Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 232-233).
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VI.


Arrivé à cette division de son récit, M. de Brederode demandait d’ordinaire au prisonnier qui l’écoutait, quelquefois au nombreux auditoire qui s’était formé autour de lui, aux heures de promenade, dans le jardin du Donjon ou sur la plate-forme de la Bastille, si l’on désirait qu’il fit connaître en quelques mots, avant de pousser plus loin vers ce qu’il appelait la péripétie de ses malheurs, ce que c’était que le trésor de la caverne d’Arcueil, ou plutôt quelle était l’origine de cette croyance ancienne et générale,

Rien ne plaît tant à l’esprit de l’homme que l’histoire des richesses confiées mystérieusement à la terre, surtout à l’esprit de l’homme malheureux, car dans ces biens que souvent une pierre ou quelques pieds de poussière seulement dérobent à nos regards, et qu’an hasard peut livrer à l’un comme à l’autre, il voit l’unique secours qui saurait le racheter de ses peines.

Le laboureur que le besoin obsède ne donne pas un coup de bêche dans son champ amaigri et pierreux sans se pencher et prêter l’oreille pour écouter s’il ne s’est pas fait sous le choc de son fer quelque bruit sonore.

Plus un peuple est devenu misérable, plus chez lui l’existence merveilleuse des trésors enfouis est une idée importante et commune. De Murviedro aux Algarves, de Tolède à Grenade, il n’y a pas un Espagnol en manteau troué, n’ayant ni poches ni maravédis, qui ne compte sur la découverte prochaine de quelqu’un des immenses trésors que les Maures cachèrent, dit-on, à leur départ jusque dans les fondements des édifices, jusque sous le lit des rivières. — Si l’on pouvait retourner notre ville comme on retourne una tortilla (une omelette), disent sans cesse les bonnes gens de Salamanque, on y trouverait plus d’or que le Nouveau-Monde n’en a fourni et n’en fournira.

Aussi les compagnons d’infortune de M. de Brederode accueillaient-ils avec empressement sa séduisante proposition. Une telle digression pouvait-elle ne pas ajouter au plaisir qu’ils prenaient naturellement à son intéressante histoire ?

Il est vrai que notre jeune seigneur hollandais avait une grâce persuasive toute particulière lorsqu’il laissait courir son imagination et sa parole. On quittait promptement avec lui le triste domaine du réel, chose bien douce pour de pauvres gens en captivité ; on trouait promptement sa coque, et, comme le papillon essorant ses ailes aux vives couleurs, on s’en allait flâner et voltiger, loin des verrous et de la discipline, dans une vie toute de fantaisie et de caprice.

Lorsque M. de Brederode s’était fait signer ainsi sa nouvelle feuille de route par son auditeur ou son auditoire, il commençait alors avec sa voix cinglante et moqueuse, qui savait donner du prix aux particularités les plus oiseuses, au moindre détail, l’espèce de narration qui va suivre. Nous nous sommes fait un devoir, comme pour ce qui précède, de n’apporter aucun changement, ni dans le fond ni dans la forme de ce récit, de peur de substituer la raison glaciale et les draperies étriquées d’un esprit moderne aux oripeaux et franches boutades d’un vieil esprit.

Mais laissons donc parler M. de Brederode.

— En histoire de même qu’en grammaire, reprenait-il, tout a son étymologie. Ou connue ou cachée, il n’y a pas de croyance, si absurde qu’elle puisse être, qui n’ait sa source quelque part. En ce qui concerne l’existence d’un trésor enfoui dans la caverne d’Arcueil, puisque vous voulez bien me le permettre, voici le fait, net et positif, qui, non sans beaucoup de raisons, avait donné lieu à cette opinion vulgaire.