Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 229-231).
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V.


Le lendemain, en effet, ainsi que cela était convenu, tous nos chercheurs d’or se rassemblèrent au cabaret de la Grève, où nous soupâmes encore fort gaiement et toujours aux frais du trésor en perspective. Puis, à l’heure fixée pour le départ, nous nous mîmes en route pour la maison de campagne, théâtre de nos ténébreuses investigations, qui appartenait à l’une des personnes de la société.

Là, au clair d’une pleine lune, à pas de loup et dans le silence, sur les onze heures et demie, on se rendit dans le parc, où Suzanne, ayant fait jurer au propriétaire du lieu que nous étions seuls dans cette enceinte, nous plaça en sentinelles perdues, à diverses distances l’un de l’autre ; après quoi elle décrivit autour de nous des cercles magiques, et nous défendit expressément de sortir de ces anneaux mystérieux.

Lorsque minuit sonna, la jeune magicienne monta sur an tertre assez élevé, situé à peu près au milieu de toutes les sentinelles, et, détachant sa coiffure, elle laissa flotter ses longs cheveux sur sas belles épaules. Ensuite elle se dépouilla modestement de tous ses habits, ne gardant encore cette fois que le harnois de son fin jupon garni de valencienne.

Ce corps svelte et ravissant, éclairé et moiré par les rayons argentés de la lune, se dessinait sur des touffes de baguenaudiers, comme les amours de l’Albane sur des ramées vertes. Oh ! cela était délicieux ! cela avait quelque chose d’antique et de druidesque… Ah ! Suzanne, Suzanne, c’est toi qui recelais le précieux trésor.

Quand je vis de nouveau la pauvre enfant dans ce simple équipage, je lui criai du milieu de mon cercle magique, car je n’avais point renoncé à mon rôle de railleur : — Holà ! ma belle, mais une cuirasse vous conviendrait mieux ! Prenez garde, vous savez que le diable n’y allait pas de main morte, dans la caverne !

Aussitôt que le silence fut rétabli, Suzanne prit son grimoire ; elle s’agitait frénétiquement, elle murmurait des mots étranges et barbares, sans doute dans une de ces langues inconnues en usage dans les pays féeriques, et que possèdent si bien M. Lemaistre de Sacy et M. d’Herbelot.

Mais, peu satisfaite de ces premiers enchantements, elle s’ouvrit adroitement une veine, et, traçant avec une goutte de sang quelques caractères sur une feuille de chêne, elle la jeta au vent en poussant vers le ciel une singulière clameur.

À ce cri significatif, tout à coup cinq cavaliers magnifiques, ou plutôt cinq spectres vêtus de pourpre, de blanc, d’azur, de noir et d’aurore, apparurent dans les airs et vinrent caracoler au-dessus de sa tête, comme un reflet prismatique qu’un enfant se plaît à faire papillonner sur un mur. — Semblant s’élever soudain jusqu’à eux, Suzanne disparut bientôt, à notre grande stupéfaction.

Je ne sais ce que pouvaient être ces fantômes aériens, de quelle région ils venaient, ni dans quelle région ils l’emmenèrent ; mais ce que je sais bien, c’est que l’absence de notre magicienne se prolongeait beaucoup, et que chacun à son poste commençait à s’ennuyer considérablement.

— Par saint Waast mon patron, ventrebleu, mon révérend, dis-je alors au prieur, est-ce que nous allons passer ainsi toute la nuit en espalier ? Nous finirions par drageonner et pousser du chevelu. Qu’attendons-nous ? Ne voyez-vous pas, messieurs, que c’est un tour de passe-passe ! — Tandis que nous demeurons là comme des niais à nous morfondre, je gage dix pistoles que la belle repose sur un bon lit de plume, se pâmant de rire en songeant à nous. — Si l’on ne peut sortir de son cercle, au moins, mon révérend, peut-on s’y coucher ? Je voudrais, pour me distraire, écouter pousser l’herbe.

— Chut ! monsieur le comte ; chut ! vous blasphémez ! criait notre moine en grand émoi et de toute la puissance de sa poitrine. Messieurs, messieurs, restez en place ; je vous en prie, ne bougez pas, ou vous êtes morts !

Mais heureusement les cinq cavaliers aux couleurs prismatiques reparurent tout à coup, galopant ventre à terre au haut de l’empire éthéré, et au même instant un tourbillon de nuées, ou toute autre chose, rapporta Suzanne, qui retomba justement sur le monticule d’où, quelque temps auparavant, elle avait été merveilleusement enlevée » ou du moins avait para l’être.

D’une voix mourante elle appelait à son secours. L’épée à la main, suivi de toute la compagnie, je courus aussitôt vers elle. Mais besoin était plutôt d’un chirurgien que d’un chevalier.

La pauvre jeune fille se trouvait dans un état affreux et difficile à dire ; tout son corps était moulu et déchiré, ses yeux étaient fixes et pleins de larmes, et semblaient cloués au fond de leurs orbites. Il fallut la transporter en toute hâte dans une espèce de masure abandonnée, située dans le lieu le plus reculé du parc, où, me l’assura-t-on plus tard, elle demeura plusieurs jours entre la vie et la mort.

Quand je vis Suzanne dans cet état déplorable, je m’approchai du moine et je lui dis sévèrement : — Décidément, monsieur, je renonce à mon droit de partage sur le trésor. Vous connaissez mon peu de goût pour les richesses ; ce n’était que par un simple motif de curiosité, ce que j’en faisais ; mais il serait impossible à mon cœur de prendre part plus longtemps aux tortures de cette malheureuse enfant.

— Pardieu ! vous plaisantez, cher comte, me répondit gracieusement notre homme, recevant cette sortie avec son sourire accoutumé ; cet accident n’est rien. Croyez-moi, je vous le dis en confidence, à vous seul, le diable a donné sa parole qu’à la prochaine lune il livrerait le trésor.