Le Travail dans la grande industrie
Revue des Deux Mondes5e période, tome 11 (p. 285-310).
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LE TRAVAIL
DANS
LA GRANDE INDUSTRIE

I
LES MINES DE HOUILLE[1]

III
LA PRODUCTION ET LE SALAIRE. — LE CONTRAT DE TRAVAIL


En regard du temps et de la peine, il faut mettre le produit et le prix du travail. Le produit, évidemment, est en raison de ces deux élémens, de ces deux forces combinées et coopérantes : la durée du travail et son intensité ; mais elles ne le « conditionnent » pas, elles-mêmes et elles seules, avec une rigueur absolue ; il y a toujours une mise en train, des frottemens, bien d’autres causes de déperdition d’effet, et toujours, pour avoir le travail utile, on doit retrancher du travail total le travail perdu[2].

Le travail effectif, si l’on prend ce mot pour synonyme de travail productif ou mieux encore de travail mesuré au produit, ce n’est donc pas la durée de présence, moins la durée du repos seulement ; je veux dire : on ne l’obtient pas en retranchant seulement de la durée de présence la durée des repos ; il y a à tenir compte d’autre chose. Dans les mines de houille, on l’a vu, l’ouvrier chemine parfois au fond pendant 1 heure, 4 h. 15, 1 h. 45 même 2 h. 45, afin de se rendre au chantier ; et, en certaines de ses parties du moins, ce chemin n’est pas une promenade, mais un véritable travail. Le travail effectif, le travail productif ne peut en conséquence représenter que la durée de présence. moins la durée des repos, moins la durée du chemin au fond, qui est du travail perdu. Voilà ce qu’il représente en durée, ou en temps : ce qu’il représente en intensité, et, par suite, sa productivité réelle, le travail mesuré au produit, dépend de toutes sortes de circonstances, personnelles ou extérieures à l’ouvrier.

Comme le produit entre nécessairement dans le calcul du prix et en est même, selon l’usage des mines, le facteur principal, si difficile qu’il soit d’évaluer l’intensité du travail, et si variable que tant de circonstances différentes en fassent le rendement, après avoir mesuré d’aussi près que possible le temps et la peine, et avant d’y comparer le prix, nous allons essayer de le déterminer.


I

La production dépend d’abord de la durée du trait. Qu’est-ce donc que « le trait ? » Je crois bien avoir lu quelque part, lors de l’enquête ouverte par la commission de la Chambre des députés, que l’on appelait « le trait » l’intervalle compris entre le moment où le dernier ouvrier est descendu et le moment où le premier ouvrier est remonté. Aussitôt le dernier descendu et aussitôt le premier remonté, on ferait un trait sur une ardoise, une pancarte, un tableau : d’où le nom et l’explication. Mais ce n’est pas tout à fait cela, ou même ce n’est pas cela du tout. Dans le Pas-de-Calais, on appelle « trait » le temps pendant lequel il est procédé à « l’extraction » soit des terres, soit du charbon. Le mot « trait » signifie proprement ici : action de tirer, parce que, autrefois, comme on le sait, l’extraction se faisait par des chevaux manœuvrant des tambours à l’orifice des puits. On disait alors que les chevaux étaient « sur trait » pendant tant d’heures, et, depuis, par abréviation, on a dit que « le trait durait tant d’heures. » Aujourd’hui, « le trait » s’entend du moment où commence l’extraction jusqu’au moment où elle cesse, et précisément du moment où la cage remonte la première berline chargée jusqu’au moment où la cage remonte la dernière berline chargée[3].

Durant le trait, la production dépend ensuite et de la qualité ou de l’habileté de l’ouvrier, et de la qualité ou de la facilité de la veine. C’est dire qu’elle est loin d’être la même dans tous les bassins, dans toutes les mines d’un même bassin, dans toutes les fosses d’une même mine, dans tous les quartiers d’une même fosse, dans toutes les tailles d’un même quartier, pour tous les ouvriers d’une même taille. Aux mines de B… (Pas-de-Calais), si l’on ne considère, à l’exclusion de tous autres, que les ouvriers occupés à l’abatage du charbon, que les mineurs, ouvriers à veine et leurs aides, on peut admettre qu’ils donnent en moyenne une production individuelle de 2 tonnes 100 par jour de travail, soit de 600 à 630 tonnes par an. Mais, si l’on considère ensemble tous les ouvriers employés au fond, la production individuelle moyenne n’est plus que de 1 tonne à 1 tonne 200 par jour, soit de 300 à 350 tonnes par an. Enfin, si l’on considère à la fois tous les ouvriers du fond et du jour, le personnel entier de la mine dans ou pour chaque fosse, cette production n’atteint plus que de 0t800 à 0t850 par jour, soit, par an, de 240 à 250 tonnes.

Aussi les statistiques officielles elles-mêmes, celle, par exemple, qu’a dressée, pour l’année 1900, la Direction générale des mines au ministère des Travaux publics, ont-elles soin d’ouvrir au moins deux colonnes : ouvriers du fond, et ouvriers sans distinction. D’après cette dernière statistique, la production journalière et la production annuelle auraient été, dans les différens bassins houillers, ou plutôt dans quelques mines, prises comme types, de ces différens bassins :


Bassins Production journalière par ouvrier « Production annuelle par ouvrier «
du fond sans distinction du fond. sans distinction
Kilos Kilos Kilos Kilos
Valenciennes (Nord et Pas-de-Calais) 1 082 830 308 240
Saint-Etienne (Loire) 992 669 300 199
Alais (Gard et Sud-Est) 886 589 236 158
Le Creusot et Blanzy 902 532 261 151
Aubin et Carmaux 931 616 259 163
Commentry 898 614 274 186
Lignites de Fuveau (Provence). 1 169 810 301 221
Ensemble des bassins houillers de la France 1 009 721 287 206

C’est, en somme, une production journalière qui varie, selon que l’on considère les ouvriers du fond séparément ou tous les ouvriers du fond et du jour réunis, entre 900 et 1 100 kilos, d’une part, entre 530 et 830 kilos, de l’autre ; et c’est une production annuelle variant, par conséquent, de 230 à 300 tonnes pour les ouvriers du fond, de 150 à 240 tonnes pour tous les ouvriers ensemble.

La variation est sans doute très grande, trop grande pour s’expliquer seulement par les différences personnelles dans la qualité de l’ouvrier et les différences locales dans la qualité du gisement. Il faut, en effet, pour l’expliquer complètement, y faire entrer, il faut compter parmi ses causes, « le plus ou moins de perfectionnemens apportés dans les procédés d’extraction, » le plus ou moins de force « des machines destinées à épuiser l’eau, à ventiler les galeries, à monter les bennes… etc., soit que ces machines aident directement l’ouvrier, soit qu’elles contribuent à assainir ou à rendre plus sûr le milieu où il opère[4] ; » parce qu’en améliorant plus ou moins ainsi les conditions du milieu, on améliore plus ou moins les conditions du travail et, par suite, on en augmente plus ou moins le rendement.

Quelles qu’en soient du reste les raisons, et quelque part que chacune d’elles y ait eue, la production des mines, la productivité du mineur, s’est accrue en un siècle, dans la proportion du simple au double, au triple, parfois au quadruple ou même au quintuple. A Anzin, vers 1775, elle ne dépassait pas annuellement 60 tonnes ; en 1873, elle avait atteint 192 tonnes. A Aniche, vers la même date de 1775 ou quelques années après, elle n’était que de 38 tonnes ; et, en 1873, elle approchait de 220 tonnes. Dans les mines du bassin de la Loire, autour de Saint-Etienne, à Chaney et Saint-Jean-Bonnefonds, à Roche-la-Molière et Villars, à Firminy, 35 pics ou piqueurs s’employaient, en 1709, à l’abatage du charbon : un pic rendait en moyenne par jour douze charges de 125 kilogrammes, ou 1 500 kilos, une tonne et demie, — ce qui faisait, pour 230 jours environ d’extraction à l’année, 345 tonnes par pic.

Mais disons bien par pic et non par ouvrier : non pas même par ouvrier du fond, toutes spécialités du fond mêlées ou négligées, mais par mineur proprement dit, piqueur, ouvrier à veine. Avec les seules statistiques officielles, qui ne parlent que « d’ouvriers du fond » et d’ « ouvriers sans distinction, » nous n’avons pas les élémens d’une comparaison entre la productivité du mineur, autrefois, et sa productivité, aujourd’hui, dans le bassin de la Loire, puisque les catégories ne correspondent pas des documens historiques aux documens contemporains. Néanmoins, approximativement et à titre d’indication, cette comparaison, nous pouvons peut-être la faire, en nous fondant sur les renseignemens particuliers qui nous ont été fournis pour la région du Nord et du Pas-de-Calais. Si l’on se rappelle que là, dans le Pas-de-Calais, la production quotidienne du mineur, de l’ouvrier à veine est d’environ 2 tonnes 100, et, par conséquent, sa production annuelle, de 600 à 630 tonnes ; si, d’autre part, l’on remarque que la moyenne de production est un peu plus faible dans la Loire que dans le Nord, il reste que la productivité du pic ou du piqueur, dans le bassin de la Loire, a à peu près doublé depuis 1709[5].

D’autres chiffres, relevés çà et là, dans le même bassin, viendraient à l’appui de cette observation, quoique inégalement, à cause de l’inégalité des conditions de milieu, suivant que les couches ont une épaisseur, une puissance de 1 mètre, de 2 mètres, de 4 ou 5 mètres, de 6 mètres ou même de 12 mètres, comme il s’en rencontre dans la Loire, et suivant les méthodes d’exploitation dont quelques-unes, qui n’étaient pas toujours les meilleures, telles que celle des chambres d’éboulement, pouvaient sur l’instant forcer le rendement, tout en ruinant la mine. C’est ainsi qu’aux mines du Forez, en 1782, la production journalière d’un ouvrier était évaluée, dans ce qu’on appelait la Réserve, à huit bennes de 120 kilos, ou 960 kilos ; hors de la Réserve, à six bennes, ou 720 kilos de charbon. Il est d’ailleurs difficile de dire s’il s’agit ici de piqueurs, d’ouvriers du fond, ou d’ouvriers sans distinction, car le texte n’est pas très clair. Mais, en 1787, à Roche-la-Molière, où nous savons qu’il y avait 50 ouvriers du fond, ces 50 ouvriers ne produisaient par jour que 110 bennes de 147 kilos, soit environ 325 kilos chacun. En revanche, à Firminy, en 1795, les piqueurs seraient allés jusqu’à faire des abatages de 3 tonnes à 3 tonnes et demie par poste ; et ce résultat serait supérieur aux plus brillans résultats d’aujourd’hui ; mais, à supposer même qu’il n’y ait rien à en déduire, on ne l’obtenait que dans les grandes couches, c’est-à-dire très exceptionnellement. Vers le même temps, entre 1786 et 1790, les 40 ouvriers occupés dans les mines du marquis de Mondragon, à Saint-Chamond, ne produisaient, eux, que 210 bennes, environ 17 ou 18 tonnes, chacun 450 kilos.

En termes généraux, l’ascension est constante. La production, qui était, vers 1760, de 50 000 à 60 000 tonnes à Rive-de-Gier comme à Saint-Etienne, arrivait, en 1815, à 208 000 tonnes dans la région de Rive-de-Gier, à 129 000 tonnes dans la région de Saint-Étienne. En 1833, Rive-de-Gier dépasse 370 000 tonnes, Saint-Etienne atteint 300 000. Dix ans plus tard, en 1844, la production totale du bassin houiller est déjà de 1 225 000 tonnes ; en 1880, elle est de 3 600 000 ; elle avoisine maintenant 4 millions. Mais, que la production en bloc ait augmenté, cela ne prouve qu’indirectement et insuffisamment l’augmentation de la productivité de l’ouvrier, car il n’est pas sûr que toutes choses soient demeurées égales d’ailleurs, et même il est sûr, au contraire, que toutes choses ne sont pas demeurées égales.

Voici donc qui nous donnera une preuve directe et suffisante : bien que ces données s’appliquent à la Belgique, il n’y a nulle témérité à les étendre par analogie à la France, surtout au bassin du Nord et du Pas-de-Calais, si voisin de la Belgique à tous les égards, géographiquement et industriellement. Or, en Belgique, le rendement annuel de l’ouvrier dans les mines de houille, qui, de 1831 à 1840, était de 92 tonnes, s’est élevé successivement, de dix ans en dix ans, à 112, 123, 138, 145 tonnes, pour en arriver à 175 de 1881 à 1890[6]. Bien entendu, il s’agit ici de l’ouvrier sans distinction : la productivité de l’ouvrier du fond, et surtout du mineur, du piqueur, de l’ouvrier à veine, étant certainement beaucoup plus forte. Et si nous avons tant insisté là-dessus, sur la productivité de l’ouvrier, c’est que la production, la quantité produite, est l’un des facteurs, et, pour quelques catégories d’ouvriers, pour les principales, le principal facteur du salaire.


II

C’est en effet le grand point ; et, quoique le temps, la peine et le produit du travail aient en eux-mêmes une signification et une importance, ils n’ont peut-être toute leur signification et toute leur importance que lorsqu’on en rapproche et qu’on leur compare le prix dont ils sont payés. Le temps, la peine et le produit du travail existent sans doute par eux-mêmes, mais existent surtout par rapport au prix du travail, dont l’homme existe. La règle en fait de salaire, dans les mines[7], est que les ouvriers véritablement producteurs, c’est-à-dire les ouvriers occupés à l’abatage du charbon et au creusement des voies, soient payés « aux pièces, » — la pièce étant, suivant les cas, ou la quantité de charbon extrait ou le mètre d’avancement de galerie creusée. Les « ouvriers à l’entretien » sont le plus souvent payés « à la journée ; » il en est cependant de payés « aux pièces » comme les ouvriers producteurs, quand ils ont à exécuter un travail régulier et de quelque durée.

On sait que los mineurs proprement dits, piqueurs, ouvriers à veine, sont groupés par chantiers ou tailles, de huit hommes au plus, ordinairement de cinq (quatre ouvriers et un aide). Pour eux, pour les mineurs proprement dits, le salaire s’établit de 0 fr. 30 (rare) à 1 fr. 50 (rare aussi) par berline de 500 kilos de charbon ; la moyenne oscille entre 0 fr. 50 et 0 fr. 90 la berline, ce qui fait donc de 1 franc à 1 fr. 80 la tonne. Cela pour l’abatage. Le mineur est payé, en outre, au mètre d’avancement de voie : il est tenu compte à la taille du chargement et du roulage des berlines jusqu’au plan incliné principal, où le gamin les reçoit et continue de les pousser jusqu’à la galerie ; et, à la galerie, on y attelle les chevaux, qui les conduisent, par petits trains, jusqu’à l’accrochage. Il est encore tenu compte à l’ouvrier du temps qu’il passe aux travaux de remblai nécessaires, et aussi des « accidens de la couche, » des variations de cette couche en épaisseur, en puissance. Quand le prix de la berline est débattu pour une taille entre le chef de taille et le porion ou le chef-porion, l’un et l’autre tablent sur telle ou telle puissance de la couche, mais puissance probable, toujours un peu hypothétique et sujette à élargissemens et à rétrécissemens : il se peut qu’à quelque distance de l’endroit où le prix a été débattu, la veine tout à coup se resserre et s’amincisse, que le travail devienne par là même plus ingrat, que le temps s’en allonge, que la peine s’en accroisse, que le produit en fléchisse, et que par suite le prix en soit moins ou cesse d’en être rémunérateur.

De là l’utilité, la légitimité, dans l’établissement du salaire, de ce coefficient ou de ce correctif : accidens de la couche. Si le travail comporte et si les conditions du milieu permettent l’emploi d’un explosif, une sorte de forfait intervient entre l’entreprise et l’ouvrier. On fait un prix, dynamite comprise : « Je te donne vingt francs pour tel travail. Tu prendras de la dynamite. Si tu n’en uses que pour quinze francs, tu auras cinq francs de bénéfice. Si, au contraire, tu en dépenses pour vingt-deux francs, c’est toi qui perdras quarante sous : arrange-toi. » Et le mineur tâche de « s’arranger, » de façon à ne pas perdre, et même à gagner.

En repassant l’un après l’autre les élémens qui entrent en composition dans son salaire, on voit qu’une assez grande marge est laissée à la volonté, à l’intelligence, à l’activité de l’ouvrier, et qu’il en est lui-même le maître ou l’artisan dans une assez large mesure ; il est maître, par sa volonté, par son intelligence, par son activité, d’élever son salaire, car ce n’est pas le prix uniforme et fixé, tant d’hommes à tant de l’heure, donné indifféremment à tous comme prix d’achat d’une espèce de force humaine brute. Du moins une assez grande marge est laissée à la taille et au chef de taille.

La taille de cinq ouvriers, en moyenne, quatre mineurs et un aide, avec un chef, qui n’est le plus souvent que le plus ancien ou le plus adroit ouvrier, est la véritable unité de travail, la cellule ouvrière vivante et organique de la mine. Naguère, avant la loi de 1894 sur les retraites, tous les salaires de la taille étaient versés au chef de taille, qui se débrouillait : la compagnie n’avait pas besoin de connaître et ne connaissait pas les salaires individuels entre ouvriers d’une même taille. On n’a rompu avec cet usage que parce que la loi sur les retraites, en exigeant de tous les ouvriers une retenue proportionnelle à leurs salaires, a obligé, afin que cette retenue fût sûrement proportionnelle, à établir pour tous les ouvriers des salaires individuels. Depuis lors, le prix est toujours calculé pour la taille, et tous les ouvriers proprement dits, tous les ouvriers à veine, tous les mineurs étant considérés comme égaux, la répartition se fait également entre eux, ils touchent tous le même salaire. S’il existe des différences, la Direction les ignore : il peut bien arriver, et en effet il arrive quelquefois, que les ouvriers se rendent de l’argent de la main à la main ; mais la compagnie n’en sait rien, n’en veut rien savoir ; et c’est, au surplus, l’exception.

Quant à l’aide, qui complète le contingent de la taille, deux modes de paiement sont usités dans le Pas-de-Calais. Le premier consiste à payer les aides proportionnellement au salaire des ouvriers. Ils sont alors classés par les surveillans, porions, chefs-porions en plusieurs catégories, qui reçoivent de 60 à 90 pour 100 du salaire du mineur proprement dit, et qu’on appelle les soixante, les soixante-dix, les quatre-vingts, les quatre-vingt-dix pour 100 : ce sont comme des sociétaires à six, huit, dix douzièmes de part. Ce système, quoique le plus rationnel, n’est pas en vigueur aux mines de B… Le second mode de paiement du salaire des aides suppose l’accord préalable des ouvriers et des patrons. Au moment du mesurage du travail, le porion demande à la taille combien elle veut payer son aide. Il n’est pas rare que la taille ait pour aide le fils de chef de taille ; en ce cas, pour peu que le porion s’y prête, on ne se plaindra jamais que l’aide soit trop payé.

Mettons que, d’accord entre le porion représentant la compagnie et le chef de taille représentant la taille, il soit convenu de payer l’aide 4 fr. 50. Voici comment se fait la répartition des salaires. La commune mesure est le nombre de descentes ou de postes. Si, par exemple, la taille a gagné 166 fr. 20, et si l’aide, que la taille a déclaré vouloir payer 4 fr. 50, a onze descentes ou onze postes, c’est donc onze fois 4 fr. 50 ou 49 fr. 50, qu’il faut d’abord prélever sur les 166 fr. 20. Le reste est à partager entre les ouvriers. Ils ont à eux tous vingt-sept postes : le poste est donc de 6 fr. 15 ; et chaque ouvrier prend autant de fois 6 fr. 15 qu’il a personnellement de postes. Pierre a dix postes : il prend 61 fr. 50 ; Paul en a six : il touche 36 fr. 90 ; etc. Ainsi, trois ou quatre opérations : mise en masse du gain de la taille ; prélèvement du salaire de l’aide ; division du reste par le nombre total de postes, et formation du quotient de répartition ; multiplication de ce quotient par le nombre individuel de descentes, et formation du prorata personnel de chacun des ouvriers.

Les gamins sont payés à la journée, d’après un tarif qui fixe le maximum par jour et par âge. Les ouvriers à l’entretien (boiseurs, raccommodeurs, raucheurs) sont habituellement payés à la journée dans les travaux très variables et aux pièces dans les travaux de quelque durée. Ils se font de la sorte des journées de 5 à 7 francs. Les hommes au creusement des travers bancs ou des bowettes sont payés au mètre d’avancement suivant les difficultés du terrain : comme aux piqueurs ou ouvriers à veine, on leur retient le prix de l’explosif qu’ils emploient. Les conducteurs de chevaux gagnent un salaire fixe à la journée de 2 fr. 90, plus la prime de 40 pour 100, que, depuis deux ou trois ans, dans le Pas-de-Calais, ont touchée tous les ouvriers du fond, aux termes de la convention d’Arras, dont il faut bien, en passant, dire un mot.

Une des revendications que les mineurs avaient le plus énergiquement soutenues, durant la grève de 1889, était celle d’une augmentation de salaire de 10 pour 100 ; si énergiquement, que les compagnies avaient dû céder d’abord sur le principe, et qu’ensuite, lorsque les ouvriers avaient demandé que de ces 10 pour 100 on fît une prime comptée à part, toutes, sauf Nœux, qui elle-même finit par s’incliner, avaient cru devoir céder encore. Après la grève de 1889, les choses furent donc réglées de cette façon : salaire principal, supposons 5 francs, prime de 10 pour 100 : 0 fr. 50 ; total : 5 fr. 50. En août 1890, les charbons augmentant, par acte de bonne volonté patronale, tout simplement, et pour écarter jusqu’à la pensée d’une nouvelle grève, la prime fut élevée de 10 à 20 pour 100. Elle demeura à ce taux pendant assez longtemps, jusqu’à ce que, au commencement de 1899, par suite de l’extraordinaire mouvement industriel et particulièrement de l’extraordinaire prospérité de la métallurgie, la houille subit une hausse très sensible. Les mineurs, alors, réclamèrent, appuyés et guidés par leur syndicat. Une réunion de patrons eut lieu à Douai, puis, à Arras, une réunion contradictoire de patrons et d’ouvriers. Il y fut décidé qu’à partir du 16 avril 1899, et pour un an, la prime serait portée à 25 pour 100.

Mais les mineurs, et surtout le syndicat, n’étaient qu’à demi satisfaits ; et, continuant à s’agiter, tirant argument des grands bénéfices que devait procurer l’année 1900, ils obtenaient, dans une seconde réunion, à Arras, qu’à partir du 1er avril 1900, la prime fût renforcée de 5 pour 100 et fixée à 30 pour 100. Ce n’était que l’avant-dernière étape. À la fin d’octobre 1900, une grève partielle éclata à Liévin, Lens, Bully ; pour y couper court, il fut décidé que, du 1er novembre 1900 au mois d’avril 1901, la prime serait de 40 pour 100, et que, non seulement tous les ouvriers du fond de toutes les spécialités y auraient droit, mais tous les ouvriers inscrits, en vertu d’un ancien usage, au « carnet du fond. » c’est-à-dire, avec ceux-là, ouvriers du fond proprement dits, les mécaniciens d’extraction, les moulineurs, les « chergeux aux chevaux. » Les ouvriers du jour avaient été jusqu’ici négligés ; cependant, leur tour venait enfin, et l’on convenait que leurs salaires seraient augmentés de 10 pour 100, ou, pour être tout à fait exact, que tous les ouvriers du jour recevraient 10 pour 100 en sus de leurs salaires ; ce qui leur ferait, à eux aussi, une sorte de prime[8]. Ils sont payés, aux ateliers du jour, les uns à l’heure (dans les quarante centimes de l’heure), d’autres à la tâche (ceux des fours à coke selon la quantité produite), d’autres à la journée (dans les quatre francs par jour).

Tous les salaires, d’ailleurs, que nous avons donnés, et tous ceux que nous donnerons encore, du fond et du jour, doivent s’entendre prime comprise, et les intéressés en ont vite appris le calcul. Je demande à un gamin : « Combien gagnes-tu ? — Il me répond du ton le plus assuré : — 1 fr. 40 sans la prime, 1 fr. 87 avec la prime. » Une petite trieuse (ah ! l’amusante figure, avec le blanc de ses yeux et le blanc de ses dents plus vifs dans la face noircie, sous le mouchoir de cotonnade noué autour de la tête ! ), une trieuse déclare de même gagner 1 fr. 50 par jour, mais l’ingénieur qui m’accompagne corrige aussitôt : le salaire est mobile, il peut aller de 0 fr. 90 à 2 francs. (On se rappelle que les trieuses sont les ouvrières qui s’occupent, dans les ateliers de criblage, à retirer les pierres mêlées au charbon et à le classer à peu près par grosseur, tout de suite après qu’il est monté de la fosse.)

Pour les mineurs, piqueurs, ouvriers à veine, ce qu’on vient de dire de la manière dont leur salaire est établi et des facteurs divers et variables qui entrent dans sa composition explique suffisamment qu’il soit difficile de le déterminer d’un chiffre, d’un seul chiffre sec, précis et rigoureux. Si le prix de la berline, à débattre entre le mineur et le porion ou le chef-porion, peut être, — rarement, mais peut être, — tantôt de 0fr. 30 et tantôt de 1 fr. 50 ; si, plus ordinairement, il est tantôt, en de certaines veines, de 0 fr. 50, et tantôt, en de certaines autres, de 0 fr. 60, il est naturel et de conséquence étroite que le prix de la journée s’en ressente, que cette simple différence de 0 fr. 50 par berline se retrouve, à la fin du travail, grossie et multipliée autant de fois qu’il entre de berlines dans le compte du salaire ; de là, de ces variations du prix de la berline, des variations sensibles de la journée du mineur.

Il est des ouvriers qui, dans une bonne taille, peuvent se faire jusqu’à des journées de huit francs, mais c’est là toujours un fait isolé et exceptionnel, ce n’est qu’un heureux accident. Lors de ma visite aux mines de B…, on acceptait comme prix courant de la journée du mineur environ 6 fr. 70. Ce chiffre était celui qui ressortait de l’examen des « Bon à payer » et celui que les ouvriers eux-mêmes avaient. Interrogé par nous sur le gain de ses journées pendant la dernière quinzaine, un mineur répondait : Dans les environs d’un petit sept francs. Et, quoique chargé d’enfans et se plaignant, à cause d’eux, de ne pouvoir « faire dimanche : » — Quand on a coupé huit tartines sur un pain de trois livres, dites-moi un peu ce qu’il en reste ! — de ce salaire en lui-même il ne se montrait point mécontent. Il récriminait plutôt, mais sans excès de mauvaise humeur, contre la vie que contre le métier. « Un petit sept francs » lui semblait acceptable, et l’on tient, en effet, dans les mines de houille, ce salaire aux environs de 7 francs pour un salaire normal. « Au-dessous de 6 francs, me dit l’ingénieur en chef du fond, on considère le salaire comme trop faible ; au-dessus de 7 comme trop fort[9]. »

Mais, de 6 à 7 francs, c’est le salaire du mineur proprement dit, du piqueur, de l’ouvrier à veine ; ce n’est pas le salaire moyen des ouvriers du fond, toutes catégories mêlées, c’est bien moins encore le salaire moyen des ouvriers de la mine, fond et jour réunis. Nous parlons ici de « salaire moyen ; » et nous dirons tout à l’heure pourquoi nous avons tort d’en parler, pourquoi nous ne devrions pas et ne voudrions pas en parler ; mais les statistiques nous le donnent, le salaire moyen ; quelques-unes ne nous en donnent pas d’autre ; et il nous fournit au moins une indication par à peu près. Dans la Loire, le salaire journalier moyen des ouvriers du fond était de 4 fr. 80 en 1897, de 4 fr. 82 en 1898, de 4 fr. 91 en 1899, de 5 fr. 21 en 1900, de 5 fr. 25 en 1901 ; celui des ouvriers du jour était de 3 fr. 32 en 1897, de 3 fr. 41 en 1898, de 3 fr. 40 en 1899, de 3 fr. 75 en 1900, de 3 fr. 57 en 1901 ; soit, par tête d’ouvrier, fond et jour confondus, 4 fr. 29 en 1897, 4 fr. 35 en 1898, 4 fr. 40 en 1899, 4 fr. 75 en 1900 et 4 fr. 68 en 1901[10].

Pour l’année 1900, d’après un tableau qu’a dressé la Direction générale des Mines, et dont M. le ministre des Travaux publics a bien voulu nous faire remettre une copie, le salaire journalier moyen aurait été dans les principaux bassins houillers de France :


Bassins Salaire journalier par ouvrier «
du fond du jour
fr. c. fr. c.
Valenciennes (Nord et Pas-de-Calais) 5,41 3,75
Saint-Étienne 5,22 3,78
Alais 4,85 3,22
Le Creuzot et Blanzy 4,78 3,78
Aubin et Carmaux 4,54 3,25
Commentry 4,28 3,41
Lignites de Fuveau (Provence) 4,66 3,33
Ensemble des bassins de la France 5,11 3,53

De son côté, l’Office du travail, au tome IV, de la très remarquable publication qu’il a consacrée aux Salaires et à la Durée du travail dans l’industrie française[11], consignait les « résultats généraux » de son enquête en un résumé qu’on nous permettra aussi de reproduire, non pour faire un fastidieux et vain étalage de chiffres, mais parce qu’une particularité sur laquelle il appuie prête matière à une observation qui, elle encore, a son intérêt et même son importance. C’est d’ailleurs une observation du même genre, également intéressante et importante, que nous avait déjà suggérée, on s’en souvient peut-être, le rapide examen d’un autre chapitre de cette même enquête. Il s’agissait alors de la durée de la journée de travail ; et des renseignemens recueillis il résultait que, moins les divers établissemens miniers employaient d’ouvriers, et plus, — à une ou deux exceptions près, ce qui revient à dire presque sans exception, — plus la journée de travail y était longue. Maintenant qu’il s’agit du salaire, la grande enquête de l’Office du travail nous autorise à formuler une seconde règle qui ne fait que corroborer la première, à savoir que, moins un établissement minier occupe d’ouvriers, et plus le salaire s’y abaisse. Et, comme la première, cette seconde règle est à peu près sans exception ; l’enquête la met, si j’ose le dire, en relief, la figure ainsi sous nos yeux :


Régions Salaires moyen par 10 heures dans les établissemens dont le nombre d’ouvriers est « « « «
I de 1000 et au-dessus II de 500 à 999 III de 100 à 499 IV de 25 à 99 V de 1 à 24
fr. c. fr. c. fr. c. fr. c. fr. c.
Nord et Pas-de-Calais 5,45 4,80 4,85 0,00 2,40
Est 4,50 « 2,85 « 2,40
Centre 4,65 4,35 3,90 4,93 «
Sud 4,55 4,60 3,80 « «
Sud-Est « 4,90 3,05 3,80 «
Bouches-du-Rhône « 4,40 5,05 « «
Ensemble 4,90 4,45 4,05 3,85 2,40

Une telle constatation, qui, pour l’ensemble des régions minières de la France, devient d’une si frappante évidence, fait sortir de leur impassibilité professionnelle, — que je ne leur reproche pas et qui est au contraire une qualité éminente, — les enquêteurs eux-mêmes de l’Office du travail. Ils ne peuvent s’empêcher de noter : « Au total, l’importance des établissemens paraît avoir une influence plutôt favorable sur le taux des salaires ; pour les industries soumises à l’enquête, les salaires sont généralement plus élevés dans les grands établissemens que dans les petits[12]. »

Faut-il se hâter de tirer de là une « réhabilitation, » ou de fonder là-dessus une glorification de cette grande industrie qu’il est tant à la mode aujourd’hui de malmener et de maudire ? Non, sans doute, et une conclusion trop étendue et trop tranchante serait ici trop précipitée. Elle ne s’applique pour le moment qu’aux mines, aux mines de houille, à la plupart des mines de houille, « généralement » et « en moyenne. » Si elle est vraie d’autres industries, et de combien, et desquelles, et dans quelle mesure elle est vraie, c’est ce que nous verrons plus tard ; pour le moment, tout ce que nous pouvons dire, c’est que, généralement, dans l’industrie minière, plus un établissement occupe d’ouvriers, plus le salaire s’y élève ; aux grandes entreprises, les hauts salaires. Mais prenons-y bien garde : « généralement » et « en moyenne ; » et ce sont, j’allais dire de terribles mots ; tout au moins ce sont des mots qui font penser, qui avertissent d’y regarder à deux fois. Certes, on ne saurait les proscrire et il faut bien accepter « généralement, » parce qu’ « il n’y a de science que du général, » mais sans jamais perdre de vue qu’il n’y a de vie que du particulier ; et il faut bien accepter « en moyenne » parce que ce serait une illusion de prétendre atteindre et exprimer tous les cas individuels, mais sans jamais oublier que la moyenne, par cela seul qu’elle est la moyenne, est justement la chose du monde la plus vide de réalité.

C’est en matière de salaires surtout qu’il est bon d’être très prudent, de n’user qu’avec modération de « généralement » et de « en moyenne ; » et c’est en cette matière un gros grief contre la statistique et les statisticiens qu’ils en ont trop longtemps usé et abusé. Car l’ouvrier qui gagne 5 francs ne met pas à la masse, pour en faire une moyenne, avec celui qui n’en gagne que 3 ; on ne mange pas une moyenne, on ne vit que du salaire que l’on touche. Autre règle encore : plus une industrie exige de catégories ou de spécialités d’ouvriers, plus il y aura d’écart, selon les catégories et les spécialités, dans le salaire des ouvriers, plus il sera difficile et dangereux de parler de moyenne et par moyenne. Aussi, quelque attention que nous voulions porter à ne point hérisser ces études, déjà sévères en elles-mêmes, de colonnes de chiffres dressées comme autant de herses qui en défendent l’accès, dans l’espèce, cependant, où il s’agit d’une industrie occupant quarante-quatre ou quarante-cinq catégories d’ouvriers, ce serait tout ignorer de la condition du mineur que de savoir seulement que le salaire moyen dans les mines, fond et jour, sans distinction d’âge, tout étant confondu qui ne se confond pas et tout compensé qui ne se compense pas, est de tant de francs, tant de centimes. Ce serait laisser s’enfuir la vie d’une enquête qui ne vaut et ne peut avoir d’intérêt que si elle saisit et si elle fixe la vie, si elle en saisit et en fixe le plus que l’esprit et la langue en puissent saisir et fixer.

Or chacun ne vit que de ce qu’il touche, mais chacun touche suivant sa spécialité : pour être sûr de tenir la vie en sa suprême vérité et son extrême complexité, il faudrait pouvoir établir le salaire de chacun, — et l’on est obligé d’avouer qu’un tel effort est, pour tant de vies, humainement impossible ; — mais on tiendra tout de même la vie ou du moins on la serrera d’aussi près qu’on puisse la serrer, on tiendra déjà de la vie, en établissant le salaire pour chaque spécialité. Tous ces chiffres sont donc de la vie : ils sont des vies ; s’il y reste de la moyenne, et s’il y manque de la réalité, il y entre le moins de moyenne et le plus de réalité possible. C’est ce qui nous excuse et nous contraint de les donner, puisque, de même qu’il n’y a peut-être pas deux de ces salaires tout à fait égaux entre eux, il n’y a peut-être pas deux de ces vies tout à fait semblables entre elles.

Les salaires sont le plus souvent payés à la quinzaine, non sans que soient opérées diverses retenues, légales ou conventionnelles. La fiche de paiement en usage aux mines de B… porte d’abord le nom de l’ouvrier et le nombre de postes qu’il a faits ; puis le gain total de la quinzaine, » comprenant… fr… de prime. » Mention spéciale est faite des retenues énumérées sous huit ou neuf titres : Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, 2 pour 100 ; — Caisse de secours, 2 pour 100 ; — Amendes ; — Outils ; — Objets cédés (barrettes, ceintures, etc.) ; — Logement, blanchissages et dégradations (cet article concerne les mineurs logés en coron), fermages (la compagnie loue à certains de ses ouvriers un petit champ) ; — Oppositions, saisies-arrêts, cessions ou délégations (c’est le chapitre des fournisseurs exigeans et des mauvais payeurs) ; — enfin, Avances. On additionne ensemble toutes ces retenues, toutes celles de ces retenues dont est passible l’ouvrier, on en retranche le total de la somme de sa quinzaine ; et l’on a le « net à payer. »

Sur cette liste de retenues et d’amendes, les « retenues » s’expliquent et se justifient d’elles-mêmes : c’est la loi ou le contrat
SALAIRES DES OUVRIERS PORTÉS AU CARNET DU FOND


Désignation « « « Salaires moyens francs Observations
Personnel descendant dans la mine Personnel occupé à l’exploitation Abatage Ouvriers à veine 6,71 A la tâche
« « « Aides 4,75 «
« « Transport. Ravanceurs (13 à 18 ans) 1,33 à 3,71 Variable à mesure que le gamin vieillit de six mois et cela jusqu’à 18 ans
« « « Conducteurs de cheval 4,34 «
« « Accidentels Crins Comme les ouvriers à veine
« « Remblayage Remblayeurs 4,20 à 5,60
« « « Boiseurs et rancheurs 4,20 à 5,60
« « « Boiseurs et rancheurs 4,90 à 6,30
« « Entretien Monteurs de poulie 4,90 à 5,95
« « « Cantoniers 4,34
« « « Maçons 4,55 à 5,25
« « « Meneurs de bois 4,48
« Ouvriers d’about 0,46 De l’heure
« Palefreniers 4,48
« A l’extraction Chargeurs d’accrochage 5,00 à 5,60
« « Aides d’accrochage 2,50 à 3,00
« Travaux préparatoires Bowetteurs 6,60 à 7,20
« Eclairage Lampistes du fond 4,00
« « Porteurs de feu (13 à 15 ans) 1,55
« « Boute-feux 6,72
Personnel ne descendant pas à l’extraction moulineurs 4,50 à 5,00
« « Aides-moulineurs 2,25 à 2,50 Payés moitié prix des moulineurs
« « Graisseurs et nettoyeurs de berlines 1,92
« « Machinistes d’extraction 6,02
« « Graisseurs d’extraction 4,55
« Eclairage Lampistes du jour 4,12
« « Aides-lampistes 1,92
SALAIRES DES OUVRIERS PORTES AU CARNET DU JOUR


Désignation « « Salaires moyens francs Observations
Force motrice, ateliers, etc. Chaufferies Chauffeurs 5,13
« « Aides-chauffeurs 4,64
« « Nettoyeurs de chaudières 4,40
« « Brouetteurs de cendres 4,12
« Compresseur Machinistes 4,12
« Ateliers Ajusteurs 5 à 7
« « Forgerons et daubeurs 4,56 Les daubeurs (aides-forgerons) gagnent 3 fr. 85
« « Charpentiers 4,56
« « Scieurs de perches 4,12
« « Porteurs de bois 3,85
« « Manœuvres de cour 3,57
« « Commissionnaires 1,10
Chargement en wagons Carreau Basculeurs 4,12
« Wagonniers 3,85
« « Machinistes (monte-charge 3,85
« « Escailleur 3,30
« Triage Manœuvres 3,57
« « Trieurs et trieuses 1,40 à 1,70

N. B. — Le salaire annuel des porions varie entre 2 750 francs et 3 100 francs. Le salaire annuel des chefs-porions varie entre 3 950 francs et 4 700 francs[13]. qui les imposent. On n’en peut donc pas discuter, mais, en revanche, on peut discuter des amendes ; en contester les motifs, le montant, l’emploi. Le motif d’une amende de travail sous forme de retenue de salaire est nécessairement et exclusivement une faute dans l’exécution du travail ; et cette amende est fixe, édictée, sinon par une sorte de Code des mines, d’après une échelle savamment graduée des délits et des peines, sinon par une sorte de droit écrit, du moins par le règlement.

Au titre des Mesures d’ordre, le règlement des mines de B… porte, par exemple : Amende d’un franc ou confiscation de la berline aux ouvriers « qui feront des charbons malpropres, aux hercheurs qui ne rempliront pas leurs berlines. » Amende de deux francs par jour d’absence pour l’ouvrier qui, sans autorisation, s’abstient d’aller à son travail ou ne s’y rend point à l’heure fixée. Amende de cinq francs pour « l’ouvrier qui, dans les travaux, se porte à des voies de fait envers ses camarades ; celui qui remblaie du charbon, soustrait les outils des autres ouvriers, enlève les bois servant de soutènement dans les galeries ; celui qui recule sa lunette (la lunette est la marque que le porion établit sur le boisage d’une galerie et qui indique jusqu’à quel point de cette galerie l’ouvrier est payé) ; celui qui, trompant la surveillance du lampiste, se rendrait dans les travaux en état d’ivresse. » Amende de dix francs à l’ouvrier « qui, dans le tirage à la poudre, aura cherché à débourrer une mine ratée, » à celui « qui ouvre sa lampe dans les travaux, à celui qui, dans les travaux, sera trouvé porteur d’allumettes ou de pipe. »

Tel est le Code pénal de la mine, imprimé, affiché, consenti par l’acceptation d’un contrat qui l’ait loi. Là où le règlement est muet, on se fonde sur la coutume. Restent l’application et l’interprétation. Pour l’application et l’interprétation, on dit que c’est un peu l’histoire des deux jours et des quatre jours de salle de police dans l’armée : qu’il y a parfois quelque part d’arbitraire ; mais où n’y en a-t-il pas en fait de culpabilité et de répression, ou bien de quoi ne dit-on pas qu’il y en a ? Comme dans l’armée encore, tout ce qui est « gradé, » tous les officiers et sous-officiers de la mine, par cela seul qu’ils sont officiers et sous-officiers, sont en position d’infliger cette première punition qui est une amende, sous réserve, toujours comme dans l’armée, de « l’augmentation » de ladite amende par le supérieur hiérarchique. Quant aux autres punitions, aux punitions graves, interdites au sous-officier et réservées à l’officier, à l’ingénieur, ce sont le renvoi, la plus grave de toutes ; la mise à pied temporaire ; le changement de fosse, le déplacement dans un chantier plus pénible ou moins productif. Le hasard m’a fait rencontrer un de ces « déportés » qui revenait d’un exil à la fosse 5 de la compagnie de B… Il en parlait comme de la Sibérie ; mais, avec la franchise confiante qui est un des caractères de cette population quand elle n’est pas excitée par le politicien, il confessait son « crime » et en battait sa coulpe. « N’est-ce pas que tu ne l’avais pas volé ? » lui dit l’ingénieur. Et ingénument ou malignement, souriant de l’œil et de la lèvre, l’homme répond : — « Sûr, que je ne l’avais pas volé ! »

Une si parfaite résignation est un signe que la justice est sans injustice et même la sévérité sans excès. Les amendes sont assez fortes proportionnellement au gain, puisqu’elles vont de un à 10 francs ; mais les plus grosses, celles de 5 et de 10 francs ne visent guère et ne frappent guère que des cas où est intéressée la sécurité commune des ouvriers du fond ; le produit en est versé à la caisse de secours et ne tourne jamais au profit de la compagnie ; par-dessus tout, on ne les distribue pas à tort et à travers ; elles n’entament ni ne rognent abusivement le salaire. Comparé aux salaires anciens, encore que les comparaisons de statistique soient aussi périlleuses dans le temps que dans l’espace et historiquement que géographiquement, l’accroissement paraît certain, et par là aussi, comme par la réduction du temps de travail et par l’adoucissement des circonstances du travail, il y a amélioration matérielle de la condition de l’ouvrier.

Relevons, pour mémoire, quelques-uns de ces salaires d’autrefois. Vers le milieu du XVIIIe siècle, dans le bassin de la Loire, à Saint-Jean-Bonnefonds, la journée du piqueur était de 25 sous ; celle des porteurs et autres ouvriers de 20 sous. En 1778, elle n’avait pas augmenté, et demeurait même, à Firminy, un peu au-dessous. En 1786, le marquis d’Osmond la portait à 1 fr. 20. De 1785 à 1808, hausse énorme dans le salaire moyen des mineurs, qui passe de I fr. 25 à 3 fr. 50, plus que le double. En 1812, salaire des piqueurs et traîneurs, 3 fr. 50 ; boiseurs et remplisseurs de bennes, 2 fr. 50 à 2 fr. 75 ; ouvriers divers, de 2 fr. à 2 fr. 50. Vers 1830, les piqueurs ne reçoivent à Firminy et à Roche-la-Molière que 2 fr. 50 ; à Saint-Étienne, ils n’atteignent qu’exceptionnellement 3 francs ; mais ils gagnent, à Rive-de-Gier, de 3 fr. 50 à 4 francs par jour ; les boiseurs, de 1 fr. 50 à 2 francs. Les porteurs et routeurs de 2 francs à 2 fr. 25. Enfin, de 1838 à 1898, l’élévation des salaires « a été continue et sans retour en arrière. » Le prix moyen de la journée du piqueur a été, en effet : 1835, 3 fr. 50 ; — 1845, 3 fr. 75 ; — 1854, 4 fr. 40 ; — 1868, 4 fr. 70 ; — 1889, 5 fr. 65 ; — 1897, 6 fr. 05. La journée moyenne de l’intérieur ou du fond a été, durant cette période de cinquante ans : 1846, 3 fr. 33 ; — 1860, 3 fr. 60 ; — 1868, 3 fr. 92 ; — 1891, 4 fr. 72 ; — 1898, 4 fr. 98[14].

Mais je n’insiste pas. Il est ici doublement inutile d’accumuler des chiffres dont la masse projette toujours sur une page comme une ombre d’ennui, parce que, je le répète, les comparaisons de statistique, soit dans le temps, soit dans l’espace, donnent ouverture à trop de méprises ou d’erreurs, et parce que ce n’est pas en fin de compte l’histoire du passé qui nous intéresse le plus, ni même son rapport à la vie du présent, mais d’abord et surtout la vie elle-même du présent. L’homme, qui ne vit pas « de moyennes, » ni « généralement, » ne vit pas non plus dans le passé, ni par rapport au passé : il vit de ce qu’il a comme on peut en vivre dans le temps où il vit. Pour une semblable raison, à peine serait-il moins inutile de rapprocher du salaire dans les mines de houille les salaires dans la métallurgie, la construction mécanique, la verrerie, la faïencerie, la filature et le tissage, dans les industries, en un mot, qui composent la grande industrie, parce que le mineur doit vivre de ce qu’il gagne et non pas de ce que gagne le métallurgiste, le constructeur, le verrier, le tisserand, parce que, d’autre part, toutes ces industries n’étant pas rassemblées dans un même centre et le prix de la vie n’étant pas le même dans les différens centres, en cela encore toute comparaison clocherait. Aussi bien, comme nous aurons à étudier successivement ces cinq ou six grandes industries dont est faite la grande industrie, pour chacune d’elles, on trouvera les salaires en leur lieu, et la comparaison s’instituera en quelque sorte d’elle-même.

Non, ce qu’il importe vraiment de connaître, quand il s’agit des mines de houille, et ce qu’il importera vraiment de connaître quand il s’agira de la métallurgie, de la construction, etc., c’est le rapport du salaire de l’ouvrier, de telle entreprise et de tel ouvrier, je veux dire de telle spécialité ou catégorie d’ouvriers, au coût des objets les plus nécessaires, si nécessaires qu’ils sont indispensables à l’existence, dans le centre de population où fonctionne l’entreprise et où habite l’ouvrier. Mais, sur ce point, force nous sera d’entrer dans quelque détail ; et cette comparaison du salaire au coût de la vie s’encadrera mieux à sa place, elle viendra mieux à son heure lorsque nous en serons à déterminer et décrire les circonstances du travail.

On doit seulement être averti que, bien que le salaire dans les mines de houille « généralement » et « en moyenne, » ne soit pas mauvais ; bien qu’il s’y ajoute le plus souvent ce que Le Play nommait une « subvention » en nature[15] ; bien que l’on y puisse ajouter par surcroît le revenu d’un champ ou le produit de ce qu’il nommait « une petite industrie » accessoire ; et bien qu’en beaucoup d’endroits de grandes facilités de vie soient offertes à qui voudrait et saurait en profiter ; toutefois, pour des causes qu’il nous faudra rechercher, et qui ne sont peut-être pas toutes indépendantes de la volonté ou de la moralité de l’ouvrier lui-même, — lequel ne se fait sans doute pas à lui seul sa condition et la subit en partie, en majeure partie, si l’on y tient, comme tout homme, mais enfin, en partie aussi, se la fait, — pour des causes diverses, les unes qui lui sont extérieures et supérieures, les autres qui lui sont intimes et personnelles, l’ouvrier mineur, « généralement » et « en moyenne » est plutôt au-dessous qu’au-dessus de ses affaires. Ce n’est même pas assez dire : la très grosse majorité, la presque-unanimité des mineurs ont des dettes ou sont, en tout cas, sans économies. A B.-G… dans le Pas-de-Calais, on m’a cité, en sens contraire, quelques exemples nominatifs : le père D… qui posséderait une trentaine de mille francs ; un autre, qui en posséderait une quinzaine de mille ; mais ils sont très rares, ces capitalistes, et la preuve en est qu’on les cite, en les appelant par leur nom. (Au surplus, de l’aveu même des ingénieurs, les 30 000 francs du père D… proviendraient principalement du jardinage et les 15 000 francs de l’autre, soit de la culture, soit de je ne sais plus quelle profession ou métier supplémentaire.)

Pourquoi le mineur, en général, n’a pas d’économies, et pourquoi, au contraire, il a des dettes ; si c’est le salaire qui est trop faible pour la vie qui est trop chère, ou si c’est lui qui est incapable de régler sa vie d’après son salaire : en quoi, par conséquent, « la question sociale » est, pour le mineur, « une question morale, » voilà maintenant ce qu’il serait du plus haut intérêt de savoir, et ce que nous tâcherons d’apprendre en examinant une à une les circonstances du travail.


III

Il n’y a plus qu’à dire quelque chose du contrat de travail dans les mines de houille et il n’y a que fort peu de chose à en dire. La note par laquelle le service des mines au ministère des Travaux publics nous transmettait obligeamment les documens que nous avons donnés, commençait par poser en principe que « l’industrie des mines est, en France, au point de vue économique et notamment en ce qui concerne le contrat de travail, une industrie qui n’est soumise qu’aux règles du droit commun. » Ces règles de droit commun sont du reste brèves et sommaires : elles tiennent toutes dans les articles 1710, 1779 et 1780 du Code civil, auxquels on peut joindre le décret du 2 mars et l’arrêté du 21 mars 1848, supprimant et réprimant « l’exploitation de l’ouvrier par voie de marchandage. » En dehors d’elles, ou plutôt en développement, en fonction d’elles et pourvu qu’elle ne soit pas en contradiction avec elles, la convention fait la loi des parties qui se meuvent ou sont censées se mouvoir, en pleine liberté, dans les limites marquées, comme de quatre bornes aux quatre coins d’un vaste champ, par ces trois articles du Code Napoléon et ce décret de la seconde République. Ouvriers et patrons s’arrangent. Ils s’accordent sur l’embauchage, la discipline, les sanctions à la discipline, les formes de rupture du contrat. L’accord, la convention résulte du fait que l’ouvrier entre à la mine et du fait que pour y entrer, rien qu’en y entrant, il en accepte le règlement.

Les engagemens sont d’ailleurs réciproques. Ainsi aux mines de B… (Pas-de-Calais), les conditions d’admission, stipulées dans le règlement, sont celles-ci : — Tout ouvrier, pour être employé dans les mines de B…, doit être porteur d’un livret en règle. — L’ouvrier admis prend l’engagement : 1° De se conformer aux mesures d’ordre et de sûreté prescrites par la société, et d’accepter le travail qui lui sera imposé par l’ingénieur ou les patrons ; 2° De ne point quitter les travaux de la société sans en avoir fait la déclaration quinze jours à l’avance. La Compagnie prend l’engagement réciproque de ne renvoyer un ouvrier qu’après lui avoir signifié son congé quinze jours à l’avance, sauf dans les cas spécifiés aux mesures d’ordre.

« Les cas spécifiés aux mesures d’ordre et pour lesquels il n’y a pas engagement réciproque, pour lesquels la Compagnie réserve expressément sa juridiction et son action, sont tous des cas disciplinaires, presque des cas judiciaires. Un ouvrier déjà puni d’une amende de dix francs pour avoir ouvert sa lampe dans les travaux, et qui se met en état de récidive, « sera renvoyé, sans préjudice des poursuites qui pourront être exercées contre lui. » De même, « peuvent être exclus des travaux sans avertissement préalable : 1° l’ouvrier qui insulte ses chefs ; 2° l’ouvrier qui empêche violemment le travail de ses camarades. » Peut-être le paragraphe Ier : « L’ouvrier qui insulte ses chefs » est-il un peu vague, un peu élastique, et y aurait-il de quoi y loger de l’arbitraire, ce fâcheux arbitraire dont il est si difficile d’expurger les relations nécessaires des hommes : mais nous avons dit, et nous le rappelons, que le renvoi, la plus grave des punitions prévues, puisqu’au-delà il n’y a plus que les poursuites correctionnelles ou criminelles, ne peut être prononcé que par l’ingénieur seul ; et c’est pour l’ouvrier une garantie qu’il ne sera prononcé ni dans la colère ni à la légère.

Tel est, en somme, le contrat de travail, et, à la fin de cette troisième étude, après avoir passé en revue l’organisation du travail, la répartition des ouvriers par catégories ou spécialités, leur répartition par âge, et par durée de services ; après avoir essayé de mesurer le temps et la peine du travail ; après avoir essayé aussi de comparer, de confronter la production et le salaire ; après avoir esquissé le régime légal ou conventionnel du travail d’un trait hâtif et comme perdu, mais que l’examen d’autres règlemens pour d’autres entreprises, dans d’autres régions, ne ferait sans doute que multiplier en en reproduisant plus ou moins rigoureusement le décalque ; nous pouvons dire : tel est, en somme, le travail dans les minés de houille.

Mieux que personne, plus vivement et plus impatiemment que personne, nous sentons tout ce qu’il reste d’incomplet et d’imparfait dans nos observations, et tout ce qu’il passera en conséquence d’incertain et de contestable dans nos conclusions. Les faits sociaux, même quand on a la prudence encore présomptueuse de les circonscrire à un seul domaine, sont d’une si grande abondance, richesse et complexité, qu’il est hors de nos prises et de notre puissance de les embrasser dans leur ensemble, de saisir et de tenir le tout de tous. C’est l’immensité de la mer ; allez prendre l’Océan au creux de votre main : de toutes parts, entre vos doigts, l’eau déborde et coule en filets et en flots, monte et vous submerge. C’est l’infini du monde ; allez atteindre d’un effort qui s’arrête court ce qui recule sans cesse et ce qui s’étend sans terme. « Folie d’espérer que notre raison puisse parcourir jusqu’au bout la route infinie : contente-toi, espèce humaine, du Quia ! »

Le Quia est ici notre « en somme, » le « généralement » et le « en moyenne » des statisticiens. Contentons-nous de cet à peu près. En somme, nous pouvons à peu près conclure, entre autres choses, pour ce qui est du travail dans les mines, que le travail y est divisé en une quantité de catégories ou de spécialités professionnelles, entraînant autant de traitemens divers et de conditions différentes ; que les ouvriers au-dessus de cinquante-cinq ans y sont rares, et que la population en est assez mobile ; que le temps du travail y est plutôt moindre que dans les branches les plus voisines de la grande industrie et que la peine y est moindre que dans les mines de jadis ; qu’en outre, ce même temps de travail est moindre dans les grands établissemens miniers que dans les moyens ou les petits et que le salaire y est meilleur ; que le taux du salaire n’y peut être considéré comme bas, et qu’en tout cas il s’est élevé jusqu’à doubler, tripler, et plus, depuis la fin du XVIIIe siècle.

Je sais tout ce qu’il faudrait ajouter encore, quels coefficiens il y aurait lieu d’introduire, et de combien de correctifs on devrait user : tenir compte de la situation commerciale et économique de l’industrie en général, et de l’industrie minière en particulier, de l’état du marché de travail, du développement des entreprises, de l’accroissement du personnel, des progrès de l’outillage, etc. Mais je sais aussi que, tout compte tenu de tout cela et de mille autres circonstances encore, nous en serions toujours à l’à peu près ; jamais nous ne dépasserions le Qaia. Et, au surplus, comme nous ne faisons ni de la science pour la science, ni de l’art pour l’art, mais que nous cherchons simplement dans la vie des élémens et des fondemens pour la politique sociale, observations et conclusions nous paraissent suffisantes.

Il s’agit à présent de faire pour le travail dans la métallurgie, la construction mécanique, la verrerie, la filature et le tissage ce qu’on vient de faire pour les mines, et de le faire comme on l’a fait, c’est-à-dire comme on peut le faire. Nous commencerons par la métallurgie.


CHARLES BENOIST.

  1. Voyez la Revue des 1er juillet et 15 août.
  2. Voyez A. Liesse, le Travail, aux points de vue scientifique, industriel et social.
  3. Note communiquée par la Direction générale des mines de B… Dans son rapport, au nom de la commission du Travail, M. Odilon Barrot définissait le trait en ces termes : « Le trait correspond à la durée de l’extraction du charbon, qui s’étend de l’arrivée au fond du puits de la dernière benne chargée d’ouvriers pour se terminer au moment où la première benne remonte dans les mêmes conditions une fois la journée faite. »
  4. Voyez André Liesse, le Travail, p. 272-273.
  5. Voyez E. Leseure, Historique des mines du département de la Loire, p, 30.
  6. André Liesse, le Travail, p. 273, d’après Grûner, Atlas des mines.
  7. Note communiquée par la Direction générale des mines de B…
  8. Tout le monde sait que le bassin de la Loire est en ce moment sous le coup d’une menace dégrève, parce que les compagnies, — les affaires se ralentissant, — ont décidé de réduire de 9 pour 100 à 3 pour 100 la prime accordée dans des circonstances analogues, par suite de l’acte connu sous le titre d’arbitrage Jaurès-Gruner. — Voyez, sur les salaires, l’Ouvrier mineur, organe de la Fédération nationale, n° 8. Compte rendu du Congrès international de Londres.
  9. On peut dire même que certaines compagnies, notamment dans le bassin de la Loire, se sont fait une règle de compléter toujours ce salaire de six francs.
  10. Cf. Rapports de M. Tauzin, ingénieur en chef des mines, directeur de l’École des mines de Saint-Étienne, au Conseil général de la Loire. Session ordinaire d’août 1900, p. 15, et session ordinaire d’août 1902, p. 15 et 16.
  11. Cf. une autre publication toute récente (août 1902) de ce même Office du travail : Bordereaux de salaires en 1900 et 1901.
  12. « Ce caractère favorable de ce qu’on appelle la concentration de l’industrie s’observe surtout dans les industries suivantes : mines, grande industrie chimique, papeterie, tannerie, filatures et tissages, teinturerie, menuiserie, clouterie, fonderie, chaufournerie, briqueterie, tuilerie, faïence et porcelaine. » Pourtant, « le caractère inverse s’observe dans quelques industries : moulins à blé, fabriques de matières colorantes, brosserie, ferronnerie. » Et la règle serait plus vraie de la province que de Paris : « En étudiant les variations observées (dans le département de la Seine), lorsqu’on passe des salaires d’établissemens plus importans aux salaires d’établissemens moins importans, nous n’avons pas constaté de tendance bien caractérisée ; il avait semblé seulement que les salaires avaient plutôt tendance à s’abaisser dans les grands établissemens. En province, les chiffres relevés, relatifs à un beaucoup plus grand nombre d’établissemens, permettent d’effectuer les comparaisons à l’aide de moyennes, d’autant plus que les différences sont assez accentuées. Ces différences témoignent d’une tendance opposée à celle observée dans le département de la Seine. » Office du travail. Salaires et durée du travail dans l’industrie française, t. IV. Résultats généraux, p. 164-165.
  13. Dans la publication déjà citée : Salaires et durée du travail dans l’industrie française, l’Office du travail a recueilli et publié (t. IV, p. 13 à 36) des renseignemens sur les salaires dans une soixantaine d’établissemens miniers. Il serait instructif de faire la comparaison entre la mine de B… (Pas-de-Calais) à laquelle se réfèrent les chiffres de notre enquête personnelle, et d’autres mines, prises parmi les plus analogues comme force motrice et nombre d’ouvriers dans les autres bassins houillers de France, par exemple dans la Loire, Saône-et-Loire le Gard et le Tarn. Le souci de ne pas trop encombrer de chiffres les pages de la Revue nous empêche de faire nous-même ici ce rapprochement.
    De même, malgré l’extrême prudence qu’il faut apporter dans la comparaison des statistiques internationales, de l’avis même des statisticiens les plus éminens, — de l’avis, par exemple, de M. Luigi Bodio, — nous nous reprocherions de ne pas renvoyer à la très remarquable publication du ministère de l’Industrie et du Travail de Belgique qui a pour titre : Statistique des Salaires dans les mines de houille. Tous les salaires qui y figurent, aux pages 86 et suivantes, ont été établis, ainsi que nous l’écrit le chef du service de la statistique à l’Office belge du Travail, M. Armand Julin, « d’après les livres de paye des chefs d’entreprises pour la dernière paye normale qui a précédé le recensement ; ils représentent donc, non des moyennes, mais le revenu réel d’une journée de travail pour chaque ouvrier et ouvrière à la fin du mois d’octobre 1896. »
    A la fin du même fascicule, M. Armand Julin a dressé un répertoire technique des catégories d’ouvriers par spécialités de travail dans les mines de houille de Belgique. Sa nomenclature est probablement de beaucoup la plus complète de celles qui aient paru sur la matière, puisqu’elle distingue de 190 à 200 catégories, alors que nous n’en avons distingué, d’après les indications recueillies dans le Pas-de-Calais, que quarante-quatre ou quarante-cinq, tant « du fond » que « du jour. »
  14. Voyez E. Leseure, Historique des mines du département de la Loire, p. 38, 51, 82, 86, 98 et 99, 183, 251, 266. — Ceux de nos lecteurs qui prennent goût à ces rapprochemens historiques trouveront, dans ce livre, p. 98 et 99, deux tableaux où sont consignés les salaires dans les mines de Rive-de-Gier, en 1760, 1784, 1814, et de Saint-Étienne en 1709, 1750, 1778, 1812, pour le personnel, déjà et de jour en jour plus compliqué, des gouverneurs, piqueurs, porteurs ou traîneurs, remplisseurs de bennes, receveurs du fond, receveurs marqueurs du jour, palefreniers, forgerons, garnisseurs de lampes, réparationnaires, hommes du boisage et muraillement, toucheurs de chevaux, manœuvres aux pompes et autres ouvriers.
  15. Voyez les Ouvriers des Deux Mondes, 2e série, 41e fascicule. Mineur des Mines de houille du Pas-de-Calais, par Yan Kéravic, monographie d’un mineur d’A…, (p. 259). Pour son chauffage, l’ouvrier « reçoit 6t900 d’escaillage (charbon de seconde qualité). Il paie, tous les mois, la somme insignifiante de 0 fr. 20 pour toucher son bon de charbon, alors qu’il devrait payer le même combustible à raison de 7 fr. 40 la tonne, soit pour 6t900 la somme de 51 francs. Ceci représente donc une subvention en nature de 48 fr. 60. » On peut regarder aussi comme une subvention indirecte, le logement à bon marché dans les statuts de la société ; nous y reviendrons au chapitre des Circonstances du travail. Cf. 43e fascicule. Piqueur sociétaire de la « Mine aux mineurs » de Monthieux (Loire), par M. Pierre du Maroussem.