournit un exemple excellent de ce que les philosophes ou les sociologues appelleraient « le processus de croissance » d’un établissement de la grande industrie dans la seconde moitié du XIXe siècle. Fondée en 1854, à l’effet déclaré d’exploiter un brevet pour la fabrication du produit mixte (acier fondu au creuset coulé sur fer)[15], et plus généralement de fabriquer le fer et l’acier, elle se consacra d’abord à la production des aciers pour outils, des fers fins de puddlage, des ressorts pour la carrosserie et pour les chemins de fer, puis de presque tout le matériel nécessaire à la construction : rails, bandages, essieux, etc. Cependant l’adoption du procédé Bessemer, l’invention du four Siemens en 1865, le perfectionnement qu’y apportait en 1867 l’ingénieur français Pierre Martin, permettaient d’obtenir, par grandes masses et couramment, des aciers de qualités diverses et de toutes les « nuances » de dureté. En 1873, vingt ans après sa fondation, l’usine B s’annexait un haut-fourneau, d’une capacité de 200 mètres cubes, où elle traitait elle-même et pour sa propre consommation des minerais tirés des Pyrénées ou de l’Algérie. Successivement ou simultanément, de 1873 à 1878, on procédait encore à d’autres installations : fours pour la production de l’éponge de fer par réduction directe ; four à puddler à brassage mécanique ; four à réchauffer desservant le train-laminoir gros mill ; compresseur de l’acier liquide dans le moule, pilon atmosphérique.

De ces innovations quelques-unes réussissaient, d’autres ne donnaient point les résultats qu’on en avait attendus ; et c’étaient des expériences, des tâtonnemens, des corrections, des abandons et des reprises. Au dehors, les conditions commerciales se modifiaient ; de nouvelles découvertes suscitaient de nouvelles concurrences ; l’application en grand du procédé Thomas Gilchrist allait désormais permettre l’emploi des minerais phosphoreux et pauvres du Nord et de l’Est, tenus jusqu’alors pour inutilisables : il fallait donc chercher ailleurs, ramener d’ailleurs la prospérité qui menaçait de s’éloigner par là. L’usine B se hâtait en conséquence d’ouvrir un atelier de tréfilerie et d’installer un train-machine (1880) ; elle augmentait sur toute la ligne sa puissance de production, donnait une impulsion plus forte aux travaux qui se rattachent à la confection du matériel de guerre, et en même temps commençait à fabriquer des projectiles et des canons pour la marine.

En même temps aussi, on apportait un soin particulier à la fabrication des moulages d’acier ; on revenait à celle des aciers fondus au creuset pour outils, quelque peu délaissés à la suite des premiers succès des aciers Martin ; on ajoutait des spécialités aux spécialités : en 1888, les enclumes en acier fondu ; en 1889, les essieux de carrosserie (essieux de charrette et essieux à patins) ; plus tard, les réservoirs pour torpilles automobiles. D’année en année, l’usine grandissait ; les développemens appelaient les développemens : on refaisait ou l’on améliorait l’outillage de l’atelier des forges, en le dotant d’un pilon de 40 tonnes, avec grues de 50 à 60 tonnes pour le desservir ; on installait, d’autre part, des chantiers de moulage d’acier, des cubilots et des molletons pour la préparation des terres de moulage, un atelier de démoulage, un atelier d’ébarbage des moulages d’acier avec burins pneumatiques et pont roulant électrique ; un four Martin-Siemens avec gazogène accolé ; des appareils Cowper et des épurateurs de gaz au haut-fourneau ; un creuset en acier moulé, un nouveau laminoir pour aciers marchands ; au montage, de gros tours, des raboteuses à force électrique, des mortaiseuses, etc., afin de pouvoir usiner les arbres et autres pièces de tout poids et de toute dimension pour les constructions navales.

Comme il était visible que l’industrie entrait dans l’ère de l’électricité, on ne se laissait pas devancer : on créait au plus vite une station électrique pour produire l’éclairage et la force motrice d’une partie de l’usine ; un atelier de modelage avec machines-outils électriques ; un appareil de trempe avec four vertical et treuil électrique pour tubes de canons jusqu’à vingt tonnes et quinze mètres de longueur. Cependant on n’avait garde de négliger cette autre grande force, la vapeur, et l’on remplaçait peu à peu les chaudières verticales par des chaudières multitubulaires. Ainsi, du simple au composé, d’une spécialité à l’autre, et de cette autre, puis d’une autre, à l’universalité des œuvres de métallurgie, s’est développée et comme déployée l’usine B en ses quatorze ateliers, sur une surface de plusieurs hectares. Croître par addition de spécialités, par adjonction d’ateliers, c’est en deux mots toute son histoire ; et c’est toute l’histoire de toutes les usines du même genre, dans la même industrie et dans la même région.


La troisième usine observée par nous, l’usine C, bien qu’elle ne le cède point, et loin de là, en importance aux deux premières, semble, par son titre même, délimiter plus étroitement le champ de son activité, et la restreindre ou la réserver surtout pour la marine et les chemins de fer ; mais, dans ce champ plus étroitement circonscrit, l’activité est merveilleuse et merveilleusement ordonnée. Comme les deux premières, elle a : des ateliers de construction (qui comprennent : fonderie de fonte, forges maréchales, tours et rabots, montage et chaudronnerie, usinage) ; ateliers de trempe et de cémentation ; aciérie ; laminage des têtes et blindages et finissage des blindages ; laminage des profilés et puddlage ; grosse forge (pilons et presse) ; entretien (forge de réparations et maçonnerie).

On peut dire, en ne subdivisant pas trop, et, au contraire, en rassemblant, en réunissant un peu, que les ateliers de construction emploient douze catégories d’ouvriers (ajusteurs, tourneurs, raboteurs, fraiseurs, chaudronniers, mouleurs, modeleurs, fondeurs, forgeurs, machinistes, manœuvres, apprentis) ; les ateliers de trempe et de cémentation, trois catégories (chauffeurs, machinistes, manœuvres) ; l’aciérie, cinq catégories (fondeurs, mouleurs, ébarbeurs, machinistes, manœuvres) ; le laminage des têtes et blindages, neuf catégories (lamineurs, ajusteurs, chauffeurs, cisailleurs, traceurs, dresseurs, raboteurs, machinistes, manœuvres) ; le laminage des profilés et le puddlage, cinq catégories (lamineurs, puddleurs, chauffeurs, machinistes, manœuvres) ; la grosse forge, quatre catégories (marteleurs, chauffeurs, machinistes, manœuvres) ; l’entretien, douze catégories (tourneurs, raboteurs, perceurs, machinistes, chauffeurs, ajusteurs, forgeurs, chaudronniers, charpentiers, charrons, manœuvres). Au total, en sept services, quarante-huit catégories. Le personnel ouvrier est encadré, à l’usine C, par un personnel dirigeant et sous-dirigeant qui compte :


1° Ateliers de construction : 1 ingénieur chef de service, 8 sous-ingénieurs, 16 contre-maîtres, 16 chefs d’équipe ;
2° Ateliers de trempe et cémentation : 4 ingénieur chef de service, 2 sous-ingénieurs, 2 contre-maîtres, 4 chefs d’équipe ;
3° Aciérie : 1 ingénieur chef de service, 5 sous-ingénieurs, 6 contremaîtres ;
4° Laminage des têtes et blindages et finissage des blindages : 1 ingénieur chef de service, 2 sous-ingénieurs, 7 contre-maîtres, 5 chefs d’équipe ;
5° Laminage des profilés et puddlage : 1 ingénieur chef de service, 4 sous-ingénieur, 4 contre-maîtres,
6° Grosse forge : 1 ingénieur chef de service, 1 sous-ingénieur, 1 contremaître, 5 chefs d’équipe ;
7° Entretien : 2 ingénieurs chefs de service, 2 sous-ingénieurs, 6 contremaîtres, 8 chefs d’équipe.


Lors de ma visite à cette usine, j’ai vu, en une seule journée, ou plutôt en une seule matinée, de neuf heures à onze heures, — juste le temps de passer d’un atelier à l’autre, — dix opérations différentes : à la tôlerie, le laminage de têtes pour disques, et le gabariage, par la presse de 2 500 tonnes, d’une plaque de blindage ; à l’atelier de cémentation, la trempe d’une plaque pour tourelle ; à l’aciérie, une coulée de lingots pour têtes ; aux bandages, le laminage de bandages pour chemins de fer ; au grand mill, le laminage de faux cercles ; au puddlage, la fabrication de fer pour roues ; à l’atelier de trempe, la trempe de frettes de 28 cm., la trempe de deux canons de 155 mm., la trempe d’obus de 164,7. Voilà deux heures de la vie d’une grande usine métallurgique : il en est ainsi tous les jours ; et, pour certains de ses services, il en est ainsi jour et nuit.


III

C’est le travail concentré, continu et intense. Mais c’est, d’autre part, le travail divisé et spécialisé. Concentré dans l’usine, divisé entre les ateliers, spécialisé entre les ouvriers. Faisons des catégories d’ouvriers une récapitulation hâtive : on en trouve, en laissant de côté les manœuvres, en ne retenant que les spécialités réelles, et en comptant ensemble, dans la même spécialité, les chefs, les compagnons et les aides, quarante-deux à l’usine A ; quarante-huit à l’usine C ; et, chiffre bien plus gros qui s’explique par ce fait que cette troisième usine B a plusieurs ateliers que n’ont ni l’usine A ni l’usine G : — haut-fourneau, tréfilerie, fabrique d’outils, fabrique de ressorts, fabrique d’essieux, fabrique d’enclumes, lesquels veulent précisément des ouvriers rompus à des ouvrages spéciaux, — on n’en trouve pas moins de cent quarante-sept à l’usine B.

De cinquante à cent cinquante, selon que l’usine a ou n’a pas tel ou tel atelier, fait ou ne fait pas telle ou telle fabrication, et sans doute, selon que l’on suit tel ou tel mode de distribution ou de classement, c’est en ces limites que varie le nombre des spécialités ou des catégories dans des usines métallurgiques employant, comme A, B et C, de deux mille à trois mille ouvriers[16]. Elles-mêmes, pourtant, ces catégories, ces spécialités, qui sont de cinquante à cent cinquante, se rassemblent, se groupent en équipes, par ateliers, chaque équipe ayant ses hommes, ses cadres, son chef, chaque atelier ayant les siens, et l’usine tout entière, en tous ses ateliers, en toutes ses équipes, ayant le sien, le directeur, chef suprême de l’entreprise et du personnel. Et en ce directeur, de qui tout part, à qui tout revient, par lui s’opère la reconcentration, la réunification du travail divisé et spécialisé : en lui, et au-dessous de lui, en ces services, ces ateliers, ces équipes et leurs chefs, le travail se régularise, se hiérarchise, et, par conséquent, s’organise.

En effet, il s’y organise ; nous tenons bien ici tous les traits, tous les caractères de l’organisation ; et nous tenons du même coup, en ces usines métallurgiques, tous les traits, tous les caractères de la grande industrie moderne. Nous surprenons en plein jeu, en plein exercice, la force même, la loi même de cette industrie, conductrice et dominatrice de notre évolution économique, et plus que de l’évolution économique, de toute notre évolution sociale : la force ou la loi de concentration.

Nous les saisissons mieux encore que dans les mines. Pour les mines, la nature a poussé les hommes où était la houille : voulant la trouver, il leur fallait venir là, ils ne pouvaient aller ailleurs. Dans la métallurgie, si, comme c’est le cas pour la Loire, ils n’ont pas le minerai sur place, la nature n’y est plus pour rien, on n’y est que pour beaucoup moins, la proximité du combustible ; quant au reste, c’est évidemment la force, la loi de l’industrie qui agit. Et elle agit imperturbablement dans le sens de la concentration : l’outillage, l’ouvrage, les ouvriers, le travail et le capital, elle concentre tout ; elle est une grande « assembleuse » des choses et des hommes.

Assembleuse des choses. Autour de la machine à vapeur, qui devenait le moteur indispensable, se sont concentrés, — nous l’avons montré tout au long[17], — premièrement les outils, les instrumens, du travail ; deuxièmement, à portée de ces instrumens, afin de les avoir sous la main et de pouvoir les utiliser, s’est concentré le travail. L’atelier isolé s’est transformé en atelier distinct encore, mais simple partie de ce tout qu’est l’usine. Le travail, de particulier ou individuel qu’il était jadis, va dorénavant, en quelque manière et dans quelque mesure, être collectif. Cela se vérifie et s’affirme à tous les degrés : ainsi l’unité, la cellule de l’industrie, est l’usine ; la cellule de l’usine est l’atelier ; la cellule de l’atelier est l’équipe ; — la théorie s’était permis de le poser en axiome : l’observation des faits, et du détail des faits, qu’elle porte sur A, sur B ou sur C, le prouve surabondamment.

Assembleuse des hommes aussi, et parce qu’assembleuse des choses. Concentrés dans l’usine pour le travail, les hommes ont été conduits à se concentrer autour de l’usine après le travail : ainsi sont nées des villes, comme B et C, pure création de l’industrie, qui n’existaient pas avant elle et disparaîtraient avec elle, qui n’ont qu’elle pour source de population, pour aliment et pour raison d’être.

Concentration de l’outillage, du travail et des travailleurs ; concentration parallèle et pareille, des capitaux. Quelques milliers de francs, quelques centaines de milliers de francs au maximum, un bailleur de fonds ou une commandite suffiraient à l’usine qui n’était guère qu’un atelier et que l’on vouait à un seul objet ; mais des millions ne seraient pas de trop pour l’usine qui, comme A, B et G, s’étend à dix ou quinze ateliers, embrassant toute la production, toute la fabrication du fer ou de l’acier ; or, ces millions, dont on ne saurait se passer, le meilleur moyen de les avoir, c’était de les demander à tout le monde par une émission d’actions. L’argent affluait donc de partout vers l’industrie, se concentrait de partout sur l’industrie. Il en était lui-même comme un second moteur ; autour de celui-là, comme autour de l’autre, autour de l’argent comme autour de la machine, se faisait la concentration ; et, comme le travail, le capital obéissait à cette force, subissait cette loi, à laquelle rien n’échappe dans le monde depuis un siècle, et qui est, je dirais volontiers la loi fondamentale et constitutionnelle de la grande industrie.

Néanmoins, ce n’est pas assez de dire la loi de concentration ; et l’on devrait dire la double loi de concentration et de spécialisation, deux lois qui ne sont point contradictoires, mais complémentaires l’une de l’autre, et qui ne sont pas en vérité deux lois, mais deux titres de la même loi, pour régler deux mouvemens et régir deux temps du même acte. La grande industrie concentre, puis spécialise, puis reconcentre. Et, puisque nous y avons relevé tous les traits, tous les caractères de « l’organisation, » pourquoi ne pas oser dire enfin qu’ici le mécanisme se comporte comme l’organisme ; que la loi de concentration et de spécialisation du travail correspond, dans la série mécanique, à la loi d’intégration et de différenciation des fonctions, dans la série organique ; qu’une usine croît, s’entretient, se développe comme un être vivant, si bien que toute audace de langage s’excuse, fait mieux que de s’excuser, se justifie ; et qu’il n’y a presque plus de métaphore à parler d’elle comme d’un être vivant ?


CHARLES BENOIST.

  1. Voyez la Revue des 1er juillet, 15 août et 15 septembre.
  2. Ce dernier groupe, principalement en Meurthe-et-Moselle.
  3. Ces syndicats sont les suivans (Relevé communiqué par M. Fagnot, enquêteur à l’Office du travail) :
    Le Creusot : Syndicat des ouvriers métallurgistes (rouge) ; Syndicat des corporations ouvrières du Creusot (jaune).
    Saint-Étienne : Chambre syndicale des métallurgistes.
    Firminy : Association syndicale et professionnelle des métallurgistes.
    Montluçon : Chambre syndicale de l’Union similaire de la métallurgie ; Union des ouvriers métallurgistes ; Syndicat général des métallurgistes ; Syndicat de l’usine des Hauts-Fourneaux ; Union syndicale des ouvriers de l’usine Saint-Jacques ; Syndicat des mouleurs en métaux.
    Maubeuge : Syndicat des métallurgistes.
    Paris : Union corporative des mécaniciens ; Fédération nationale des mécaniciens ; Chambre syndicale des mouleurs en fer ; Fédération des mouleurs en métaux ; Chambre syndicale des mouleurs en cuivre ; Fédération nationale des métallurgistes.
    Le Havre : Chambre syndicale des métallurgistes.
    Audincourt (Doubs) : Chambre syndicale des ouvriers de l’usine d’automobiles ; Fédération syndicale des ouvriers métallurgistes du pays de Montbéliard ; Syndicat des corporations métallurgistes pour la protection du travail.
    Saint-Nazaire : Union syndicale des chaudronniers, charpentiers en fer, ferblantiers, riveurs, chanfreniers, etc. (Construction de navires) ; Syndicat des ajusteurs ; Chambre syndicale des forgerons.
  4. Cité par E. Leseure, Historique des mines de houille du département de la Loire, p. 2.
  5. En prenant le mot « métallurgie » au sens le plus large, et en partant de l’extraction du minerai, on trouvera dans l’œuvre de F. Le Play d’intéressantes et instructives monographies, — lesquelles pourront donner au moins des points de comparaison, — notamment :
    Mineur du Hartz, Ouvriers européens, t. III, p. 99-152. — Mineur de Pontgibaud (Auvergne), t. V, p. 150-191. — Mineur des gîtes de mercure d’Idria, t. II, p. 1-33. — Fondeur du Derbyshire, t. III, p. 400-436. — Fondeur de Buskerud, t. III, p. 54-98. — Fondeur de Schemnitz, t. IV, p. 1-68. — Fondeur de Hundsrucke, t. IV, p. 68-120. — Forgeron des usines à fer de l’Oural, t. II, p. 99-138. — Forgeron bulgare des usines de fer de Samakowa, t. II, p. 231-265. — Forgeron de Dannemora (Suède), t. III, p. 1-53.
  6. Je profite de cette occasion pour avertir, sur l’observation qui m’en a été obligeamment faite par M. Armand Julin, chef de division et chef de la statistique à l’Office belge du travail, que « la classification utilisée pour l’élaboration du Recensement général des industries et des métiers en Belgique au 31 octobre 1896 comprend huit cent cinquante-huit professions différentes » (voyez Recensement, vol. XVIII, p. 88) et non cent soixante-douze seulement, comme je l’avais dit, d’après les Instructions données aux commis chargés de la confection des feuilles de dépouillement. La liste jointe à ces instructions, et qui ne comprenait en effet que cent soixante-douze professions, devait simplement « les aider à résoudre » quelques cas douteux ; » c’était en réalité une liste comprenant cent soixante-douze exemples, tandis que la liste complète distingue huit cent cinquante-huit espèces.
  7. Nous reproduisons ci-dessous ce tableau, en soulignant, de façon que l’italique les fasse apparaître immédiatement, celles des professions ou opérations dont la matière est le fer ou l’acier :
    FABRICATION DES MÉTAUX USUELS AUTRES QUE LE FER

    Cuivre (fab. de). — Laminoirs à cuivre. — Laminoirs à zinc. — Laminoirs à zinc et à cuivre. — Métal blanc (fab. de. — Plomb (fab. de). — Plomb et argent (fab. de). — Plombs argentifères (usines de désargentation de). — Plomb (usines de raffinage du). — Zinc (fab. de). — Zinc (usines de calcination et de grillage des minerais de).

    FABRICATION DES PRODUITS SIDÉRURGIQUES

    Aciéries. — Fer (fab. de) (puddlage et laminage). — Hauts fourneaux. — Laminoirs à acier et à fer (sans puddlage). — Laminoirs à tête d’acier et de fer (sans puddlage).

    CONSTRUCTION DE MACHINES ET D’OUVRAGES MÉTALLIQUES

    Chaudières, charpentes et autres grands ouvrages métalliques (ateliers de construction de). — Chaudronnerie industrielle (ateliers de petite). — Construction navale, réparation de navires (chantiers de). — Machines agricoles (ateliers de construction de). — Machines motrices, machines-outils, appareils industriels (ateliers de construction de). — Machines et appareils électriques (ateliers de construction de). — Matériel fixe et roulant de chemins de fer (ateliers de construction et de réparation de). — Pièces de forge (ateliers de construction de grosses). — Pièces mécaniques diverses (ateliers de construction de). — Pompes (ateliers de construction de). — Vélocipèdes, pièces de vélocipèdes (ateliers de construction de). — Voies et matériel de chemins de fer portatifs, voies de tramways (ateliers de construction de). — Voitures automobiles (ateliers de construction de).

    FONDERIE

    Fonderies d’argent et d’or. — Fonderies de caractères d’imprimerie. — Fonderies de cuivre, de bronze et de métal blanc. — Fonderies d’étain. — Fonderies de fonte, de fonte et acier, de fonte et cuivre. — Fonderies de lingots de zinc (refonte de vieux zincs). — Fonderies de tuyaux de canalisation.

    FERRONNERIE, SERRURERIB, POÊLERIE

    Forges de maréchaux ferrans et de forgerons. — Poélerie et ferronnerie de bâtiment (fab. d’ornemens et d’articles pour). — Poêles, fourneaux et appareils divers de chauffage (fab. de). — Serrurerie-poélerie (ateliers de). — Serrurerie-ferronnerie (ateliers de).

    FABRICATION DE BOULONS, CLOUS, VIS, CHAINES, FILS ET CABLES MÉTALLIQUES

    Boulonneries. — Boulons (fab. de). — Câbles et cordes métalliques (fab. de). — Chaînes et articles en fer forgé (fab. de). — Clous (fab. de). — Clouteries, pointeries. — Tréfileriez. — Visseries.

    FABRICATION D’ARMES A FEU PORTATIVES

    Armes à feu portatives (fab. d’). — Canons de fusil en acier (fab. de). — Canons de fusil en damas (fab. de).

    COUTELLERIE

    Couteaux (fab. de). — Rasoirs (fab. de).

    FABRICATION D’USTENSILES DE MÉNAGE

    Chaudronniers, articles de ménage en cuivre battu (fab. de). — Ferblanterie (ateliers de). — Rétameurs. — Ustensiles de ménage (fab. de).

    TRAVAIL DES MÉTAUX

    Argenture, bronzage, dorure des métaux (ateliers d’). — Battage d’or en feuilles (ateliers de). — Découpage des métaux (ateliers de). — Émaillage des métaux (ateliers d’). — Estampage (ateliers d’). — Étain et plomb en feuilles, capsules, etc. (fab. d’). — Galvanisation (ateliers de). — Nickelage (ateliers de). — Perforage de têtes (ateliers de). — Planage de têtes (ateliers de). — Plomb laminé et tuyaux en plomb (fab. de). — Polissage des métaux (ateliers de). — Repoussage des métaux (ateliers de). — Tourneurs en métaux. — Zinc (ateliers d’étirage et repoussage du).

    FABRICATION D’OBJETS ET OUVRAGES SPÉCIAUX EN MÉTAL

    Acier embouti, acier estampé (fab. d’articles en). — Agrafes (fab. d’). — Aiguilles (fab. d’). — Armes blanches (ateliers de montage d’). — Balances, bascules (fab. de). — Boites métalliques (fab. de). — Cuivrerie et garnitures pour harnachement et lanternes (fab. de). — Éclairage (fab. d’appareils d’). — Épingles (fab. d’). — Fers à cheval (fab. de). — Formes de chapeaux en zinc (fab. de). — Lampes de sûreté pour mines (fab. de). — Limes (fab. de). — Lits, meubles en fer (fab. de). — Monnaies (fab. de). — Outils divers (fab. d’). — Parapluies (fab. de montures de). — Peignes métalliques (fab. de). — Plombs de chasse (fab. de). — Quincaillerie (fab. d’articles de). — Serrurerie de bâtiment et d’ameublement (fab. de). — Ressorts (fab. de). — Robinetterie (ateliers de). — Scies (fab. de). — Toiles métalliques-treillages (fab. de). — Tubes soudés (fab. de). — Tuyaux et articles en métal étiré (fab. de).

  8. Voyez la Revue du 15 mars 1901.
  9. Sur les procédés de fabrication, et pour les explications techniques, voyez : A. Ledebur, professeur de métallurgie à l’école des mines de Freiberg, Le Fer et l’Acier, leurs emplois dans l’industrie, manuel à l’usage des constructeurs et des mécaniciens, traduit de l’allemand par Th. Seligmann ; Paris, 1 vol. in-16 ; Fritsch, 1896 ; — G. Oslet, La Construction, chapitres relatifs aux fers et aux aciers, 1 vol. in-4o, Georges Fanchon ; — Urbain Le Verrier, La Métallurgie, dans la Bibliothèque des Sciences et de l’Industrie ; 1 vol. in-8o, 1902 ; Société française des éditions d’art. Voici ce que M. Le Verrier dit du bas-foyer :
    « Le bas-foyer, très employé dans nos usines jusqu’au milieu du XIXe siècle, ne différait guère du four primitif (qui n’était sans doute qu’une cavité creusée dans le sol, remplie de bois ou de charbon dont on activait la combustion avec des soufflets à main placés sur le bord) que par des dimensions un peu plus grandes, une combustion plus stable et l’emploi de soufflerie mécanique. Sa cavité en forme de bassin destinée à recevoir le combustible est creusée dans un massif de maçonnerie assez élevé pour faciliter le travail ; sur l’un des côtés où se place l’ouvrier, se trouve une plate-forme où l’on peut tirer les matières qui ont été élaborées dans le foyer : les autres côtés sont entourés de murettes, à travers lesquelles passent les tuyères soufflantes. Après avoir rempli le foyer de charbon allumé, on charge au-dessus le minerai ou le métal ; lorsque la matière est fusible, elle se liquéfie sous le feu des tuyères et tombe au fond du bassin ; elle y prend la place du charbon, dont il ne reste qu’une couche plus ou moins épaisse au-dessus (p. 7 et 8). »
  10. De ces douze heures de présence, il faut évidemment déduire le temps des repas.
  11. Bureau des études. — Comptabilité. — Laboratoire. — Magasin. — Caisse de secours. — Service des transports ; ce qui porte à une quinzaine le nombre total des divers services de l’usine. — Nous y reviendrons.
  12. L’usine A possède un marteau-pilon de soixante tonnes ; les usines B et C ont des pilons de cent tonnes. L’usine C a des presses de 2 500 tonnes et au-delà (plus de 2 500 000 kilos).
    « Aujourd’hui, écrit M. Le Verrier, on remplace souvent le pilon par la presse. En comprimant l’eau avec des pompes à haute pression dans un réservoir où sa meut un large piston, on peut exercer un effort pour ainsi dire illimité. Si, par exemple, l’eau est comprimée à 100 atmosphères, chaque centimètre carré de surface du piston supporte un effort de 100 kilogrammes ; un piston de 50 centimètres de diamètre transmettra, dans ces conditions, un effort total de 800 tonnes.
    « Les grandes presses à forge sont munies de jeux de pompes qui peuvent élever la pression de l’eau jusqu’à 400 atmosphères, et l’effort sur le piston peut s’élever à 4 000 tonnes. Les plus grosses masses s’écrasent sous ce poids formidable. La presse n’agit pas par chocs brusques comme le pilon ; elle avance lentement et sans bruit, mais avec une force irrésistible ; son action, au lieu de s’épuiser en un instant comme celle du pilon, est continue et ininterrompue, de sorte qu’en somme le travail avance plus vite. » — La Métallurgie, p. 201.
  13. « Pour fabriquer des aciers exactement au degré de carburation voulu, on emploie le procédé de cémentation. On prend des barres de fer pur et on lui incorpore une certaine quantité de carbone en les chauffant longtemps au milieu d’une masse de charbon de bois en poudre. Au rouge cerise, les deux corps se combinent ensemble et le carbone pénètre peu à peu jusqu’à une certaine profondeur dans la barre. Il s’y introduit et chemine progressivement, bien que le métal reste solide…
    « Cette opération se fait dans de grandes caisses où les barres de fer plates sont empilées avec des lits alternatifs de charbon en grains. Ces caisses sont placées sur des banquettes recouvertes d’une sorte de hotte. Après avoir chargé les caisses, on ferme les portes du four, on les lute avec soin, et on chauffe au moyen d’un foyer placé entre les banquettes. On maintient le four chaud plusieurs jours, car il faut longtemps pour que la cémentation se fasse sentir jusqu’à une certaine profondeur. L’opération est naturellement d’autant plus longue qu’on veut avoir un acier plus carburé. A la fin, on laisse refroidir lentement, on ouvre les caisses, puis on casse les barres, et on examine leur grain, c’est-à-dire l’aspect de la cassure, pour les assortir et les classer en catégories suivant leur degré de dureté. » — Urbain Le Verrier, la Métallurgie, p. 167.
  14. Voyez Urbain Le Verrier, la Métallurgie, p. 198-200.
  15. La production de l’acier fondu était alors très coûteuse et l’on en était arrivé, dans certains cas particuliers, comme la fabrication des rails et bandages, par exemple, à envisager la nécessité de souder l’acier sur le fer. C’est d’ailleurs la même idée qui s’est trouvée plus tard, en 1873, appliquée à la fabrication des plaques de blindage Cammel.
  16. La division du travail et son organisation sont d’ailleurs la même dans la plus grande et la plus célèbre des usines métallurgiques françaises, au Creusot. Là aussi, fonderies, forges, aciéries ; et, comme ateliers, les hauts-fourneaux, les aciéries, les presses et pilons, les fonderies, la forge. Là aussi, un personnel ouvrier, réparti par équipes, et composé de chefs d’équipe ou chefs-ouvriers, d’ouvriers, d’élèves-ouvriers (qui sont les aides) et de manœuvres. Un personnel dirigeant et sous-dirigeant composé d’ingénieurs, de contre-maîtres et des chefs d’équipe précités. La hiérarchie s’établissant de bas en haut dans chaque service, certaine et serrée : chefs d’équipe, contre-maîtres, chefs d’atelier, ingénieur chef de fabrication ou chef des travaux, chef de service. Effectif de ces divers services, 5 000 ouvriers environ, et autant, environ 5000, dans les services de constructions mécaniques, de matériel d’artillerie, de chemins de fer, etc. : en tout, une dizaine de mille.
  17. Voyez la Revue du 15 décembre 1900.