Librairie Hachette (p. 72-74).
UNE LETTRE D’ÉLISABETH



Dans la matinée, Charles avait pris soin de parcourir en détail Saint-Savin. Il avait visité l’église et la chapelle de Piétat, et noté l’existence, sur la place, des vieilles maisons à arcades. La Vierge byzantine en bois sculpté, remontant à l’époque des Croisades, qui se trouve dans l’église ne lui avait pas échappé, mais évidemment cette statue ne reposait pas sur un rocher. Allons ! ce n’était pas encore ici que l’on trouverait le trésor de M. Toupie. Une fois de plus, il s’était trompé !


charles trouvait le temps long.

Assez attristé, il n’avait pas encore fait part à Arthur du résultat de ses investigations, car il voulait d’abord prendre connaissance de la lettre d’Élisabeth.

Pour la lire, il se rendit de nouveau prés de la chapelle de Piétat.

La terrasse dominait le gave, et au loin les sommets neigeux des Pyrénées faisaient paraître sombres les vallées.

« Figure-toi, écrivait Élisabeth, que toute la ville est en émoi. Il arrive chaque jour des gens qui cherchent le trésor de M. Toupie ; bien entendu, ils n’indiquent pas le but de leur voyage, mais tout le monde le devine.

« Des garçons de douze à quinze ans parcourent les environs dans tous les sens et j’ai une peur horrible qu’ils ne trouvent le trésor avant toi. Pourquoi n’es-tu pas venu d’abord au Puy ? Il me semble que les données du concours s’appliquent à notre pays. Et puis, pourquoi n’ai-je plus de tes nouvelles depuis la carte que tu m’as envoyée de Dol ? Où es-tu ? et que comptes-tu faire ?

« Il y a eu une scène entre des voyageurs de l’hôtel Lafayette. Un professeur qui accompagnait deux jeunes gens — venus pour le concours — a accusé un jeune voyageur de le suivre et de l’épier. Celui-ci l’a mal pris ; alors, parmi les assistants, les uns se sont prononcés pour le professeur, les autres pour son adversaire, Finalement on en est venu aux coups ; le patron de l’hôtel s’en est mêlé et a voulu faire venir la police. Cela a calmé tout le monde et, le soir, au restaurant, tout était rentré dans le calme ; mais le professeur et ses élèves avaient disparu… Des gens les ont vus dans notre département de la Haute-Loire, du côté de Polignac, explorant les alentours. Je ne sais pourquoi je m’imagine que c’est lui qui trouvera le trésor !… Sa figure est parfaitement antipathique.… C’est du moins papa qui le dit, car, moi, je ne l’ai jamais vu.

« Un autre concurrent, nommé Trébois, a voulu grimper au Puy sur la statue de la Vierge ; il s’est penché pour rattraper son chapeau, il a glissé ; ses vêtements se sont accrochés à la statue et l’ont retenu ; sans cela il se serait probablement tué. Mais il a fallu faire venir les pompiers pour le dégager, le gardien de la statue n’ayant pas voulu risquer sa vie pour un « écervelé ». Moi, je pense que ce n’est pas en haut de la statue qu’il faut chercher le trésor.

« Un autre concurrent circule la nuit à bicyclette. Comme nous sommes à l’époque de la pleine lune, les nuits sont fort claires et, sur les routes, l’on y voit comme en plein jour. Alors il va de Polignac à Sénillac, de Sénillac à la Roche, au lac du Bouchet, et, à chaque croisement de route, il s’arrête, regarde à droite, à gauche, en suivant un plan tracé sur un carton.

« Tu me demanderas comment je sais tout ça ? Parce que ce concurrent, qui a quitté Le Puy après avoir déclaré que le trésor n’était pas ici, a raconté ses voyages nocturnes au fils du proviseur du lycée. Quant à ce dernier — il a, comme tu sais, quinze ans — il prétend que tous les candidats sont des nigauds et que, s’il s’était mis à la recherche du trésor, il l’aurait trouvé depuis longtemps. Pour parler ainsi, il connaît peut-être M. Toupie et la cachette du trésor.


l’institutrice faillit encore s’évanouir.

« Écris-nous vite et raconte-nous tes aventures. »

Tout en pliant la lettre pour la remettre sous son enveloppe, Charles se représentait son amie, assise près d’une table, ayant devant elle une corbeille remplie de bas et de chaussettes à repriser, ou bien, le matin, débarbouillant ses frères hurlant sous l’eau des éponges ou les dents du peigne. Et un rapprochement se faisait dans son esprit entre cette fillette si raisonnable, si « maman » déjà, et Colette, volontaire, gâtée, capricieuse, tapant du pied et se fâchant pour le moindre incident qui empêchait de continuer le voyage endiablé qu’elle avait entrepris.

Charles poussa un soupir, se leva et se dirigea vers l’hôtel. À peine avait-il fait quelques pas qu’il se trouva face à face avec Arthur et Colette qui couraient ; en le voyant, les deux étourdis se mirent à gesticuler avec frénésie et à pousser des cris joyeux.


« je suis sûre, dit colette, que vous trouverez le trésor. »

« Holà ! Où te cachais-tu ?

— Nous vous cherchions partout… L’auto va être réparée, cria Colette d’une voix perçante afin de dominer celle d’Arthur.

— Mais où allons-nous ? demanda ce dernier. Que te dit Élisabeth ? Parle-t-elle du concours ? »

Ces questions se pressaient, et les deux enfants bondissaient autour de Charles ahuri qui ne savait à qui répondre.

Colette prit un de ses bras, Arthur l’autre et, dans un même mouvement affectueux, se penchèrent vers lui. « Allons, dit Arthur, ne prends pas cet air triste…

— Je suis sûre que vous trouverez le trésor… »

Colette, en disant ces mots, rejetait en arrière les boucles de ses cheveux qui tombaient sur ses yeux.

Charles se mit à rire ; tandis qu’ils descendaient une petite ruelle tortueuse, pavée de cailloux pointus, il raconta les anecdotes rapportées dans la lettre d’Élisabeth. À bien des indices, il devinait qu’Arthur, une fois de plus avait bavardé, et que, d’autre part Colette était partie, elle aussi, à la conquête du trésor. Alors, à quoi bon faire le cachottier ? Ce qui amusa le plus la fillette, ce fut l’histoire du concurrent accroché à la statue de la Vierge.

Puis, elle posa beaucoup de questions sur Élisabeth, et quand Charles s’arrêta après avoir fait son éloge, elle dit d’un petit air réfléchi :

« Oui… je vois,… je comprends,… elle ne me ressemble guère…

— Oh ! non ! » s’écria Charles.

Il sentit que la main qui emprisonnait son bras se crispait un peu ; à peine avait-il prononcé cette réponse qu’il comprit son impolitesse.

« Je veux dire,… ce n’est pas du tout la même chose. Élisabeth n’a plus sa mère et elle la remplace auprès d’une sœur et de deux petits frères, et…

— Oui,… oui, je comprends : Élisabeth est raisonnable, ce que je ne suis pas. Élisabeth ne peut aller à droite et à gauche, comme moi, selon son humeur ; Élisabeth n’a pas un grand frère qui dit : oui toujours, et une institutrice qui ajoute : amen.