Librairie Hachette (p. 66-72).
COLETTE ET ARTHUR SE FONT DES CONFIDENCES



Pendant ce temps, Arthur et Colette étaient partis tout en causant gaîment. La fillette était ravie : c’était si amusant de faire de la bicyclette après être restée tant de longs jours dans l’automobile !

« Mlle Marlvin est très bonne, très gentille, confia-t-elle à Arthur : mais vous savez, elle ne comprend rien… Elle veut que je sois sérieuse comme elle ; alors…

— Oui, s’écria Arthur en riant, ça, c’est difficile…

— N’est-ce pas ? Et puis Paul ne pense qu’à ses chevaux…

— Il fait de l’élevage ? demanda Arthur.

— Oui, nous habitons Arles. »

Colette raconta à son nouvel ami mille choses de sa famille, ce qu’elle faisait à Arles ; puis, tout à coup, elle s’écria :

« Devinez-vous pourquoi nous sommes ici ?

— Non… ou, du moins, je suppose que vous voyagez pour voir du pays ?

— Oui et non… Notre voyage à un but, ajouta mystérieusement la fillette.

— Ah !… et vous ne pouvez pas me le dire ? demanda Arthur avec un peu de curiosité.

— Si… Seulement vous allez me promettre de n’en parler à personne, pas même à votre ami Charles. »

Inutile de dire que la marche des deux enfants s’était beaucoup ralentie. Lorsqu’on se confie des secrets, on ne peut faire de la vitesse !

« Je n’ai pas de secrets pour lui ; mais si vous y tenez…

— Beaucoup… Alors vous promettez ? insista Colette.

— Je promets, » répondit Arthur.

Colette rapprocha sa bicyclette de celle d’Arthur et, se penchant vers lui, elle murmura tout bas :

« Eh bien ! nous cherchons le trésor de M. Toupie ! »

La fillette se redressa triomphalement en regardant Arthur, pour jurer de l’effet qu’elle produisait. Il fut foudroyant. Arthur s’arrêta net et Colette faillit dégringoler de sa machine. Avec sa vivacité habituelle, elle rétablit son équilibre, mais mit bientôt pied à terre.

« Comment… le trésor de M. Toupie… ?

— Oui ! Qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela ?

— Mais… c’est…

— C’est ?… C’est ?… Ah ! là ! là ! Est-ce comique !… Je parie que vous le cherchez aussi ? » s’écria Colette en éclatant de rire.


colette se pencha vers arthur.

Arthur hésitait à répondre. Mais Colette l’avait pris pour confident : pourquoi serait-il plus méfiant ?

« Écoutez ; promettez-moi, vous aussi, un secret absolu. »

Colette hocha la tête en signe d’assentiment.

En effet, nous aussi, nous cherchons le trésor de M. Toupie. Nous venons de Dol…

— Nous aussi…

— Nous allons à Saint-Savin.

— Nous aussi…

— Peut-être irons-nous au Puy. Charles y a une amie, Élisabeth, qui lui écrit de temps en temps. Il paraît que des concurrents se sont dirigés de ce côté.

— Dieu, que c’est amusant ! Quelle chance que l’automobile ait eu cet accident ! Nous allons voyager ensemble ! Que je suis donc contente ! »

Et Colette battait des mains, tout en retenant sa bicyclette qui menaçait de tomber.

« Mais vous m’avez promis le secret !… s’écria Arthur inquiet.

— Mais oui ! Mais oui ! N’ayez aucune crainte. C’est notre secret à tous les deux. Mais je crois que nous ferions bien de nous dépêcher, car ils nous attendent là-bas.

— Oh ! c’est vrai !… »

Les deux enfants remontèrent à bicyclette et atteignirent bientôt Saint-Savin.


des paysans regardaient les arrivants.

Saint-Savin est un joli site, d’où l’on a vue sur la vallée du gave de Pau. On y remarque les restes d’une abbaye élevée, dit-on, par Charlemagne, et qui aurait servi de retraite à l’ermite saint Savin, fils d’un comte de Barcelone, ainsi qu’une très ancienne église romane. Sur la place du bourg se dressent de vieilles maisons, infiniment curieuses, avec des arcades en bois, et une croix de pierre portant la date : 1783. Quant à la chapelle de Piétat, un monument du xviie siècle dont la description s’était imposée à l’esprit de Charles Lefrançois, elle se trouve sur une plate-forme dominant la route.

Mais Colette et Arthur ne firent pas, pour le moment, attention à toutes ces vieilles choses. Ils cherchaient un hôtel ou un garage d’automobiles. Comme ils n’en trouvaient pas à l’entrée du bourg, Arthur s’adressa à un gros boulanger qui se tenait sur le pas de sa porte.

« Pourriez-vous m’indiquer un loueur de voitures ou d’automobiles ?

— Tenez, là-bas, vous verrez une enseigne : Caussade. »

Colette et Arthur, poussant leurs bicyclettes, se dirigèrent vers l’endroit indiqué. Ils virent, au-dessus d’une grande porte, une vaste enseigne où étaient peints, d’un côté un cheval attelé à une élégante voiture, et de l’autre une automobile de la meilleure marque. Au centre, le nom du loueur : Caussade. Mais la cour de cette maison était silencieuse, on n’apercevait nul être humain, pas un valet d’écurie, pas un cheval, pas même un chien : seules trois ou quatre poules picoraient ici et là, et un chat noir dormait sur l’appui d’une lucarne.

« Hé ! là ! cria Arthur, il n’y a personne ici…

— Hé ! là ! » répéta Colette d’une voix beaucoup plus pointue.

Comme le plus profond silence continuait à régner dans l’établissement, Arthur sortit et inspecta les alentours. Sur une porte, il vit le mot : Buvette.

« Très bien : là-dedans, je trouverai des cochers. »

Et il entra dans le petit café ; mais auparavant, il avait prié Colette de rester sur la place avec les deux bicyclettes : il ne pouvait tolérer que sa nouvelle amie entrât dans un cabaret.

La pièce renfermait peu de monde : trois ou quatre habitants du pays attablés devant des verres de vin.

« Pourrais-je avoir une voiture pour aller chercher, à peu de distance d’ici, des touristes dont l’auto a eu un accident ?

— Adressez-vous en face.

— Il n’y a personne… Voyons, c’est très pressé. »

Un jeune homme se leva.

« Il n’y a plus d’autos à cette heure-ci… Quant aux voitures, on pourra peut-être trouver un cheval, mais…

— Eh bien, ça va alors…

— Eh mais ! attendez… Combien donnerez-vous pour la course ?

— Ce n’est pas loin et…

— Oh ! ça ne sera pas moins de quarante francs. Pensez donc… un bon cheval…

— C’est cher ; enfin, entendu. Attelez vite ; je vais vous montrer la route.

— C’est très bien tout ça, mais il faut payer d’avance.

— D’avance ! Mais… » Arthur pensa qu’il n’avait qu’une petite somme sur lui ; quant à Colette, elle devait être aussi démunie d’argent que lui… « Je n’ai pas la somme sur moi… Nous voyageons avec nos parents.

— Ah ! ça, c’est fâcheux… Alors, rien à faire.

— Mais, voyons, s’écria Arthur indigné en voyant que son interlocuteur se rasseyait à la table de ses compagnons, avons-nous l’air de mendiants ?

— Non, pour sûr ; seulement, par cette chaleur, risquer d’aller chercher des voyageurs qui ne seront peut-être plus là…

— Puisque je vous dis que l’auto est abîmée et ne peut avancer… »

Les paysans attablés se mirent à discuter en patois. On ne pouvait les comprendre, mais Colette, qui était entrée dans le café, regardait leurs physionomies et devinait que les avis étaient partagés ; les uns poussaient le jeune homme à partir, les autres à rester. Elle le dit rapidement à Arthur.

« Écoutez, dit tout à coup ce dernier, puisque nous ne pouvons pas vous payer, je vais vous donner ma bicyclette en gage. Elle est d’une excellente marque… Alors, dépêchez-vous d’atteler votre cheval et de partir…

— C’est bon, allons voir la bécane. »


une jeune femme apporta du lait.

Le jeune cocher se leva et, suivi de ses amis, sortit du cabaret. Ils examinèrent avec soin la machine, puis ils dirent à Arthur de les accompagner dans la remise. On enferma la bicyclette dans un réduit ; Colette, qui trouvait fatigant de traîner la sienne, la mit à côté de l’autre.

« Comme ça, dit Arthur en riant, vous en aurez deux au lieu d’une. »

Le jeune cocher rit de tout son cœur en montrant ses dents blanches : il souhaitait en lui-même de ne pas rencontrer les voyageurs, car la bicyclette lui faisait joliment envie.

Il sortit de l’écurie un petit cheval de la race du pays, aux jambes minces et à la tête fine, l’attela à une antique victoria et monta sur le siège. Arthur et Colette avaient décidé de ne pas aller avec lui, afin de laisser toute la place aux voyageurs en détresse. Au moment de soulever les guides, le cocher fit tournoyer son fouet et s’écria :

« Sur la route de Pierrefitte à Argelès, n’est-ce pas ?…

— Oui, répondit Arthur, qui, avec son étourderie habituelle, ne crut pas devoir préciser que le lieu où se trouvaient les voyageurs était du côté d’Argelès et non pas du côté de Pierrefitte.


colette n’avait pas peur des animaux.

— Oui ! Oui ! ajouta Colette. C’est ça…

— Vous trouverez deux jeunes gens, une dame et une automobile à moitié démolie. »

Clic ! Clac ! Le fouet cingla l’air et l’attelage partit au grand trot.

« Maintenant, ne pensez-vous pas que nous pourrions goûter ? J’ai une faim terrible, dit Colette.

— Oui… mais il n’y a pas de pâtissier par ici… Allons donc jusqu’à la place de l’église, nous en trouverons peut-être là. »

Sur une terrasse d’où la vue s’étendait au loin, des femmes travaillaient en groupes, tandis que des marmots jouaient autour d’elles. Contre l’église se trouvaient quelques petites boutiques en plein vent où l’on vendait des cierges et des médailles.

Les marchandes se précipitèrent à la vue des jeunes voyageurs, tendant leurs articles et criant toutes à la fois :

« Mademoiselle, un cierge ?

— Ma petite demoiselle, une médaille… Votre prière sera exaucée… Un cierge, une médaille… »

Colette s’éloigna avec humeur.

« Elles sont assommantes, ces vieilles femmes. Quand Mlle Marlvin sera ici, nous achèterons quelque chose : pour l’instant, je veux goûter. »

Arthur fut de l’avis de Colette et, après avoir questionné une des marchandes, ils se dirigèrent vers une maison dans laquelle ils pénétrèrent en poussant simplement une porte.

Une jeune femme, qui tenait un bébé dans ses bras, alla chercher du lait, des gâteaux de maïs, des pains aux raisins, qu’elle posa sur une table.

« Mais, chuchota tout bas Colette à Arthur, vous avez de quoi payer ?

— Oui ! Oui ! dit Arthur en riant ; je n’ai pas beaucoup d’argent, mais enfin assez pour payer notre goûter. »

Ensuite les deux enfants se promenèrent dans Saint-Savin.

Comme le soleil commençait à descendre à l’horizon, Arthur dit tout d’un coup :

« Allons donc voir si nos voyageurs sont arrivés. »

Après avoir descendu des chemins sinueux et de petits escaliers, tourné plusieurs fois à droite, puis à gauche, ils se trouvèrent enfin sur une grande route.

« On peut faire quelques pas sur cette route, proposa Colette.

— Oui… sans aller trop loin… »

Il faisait beau, la campagne semblait se réjouir sous les rayons du soleil couchant, des troupeaux de bêtes passaient. Colette n’avait peur ni des vaches, ni des bœufs, ni des chiens. Elle les appelait et voulait leur donner les morceaux de pain qu’elle avait encore dans les mains.

Arthur fit un beau bouquet de fleurs, de seringa odorant, de roses, de pervenches…

Ils s’assirent sur le talus et regardèrent passer les gens.

Soudain Arthur s’écria :

« Mais il se fait tard. Il faut retourner au bourg. »

Arrivés devant la remise, quel fut leur étonnement en voyant le jeune cocher faire des exercices savants sur la bicyclette d’Arthur !

« Holà ! Holà ! s’écria ce dernier, ma bicyclette ! Vous vous l’appropriez un peu vite. Où sont nos parents ?

— Vos parents ? Eh bien ! en voilà une histoire ! Pas plus de voyageurs que sur ma main. Aussi maintenant, bien malin qui…

— Comment ? s’écria Colette, Mlle Marlvin, Paul ?…

— Charles ? » questionna à son tour Arthur.

Le cocher s’arrêta en voyant la figure consternée d’Arthur et de Colette.

« Oui… l’auto… la dame… mon ami… ? s’écria Arthur au comble de l’inquiétude.

— Personne, je vous dis, personne… Sur la route de Pierrefitte, j’ai dépassé Adost.

— Ciel ! Mais ce n’est pas là !… Ils sont sur la route d’Argelès !

— Mais, riposta le cocher, vous m’avez dit sur la route de Pierrefitte à Argelès, J’ai cru que c’était du côté de Pierrefitte. Vous auriez dû m’indiquer que c’était du côté d’Argelès ! »

Arthur montrait le plus violent désespoir et se reprochait sa légèreté.

« Ah ! mon Dieu ! qu’allons-nous faire ? »

Le pauvre garçon se voyait sans argent, ayant abandonné son ami… et tout ça par étourderie… Ah ! pauvre Arthur ! Quelle tête ! Colette eut pitié de lui. Elle s’approcha, lui prit la main.

« Voyons ! Nous allons les retrouver… »

Des hommes, des femmes entouraient les enfants.

« Bien sûr que Peninou (c’était le nom du cocher) va repartir… Laisser comme ça des personnes sur la route !…

— Naturellement… C’est de sa faute aussi. Pourquoi a-t-il voulu être payé ? Il a tout embrouillé…

— C’est vous qui vous êtes mal expliqué… Vous m’avez dit… »

Tout le monde criait et parlait à la fois ; on aurait dit qu’on se disputait… Ce tumulte aurait immensément amusé Colette si elle n’avait pris en pitié la figure d’Arthur.

Tout à coup quelqu’un fendit la foule ; c’était un grand jeune homme qui saisit Colette dans ses bras et lui donna sur les joues deux baisers retentissants.

Puis, se tournant vers Arthur, il lui demanda en riant, tout en épongeant son front couvert de sueur :

« Et cette voiture que vous deviez nous envoyer ?

— Mais nous vous l’avons envoyée ! »

Paul — car c’était lui qui venait d’arriver à pied — regardait la foule d’un air stupéfait.

Alors les habitants du pays qui se trouvaient là lui expliquèrent tous ensemble comment Arthur et Colette avaient, en effet, envoyé une voiture, comment ils avaient mis en gage une bicyclette, comment le cocher, mal informé, avait pris à droite, au lieu d’aller à gauche, en sorte qu’il n’avait trouvé aucun voyageur auprès d’une automobile démolie.

Au milieu de tant de paroles véhémentes, Paul eut beaucoup de peine à comprendre ce qui s’était passé. Il y parvint cependant.

Alors il s’enquit d’un véhicule. On lui apprit qu’une automobile était disponible. Il donna l’ordre de la tenir prête à partir.

« Il faut au plus vite aller calmer cette pauvre Mlle Marlvin. »

Au moment où il prononçait ces mots, voilà que celle-ci, appuyée sur le bras d’un automobiliste à grosses lunettes, fendit la foule.

« Elle n’est pas morte ! » s’écria-t-elle en apercevant Colette, et elle faillit encore s’évanouir.

La foule se mit à vociférer encore plus fort.

« Cette pauvre dame ! Ces enfants dénaturés ! Cet étourdi de Peninou, etc., etc… »

Paul, n’écoutant rien, saisit Mlle Marlvin par un bras, l’automobiliste la prit par l’autre, ils la transportèrent dans une pharmacie qui se trouvait là, tandis qu’Arthur et Colette, émus et confus, les suivaient, portant le sac, l’ombrelle, l’écharpe de la pauvre institutrice.

On fit de nouveau respirer des sels à Mlle Marlvin, qui reprit peu à peu ses sens. Lorsque Paul vit qu’elle revenait à elle, il s’enquit d’un hôtel. À ce moment, on l’avertit que l’automobile qu’il avait commandée était prête.

« D’abord, déclara Paul à Arthur et à Colette, je vais vous installer à l’hôtel, vous mettre dans une chambre et fermer la porte à double tour, car, à mon retour, vous auriez encore disparu…

— Oh ! monsieur, s’écria Arthur, laissez-moi aller avec vous auprès de Charles, car…

— Non, non ! Jamais de la vie. Vous avez été un petit étourdi, je vous condamne à rester avec ma sœur et Mlle Marlvin. Puis il ajouta, pour adoucir sa sévérité : « Il faut veiller sur ces dames. »

Arthur était très vexé, et son esprit était plein de remords quand il pensait à Charles.

Cinq minutes après, Paul avait installé tout son monde, Mlle Marlvin se coucha. Quant à Colette et Arthur, ils reçurent l’ordre de Paul de ne quitter l’hôtel sous aucun prétexte.

« Sous aucun prétexte ! » cria-t-il tandis qu’il montait dans l’automobile.

Celle-ci démarra et s’éloigna…

Pauvre Charles ! Quelles angoisses n’avait-il pas éprouvées pendant ces longues heures d’attente ! Mille suppositions avaient traversé son esprit, depuis l’idée d’un accident arrivé à Colette, à Arthur ou aux autres voyageurs, jusqu’à celle de l’abandon de son ami !

Il avait un caractère courageux, mais la solitude au milieu de ces montagnes que le soir commençait à assombrir l’impressionnait. Un sentiment de détresse lui serrait le cœur. Le bruit du gave lui paraissait assourdissant, et faisait contraste avec le silence de la route sur laquelle ne passait plus personne.

« Ah ! mon cher Toupie, que ton trésor est dur à conquérir ! »

Mais jamais il ne lui vint à l’idée d’abandonner l’automobile pour monter à pied à Saint-Savin. Ne lui en avait-on pas confié la garde ?

Tout à coup, il entendit un grondement d’automobile ; il se dressa et écouta, mais le grondement cessa, puis de nouveau se fit entendre. Enfin, il n’eut plus de doute, une automobile arrivait. Bientôt elle apparut : c’était celle qui amenait Paul de Saint-Savin. À la vue de Charles, Paul s’écria :


mlle marlvin avait fait arrêter une
automobile qui passait.

« Tout le monde sain et sauf ! »

Paul, comprenant que le jeune garçon avait passé quelques heures de pénible attente, lui serra la main avec force, tout en lui racontant en riant les exploits d’Arthur et de Colette.

Pendant qu’ils parlaient, le jeune homme, aidé du chauffeur, attachait la voiture abîmée à l’autre automobile, puis il donna le signal du départ et l’on se mit en route pour Saint-Savin…

La nuit ne fut pas suffisante pour réparer les forces de tous les voyageurs, et ce fut seulement le lendemain, vers midi, qu’ils se retrouvèrent, autour d’une table fleurie. Le repas avait été commandé par Paul.

Arthur était encore confus de son équipée de la veille ; quant à Colette, avec son insouciance habituelle, elle proclamait que tout s’était terminé très heureusement et que le voyage allait devenir supérieurement amusant parce qu’elle avait trouvé un ami de son âge.

« Où irons-nous maintenant ? demanda-t-elle dès que les convives furent tous assis.

— Mais je suppose, déclara assez fermement Mlle Marlvin, que cette dernière aventure suffira et que nous allons reprendre le chemin de la maison.

— Oh ! non ! s’écria Colette. Je veux aller au Puy.

— Au Puy, pour quoi faire ? »

Colette se vit dévisagée à la fois par Charles, par Arthur, par Paul. Le premier se demandait si Arthur n’avait pas commis encore une indiscrétion, le second lui faisait signe pour lui recommander le silence, le troisième qui avait deviné le but du voyage de Charles et d’Arthur se disait : « Ma sœur est une petite maligne. »

Mais Colette prit la figure la plus innocente du monde et dit simplement :

« Parce qu’Arthur m’a parlé d’une petite fille, une amie de M. Charles, qui demeure au Puy et parce que j’ai envie de faire sa connaissance.

— Justement, je reçois une lettre d’elle à l’instant, dit Charles. Je ne l’ai pas encore lue… Nous irons peut-être la voir pendant ces vacances.

— Allons-y… Allons-y… Vous viendrez avec nous en automobile, n’est-ce pas, Paul ?

— Je ne demande pas mieux… Quand la voiture sera réparée, ce qui, je l’espère, ne tardera guère, car j’ai fait venir un mécanicien d’Argelès. Si tout le monde est réuni dans l’automobile, au moins on ne se perdra pas… »

Les convives se mirent tous à rire, exceptée Mlle Marlvin, très mécontente de la prolongation du voyage, et Arthur, dont la figure, devenue subitement cramoisie, indiquait que sa conscience n’était pas tranquille…