Librairie Hachette (p. 27-32).
CHARLES ET ARTHUR SE METTENT EN ROUTE


Connais-tu le Mont Dol ? demanda un matin Charles à son ami Arthur.


— Non, pas du tout. Où est-il, ce Mont Dol ?

— En Bretagne, près de la baie du Mont Saint-Michel.

— Tu as trouvé ça hier ?

— Oui. Chez ton père il y a un magnifique livre sur la Bretagne, avec beaucoup de photographies ; je l’ai lu entièrement. Et j’ai appris qu’au Mont Dol, près de Dol, il y avait une statue de la Vierge.

— Alors tu crois qu’il est là… le trésor de M. Toupie ? demanda Arthur un peu incrédule.

— Je n’en sais rien du tout. Mais il faut une statue de la Vierge. En voilà une… Bon. Je vois, d’après le Guide Bleu de Bretagne, que c’est un pays qui a une vieille église. Bon ! de vieilles maisons…

— Bon ! dit Arthur en imitant Charles.

— Oui, bon ! Alors je poursuis mon étude et je constate que beaucoup de choses répondent aux conditions du concours ; je conclus donc qu’il faut aller en Bretagne… Suis sur le programme du concours. La montagne de Dol était consacrée aux druides. Or le point 2 parle d’un lieu historique. Il s’y trouve une statue de la Vierge sur une tour. Or, le point 3…

— Le point 3 fait allusion à une statue sur un rocher et non sur une tour. Alors ?

— Oui, évidemment. Seulement, cette tour peut elle-même être construite sur un rocher. Tout cela est à voir.

— Continue, prononça gravement Arthur.

— La ville de Dol a été construite par une colonie de Bretons venus d’Angleterre et amenés par saint Samson en 548… Hein ! je pense que c’est vieux ?

« De Dol, on a une vue magnifique sur la terre et la mer. Ceci concerne le point 4.

— Mais vois-tu des arbres, des rochers, un lac ?

— Nous le saurons lorsque nous y serons.

— Bravo ! Continue…

— Dol possède une cathédrale du xiiie siècle, de style gothique. »

Arthur, tenant à la main la feuille sur laquelle sont inscrits les « points » du concours, dit :

« Point 5. Parfait.

— Vieilles maisons remontant au xiiie siècle, arceaux romans.

— Point 8. Reparfait.

— Je ne te signale pas tous les détails intéressants que j’ai appris. Bref, mon avis, c’est qu’il faut commencer par aller à Dol.

— Allons à Dol ! s’écria Arthur. N’est-ce pas là que se trouvent des marais curieux ?…

— Oui. Il existait entre Dol et la baie Saint-Michel quinze mille hectares de marécages que la mer a engloutis vers le vie ou viie siècle. Plus tard on construisit des digues. Le marais se dessécha lentement, et cela fut une source de richesses pour le pays ; des arbres entiers avaient été submergés. Ces arbres, maintenant, on les retire de l’ancien marécage ; une fois revenus à l’air, ils se durcissent, acquièrent une force de résistance extraordinaire, deviennent noirs comme de l’ébène, et leur bois sert à faire des meubles, de la marqueterie, etc…

— Cela va être joliment amusant de visiter tout ça, ne crois-tu pas ? conclut Arthur.

— Sûrement. Nous parcourrons le pays à bicyclette, nous descendrons dans les auberges, nous déjeunerons sur l’herbe… »

M. Treillard, mis au courant, approuva le projet de Charles. Arthur lui parla avec enthousiasme de la Bretagne et de tout ce que son ami lui avait dit sur la région qu’ils allaient parcourir.

« Au moins, pensa M. Treillard, cela va lui faire apprendre la géographie ! »

Le soir même, en effet. Arthur se plongeait dans la lecture de l’ouvrage sur la Bretagne dont lui avait parlé son ami ; son père l’entendait s’écrier de temps en temps à mi-voix :

« Ah ! Ah ! Fameux. Très intéressant. »

On aurait dit qu’il découvrait la Bretagne.

De leur côté, dans leur petit appartement de la rue de l’Orangerie, Charles et son frère Louis s’entretinrent affectueusement du voyage. Charles se voyait déjà en possession du trésor ; Louis, tout en ne voulant pas le décourager, essayait de calmer son enthousiasme en lui laissant remarquer que M. Toupie avait assemblé beaucoup de difficultés dont il fallait triompher. De nombreux concurrents sans doute s’étaient mis à sa recherche ; peut-être l’un d’eux avait-il même déjà trouvé le trésor.


le plus vieil invité porta un toast enthousiaste aux voyageurs.

« Que feras-tu pendant mon absence ? demanda Charles qui se séparait de son frère avec quelque tristesse.

— J’ai plusieurs travaux en cours. Et puis, tu sais qu’en été beaucoup de mes confrères s’absentent : je serai là pour les remplacer.

— Tu ne prendras pas de vacances ! s’écria Charles.

— Mais si. Lorsque tu auras trouvé le trésor de M. Toupie, j’irai te rejoindre et nous ferons un petit voyage tous les deux. »

Enfin, le jour de la distribution des prix arriva.

Charles obtint de nombreuses récompenses, car il avait admirablement travaillé durant toute l’année, et ses dernières compositions en particulier avaient été excellentes. Arthur, qui avait fourni un effort beaucoup moins considérable, n’obtint que quelques accessits.

M. Treillard avait nommé Charles trésorier de l’expédition, mais il avait eu soin de remettre aussi une certaine somme à Arthur : il était imprudent de mettre tous les œufs dans le même panier. Si Arthur, par une de ces étourderies dont il était coutumier, s’égarait ou manquait un train, il fallait bien qu’il pût prendre un billet ou une voiture. D’autre part, il était convenu que M. Treillard ferait parvenir de l’argent aux voyageurs lorsqu’ils en auraient besoin ; Arthur devait envoyer chaque dimanche et chaque jeudi, soit une lettre, soit une carte postale à ses parents. Louis n’exigea rien de Charles : il savait qu’il lui écrirait souvent. Il lui donna au moment de partir une petite somme pour qu’il eût un peu d’argent à lui. Charles l’accepta en se promettant de la rendre intacte à son frère… et même considérablement grossie, si… si… Ah ! ce trésor de M. Toupie !

Les bagages des deux garçons consistaient en deux valises plates, assez grandes pour contenir les vêtements indispensables, mais faciles à manier. Il ne fallait pas être embarrassé par de gros colis pour aller d’un endroit à un autre. Sur chacune de leur bicyclettes qu’ils emportaient étaient fixées de très jolies musettes, cadeaux de Mme Treillard ; munies de belles courroies jaunes, elles pouvaient au besoin être portées en bandoulière.


« voilà ! voilà ! » s’écria arthur en bondissant hors de l’auto.

Arthur, pour fêter le départ, avait convié une vingtaine de camarades à venir goûter chez lui dans l’après-midi de la distribution des prix. Personne ne connaissait le but de leur voyage ; on savait seulement que Charles et Arthur allaient visiter la Bretagne. La réunion fut joyeuse. Tous ces garçons partaient, les uns pour une plage, les autres pour la campagne ou la montagne. Les soucis, les mauvaises places, les compositions ratées, les pensums, les retenues, tout s’était envolé et chacun se voyait libre pour plus de deux mois. On mangea force babas, force éclairs, force tartes aux cerises ; enfin on vida une coupe de champagne et le doyen des invités porta un toast à Charles et à Arthur.

« Chers amis, nous vous souhaitons beaucoup de plaisir, beaucoup d’aventures et beaucoup d’imprévu. Nous savons qu’avec Arthur on peut prévoir les choses les plus comiques, mais avec Charles nous sommes rassurés, car son esprit sage et pondéré remettra les choses d’aplomb.

« Vivent les voyageurs ! »

Tous, autour de la table où était servi le goûter, levèrent leurs verres en répétant : « Vivent les voyageurs ! »

Et l’on se sépara après beaucoup de démonstrations de cordialité.

Le départ des deux amis eut lieu le lendemain matin. Le train partait à 9 h. 45. Charles fut exact. D’une main il tenait sa valise, de l’autre il poussait sa bicyclette. Son frère l’avait accompagné et ils attendaient Arthur devant le contrôle, car les bicyclettes devaient être enregistrées ensemble. Mais on ne voyait pas arriver Arthur.

« Le voilà qui commence avec ses étourderies, s’écria Charles mécontent ; nous allons manquer le train !… Tous nos plans vont être bouleversés… Ah ! cet Arthur !

— Un peu de patience, répondit Louis en tirant sa montre, nous avons encore dix minutes. »

Tandis qu’il prononçait ces mots, une auto arrivait à toute allure et s’arrêtait au bord du trottoir.

M. Treillard en descendit vivement ; il prit la valise, le chauffeur se saisit de la bicyclette, et, suivis d’Arthur, ils se précipitèrent dans la gare. Arthur bondit de l’auto ; il tenait sa cravate d’une main, de l’autre son pardessus. Il mordait dans un petit pain.

« Ah ! j’étouffe, je n’ai pas fini ma toilette… papa m’a pris au collet… j’ai à peine eu le temps d’embrasser maman… je… je…

— Allons… voilà le bulletin de bagages… Charles, prenez-le, s’écriait M. Treillard qui, en un instant, avait fait enregistrer les bicyclettes… Allons… »

Tout en courant, les voyageurs gagnèrent le train ; déjà on fermait les portières.

M. Treillard poussa son fils dans un compartiment. Charles y grimpa à la suite. M. Treillard lui serra vigoureusement la main tout en lui criant, tandis que le train démarrait : « Si Arthur vous donne trop d’ennuis, renvoyez-le-moi ! »

Charles et Arthur, penchés à la portière, agitaient leurs casquettes.

« Au revoir ! Au revoir ! »

Ils virent bientôt disparaître M. Treillard, Louis et le chauffeur, qui riait encore en pensant à Arthur que son père avait littéralement sorti du lit et conduit à la gare à demi endormi.

Lorsque la gare se fut effacée à leurs regards, Arthur se laissa tomber sur la banquette en s’écriant :

« Ouf ! Je vais d’abord achever mon petit pain et…

— … finir de t’habiller, continua Charles en riant.

— Oui, tu as raison. Mais tu sais, je suis furieux parce que j’ai très mal dit adieu à maman.

— Et pourquoi ne t’es-tu pas levé plus tôt ?

— Parce que je ne me suis pas réveillé.

— Ça, c’est une raison ! » dit Charles en riant.

Tandis que ce dernier arrangeait ses bagages et se saisissait du Guide Bleu, Arthur acheva sa toilette tout en monologuant :

« Ce que tu es joliment ficelé, toi ! Tes bas sont bien tendus sur tes jambes. Et puis ils sont chics. Où les as-tu achetés ? À Paris, à la Vieille Angleterre, n’est-ce pas ? Et tes chaussures, elles reluisent comme le soleil… et bien lacées… Quant à ta ceinture, à ton col, à ta cravate, tout est correct… Tu vas avoir honte de ton ami Arthur… Non… parce que tu es un brave camarade… Ah ! ma cravate est-elle droite ? Tu n’as pas un miroir ? Moi, j’en avais un, seulement je l’ai cassé ce matin, en mettant le pied dessus… Merci, tu es bien gentil. »

Charles avait pris un miroir dans sa valise et l’avait fixé sur un des dossiers du wagon.

« Voilà… Maintenant, mes cheveux. Là, un bon coup de peigne et ça y est. Ma casquette en place… là… voilà. Comment la trouves-tu ? Moi, je préfère la tienne. Mais comme elle est grande !.…


arthur avait pris la casquette de son père.


Elle s’enfonce sur les oreilles… Oh ! la… là… c’est la casquette de papa que j’ai prise au lieu de la mienne… Oh ! sapristi… je suis ridicule… je ne peux pas la garder. »

Et Arthur regardait sa figure devenue tout à fait comique sous une casquette trop large.

« Écoute, à Rennes, nous achèterons une casquette ; tu comprends, je ne veux pas voyager nu-tête… À propos, n’est-ce pas, nous passons la nuit à Rennes ?

— Oui, mais le lendemain, départ pour Dol.

— Bah ! nous avons le temps… un jour de plus, un jour de moins, cela n’a aucune importance.

— Et le trésor ?

— Il ne s’envolera pas, tu peux en être certain.

— Et si un autre le découvre avant nous !

— Non, non… ne me dis pas cela, je ne dormirai plus… »

La journée se passa fort agréablement pour les deux jeunes gens. Ils déjeunèrent au wagon-restaurant, en face de deux jeunes Anglais qui allumèrent des cigarettes après le premier plat ; tous deux parlaient peu et mangeaient beaucoup.


charles et son frère louis examinèrent encore une fois
les conditions du concours
.

Au Mans, le train resta dix minutes en gare. Au moment du départ, Arthur n’était pas là ! Charles commençait à s’arracher les cheveux en se demandant ce qu’il devait faire, quand il s’entendit tout à coup appeler. C’était Arthur. Entendant le signal, il était monté dans un wagon de l’arrière du train et, pour regagner sa place, avait suivi la série des couloirs !

Dans le compartiment qu’occupaient Charles et Arthur, se trouvaient deux voyageuses qui tenaient en laisse un magnifique chien de berger belge. Ce chien était encore jeune et ne cessait de remuer. Naturellement il s’approcha de nos jeunes amis qui le caressèrent. Arthur ouvrit sa valise, en tira une boite de berlingots. Pendant ce temps, le chien devinant avec son flair que l’on cherchait quelque chose pour lui, ne perdait pas un mouvement d’Arthur. Il dressait ses oreilles, penchait la tête de côté et, lorsque la valise fut posée sur la banquette, il se dressa et appuya ses pattes à côté de la mallette. Ses maîtresses tirèrent sur sa laisse, mais il résista ; alors elles le saisirent par son collier.

« Pardon, mesdames, dit Arthur en ôtant sa casquette, permettez-moi de donner un berlingot à votre chien ?

— Oh ! nous sommes confuses ! Dick est tellement gourmand !

— Il a bien raison, comme moi ».

Arthur avait trouvé la boîte ; il eut beaucoup de peine à l’ouvrir. Le chien continuait à suivre son manège avec un vif intérêt.

Tout à coup le couvercle de la boîte céda brusquement et une partie des berlingots se répandit à terre.

Le chien fit un violent effort, celle des voyageuses qui tenait sa laisse la lâcha et le bon Dick, en quelques bouchées, avala tous les bonbons tombés dans tous les coins du compartiment.

« Mais, s’écria Arthur, tu avales trop vite, mon vieux, beaucoup trop vite ; tu vas étouffer… D’ailleurs tu n’en auras plus d’autres. »

Le chien remuait la queue d’un air indifférent : il savait bien que toute la boîte ou presque serait pour lui.

Les voyageuses et le chien descendirent à Laval ; le chien fit de tendres adieux à Arthur et, tandis qu’il s’éloignait sur le quai, il tournait sans cesse la tête pour regarder si son nouvel ami ne le suivait pas.

« Adieu ! » s’écria Arthur en agitant sa main à la portière. Puis il reprit sa place dans le compartiment.

De nombreux voyageurs étaient montés ; ils circulaient dans le couloir, tenant à la main des valises, des cannes et des parapluies, et chacun voulait avancer, augmentant l’encombrement. Bientôt, il fut impossible de se diriger d’un côté ou de l’autre.

Jusqu’à Rennes, le wagon resta au complet. Les deux garçons parlaient peu. Ils regardaient le paysage qui se déroulait sous leurs yeux. Charles avait recommandé à Arthur de ne pas trop parler du trésor de M. Toupie devant les voyageurs, car l’on ne pouvait jamais savoir à côté de qui on se trouvait et il était inutile de fournir des précisions à des gens qui le cherchaient peut-être eux aussi.

Les deux jeunes garçons arrivèrent, le soir, à six heures, à Rennes. M. Treillard avait retenu par télégramme pour eux une chambre à l’hôtel d’Angleterre. Le portier regarda avec quelque étonnement ces deux jeunes garçons chargés de deux valises et de deux bicyclettes.

Dès qu’ils furent installés dans leur chambre, et en attendant l’heure du dîner, Arthur courut acheter une casquette.

Un magasin était encore ouvert et il trouva ce qu’il souhaitait ; il revint en courant à l’hôtel où Charles l’attendait. Il monta dans sa chambre pour se laver les mains, et en redescendant il n’avait plus de casquette ! Impossible de la retrouver !

l’avait-il mise ? Il ne se rappelait plus. Tous les garçons se mirent à la chercher, mais elle resta introuvable. Arthur riait aux larmes de l’aventure, mais Charles, malgré son envie de prendre la chose gaîment, déclara à son camarade que, désormais, l’achat de ses casquettes serait pris sur son argent de poche et non sur celui du voyage.

La grande salle du restaurant de l’hôtel était pleine. Il y avait quelques familles avec de jeunes lycéens qui partaient en vacances, des habitants des environs, venus à Rennes pour un marché important. Ce qui amusait particulièrement Arthur c’était de commander les repas. Il voulait composer les menus les plus bizarres, car nos amis, dans leur enthousiasme au début de ce passionnant voyage, s’offrirent le luxe de manger « à la carte » ! De là de vives contestations entre les deux amis. Après la confection du menu, ils se divertirent fort à contempler l’animation de la salle.

« Crois-tu que, parmi ces voyageurs, il y en ait qui cherchent le trésor de M. Toupie ? souffla tout bas Arthur à Charles.

— Peut-être…, peut-être ce jeune garçon qui se trouve avec ce monsieur tout rasé, là-bas, au fond de la pièce.

— Peut-être M. Toupie est-il lui-même ici ?

— Si c’était ce vieux monsieur qui est assis dans le coin auprès d’une dame âgée ?

M. Toupie doit être célibataire.

— Pourquoi ? dit Arthur tout étonné.

— Parce que l’on ne peut penser à organiser un concours comme le sien que lorsqu’on est seul au monde. »

Cette pensée, aussi profonde que philosophique, plongea Arthur dans un abîme de réflexions.

Les deux amis se couchèrent très tôt, car ils étaient un peu fatigués. Charles écrivit un mot à son frère pour lui annoncer sa bonne arrivée et Arthur adressa une lettre bien tendre à sa mère.

« Tout de même, pensait-il, ce matin papa m’a un peu trop pressé et je n’ai pas assez embrassé maman en partant. »