Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 227-229).
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IV.


À cette sage réflexion que j’avais lancée adroitement pour faire sentir à nos convives qu’ils s’oubliaient comme les soldats d’Annibal dans les délices de Capoue, le prieur fit avancer sur-le-champ des carrosses de place, où toute la tumultueuse compagnie ne tarda pas à se précipiter et à se ranger, chacun suivant ses affinités ou sa sympathie. Pour moi, je m’attachai à la personne de mon ami le cénobite, comme un enfant à la robe de son menin. Au milieu de ces inconnus et de ces ténèbres, il était ma colonne de feu.

Après un assez long et assez pénible trajet, qui n’offrit rien de bien digne de mémoire, nos modernes Argonautes arrivèrent enfin sur le territoire d’Arcueil.

Une personne affidée, qu’on avait apostée secrètement dans la campagne et qui faisait le guet, accourut aussitôt au-devant de nous, et nous ayant introduits dans l’enclos mystérieux, elle nous mena vers l’antre du prétendu trésor. L’antre du trésor était une caverne obscure, cela va sans dire ; que serait une caverne si elle n’était obscure ? que serait un traître s’il n’avait l’air rébarbatif et félon ?

Or, pendant que Suzanne, la gentille magicienne, se déshabillait ; pourquoi se déshabillait-elle ? je ne sais : il est à croire toutefois que les vêtements, qui sont une chose contre nature, paralysent les sortilèges, puisque nous voyons les auteurs les plus scrupuleux et les mieux famés en user ainsi avec leurs nécromants ; — pendant, dis-je, que Suzanne se déshabillait, voulant jouer l’homme de sang-froid et de courage, une bougie à la main gauche et une épée dans la droite, j’entrai bravement dans la caverne, et je me mis à la parcourir dans tous les sens, mais sans y rien rencontrer, pas même un hibou.

Suzanne à son tour y pénétra. Elle était sous le harnois d’un simple petit jupon garni d’une fine dentelle… Oh ! l’appétissante petite sorcière !… Elle portait un flambeau de résine et un grimoire tout large ouvert.

Avec un seul homme de la troupe, je fus placé alors à l’entrée de la caverne ; le reste de la compagnie eut l’ordre de demeurer dans l’éloignement.

Il y avait à peine quelques instants que, mon compagnon et moi, nous nous tenions ainsi aux écoutes, quand tout à coup nous entendîmes Suzanne parler et s’écrier d’une façon très impérative :

— Voilà bien des fois que tu fausses ta promesse ! Je veux, je prétends, j’ordonne que tu me livres à l’instant le trésor.

À cette injonction, une voix qui ne pouvait être à coup sûr que la voix d’un génie infernal, répondit :

— Tu ne sauras vaincre ma résistance cette nuit, ne m’importune pas davantage, il y a trop de monde avec toi ; et si le prêtre, ton compagnon, ou tout autre, s’avise d’enfreindre la loi que j’impose, je jure de lui tordre le cou en ta présence.

En entendant ce singulier discours, je partis d’un grand éclat de rire, qui retentit longtemps dans la caverne. Était-ce un rire bien sincère ? Je n’oserais le croire ni raffirmer aujourd’hui, car tout cet appareil nocturne n’était pas sans avoir fait quelque impression sur mon esprit. Il y a dix à parier contre un que je frissonnais tout bas, comme dit Montaigne, dans la citadelle de mon pourpoint. Mon acolyte semblait pétrifié.

— Lui tordre le cou en ma présence ! Non, non, je ne te redoute pas, répliqua Suzanne ; je saurai t’en empêcher.

— Eh bien ! alors, cria la voix mystérieuse, tremble pour toi-même.

Le diable, en proférant cette dernière menace, se mit, sans aucun respect pour la beauté, à maltraiter violemment Suzanne. On entendait résonner les coups sur son joli corps aussi distinctement que nous pouvons entendre d’ici sonner l’heure à l’horloge de la ville. Cela était vraiment déchirant !

En véritable chevalier, je voulus voler à la défense de la belle opprimée, mais mon compagnon me retint, jurant par le ciel et la terre que je serais perdu si je faisais un seul pas.

Suzanne reparut bientôt, l’œil hagard, meurtrie, échevelée, et cependant la courageuse enfant ne laissait pas échapper une plainte.

Toute la compagnie s’était rassemblée autour d’elle, et chacun avec intérêt s’empressait de lui adresser quelque question : — Et le trésor, et le diable, mademoiselle ?

Quant à moi, j’avais repris mon air moqueur, et je plaisantais le prieur sur la brillante issue de son expédition.

— Mon révérend, lui disais-je, n’a-t-il pas été convenu que le trésor, c’est-à-dire ce que le diable livrerait à la conjuration de notre jeune Hécate, serait partagé entre tous pareillement, et que chacun de nous y aurait un droit égal ? Faisons donc justice. — Allons, belle Suzanne, allons, sans pitié, distribuez à chacun son dividende. Donnez-moi, de grâce, les coups qui me reviennent.

Mais le prieur faisait toujours assez bonne contenance ; il se contentait de répondre à ces railleries, avec sa candeur habituelle :

— Le diable, mon cher monsieur, n’est pas aussi traitable que vous semblez le croire. Ne riez pas ainsi. Nous aurons sans doute meilleure chance la prochaine fois.

Et comme on allait se retirer et monter dans les carrosses pour regagner la ville, Suzanne proposa de tenter le lendemain un nouvel essai, ce qui sur-le-champ fut accepté.