Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 10

Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 66-69).
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X.

La Foi qui sert de fondement à toutes les Religions n’est qu’un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures. Voici comme je m’y prends. Toute Religion qui pose pour fondement de ses mistères et qui prend pour règle de sa Doctrine et de sa Morale un principe d’erreurs, d’illusions, d’impostures et de divisions éternelles parmi les hommes, ne peut être une véritable Religion, ni être veritablement d’institution divine, or toutes les Religions et principalement la Religion Chretienne posent pour fondement de leurs mistères et prennent pour règle de leur Doctrine et de leur Morale un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures. Donc etc. je ne vois pas que l’on puisse nier la prémière Proposition de cet argument, elle est trop claire et trop évidente pour pouvoir en douter. Je passe donc à la preuve de la seconde, qui est que toutes les Religions et principalement la Religion Chrétienne posent pour fondement de leurs mistères et prennent pour règle de leur Doctrine et de leur morale un principe d’erreur, d’illusion et d’imposture ; c’est ce qu’il me paroit assez facile de faire clairement voir ; car il est visible et constant que toutes les Religions et principalement la Chrétienne posent pour fondement de leurs mistères et prennent pour règle de leur Doctrine et de leur morale ce qu’ils appellent la Foi, c’est à dire une croïance aveugle, mais cependant une croïance ferme et assurée de quelque Divinité, comme aussi une croïance aveugle mais ferme et assurée de quelques loix ou de quelques révélations divines. Et il faut nécessairement qu’elles la suposent ainsi ; car c’est cette croïance de quelque Divinité et de quelque révélation divine, qui leur donne tout le crédit et toute l’autorité qu’elles ont dans le monde, sans quoi on ne feroit aucun état de ce qu’elles enseigneroient ni de ce qu’elles ordonneroient de faire et de pratiquer. C’est pourquoi il n’y a point de Religion qui ne recommande par dessus tout à ses sectateurs d’être fermes dans leur foi ; c’est à dire d’être fermes et immobiles dans leur croïance. De là vient que tous les Deicoles et principalement nos Christicoles tiennent pour maxime que la foi est le commencement et le fondement du salut et qu’elle est la racine de toute justice et de toute sanctification, comme il est marqué dans le Concile de Trente[1]. Ils disent que sans la Foi il est impossible de plaire à Dieu ; d’autant qu’il faut, ajoutent-ils, que celui qui veut s’aprocher de Dieu, croïe prémiérement qu’il y a un Dieu et qu’il recompensera ceux qui le cherchent[2]. Il est donc visible et constant, comme j’ai dit, que toutes les Religions et principalement la Religion Chrétienne posent pour fondement de leurs mistères et prennent pour règle de leur Doctrine et de leur Morale la Foi, qui est, comme j’ai dit, une croïance de quelque Divinité et même une croïance aveugle de quelques loix ou de quelques révélations divines ; elles veulent même que cette croïance soit ferme et assurée afin que leurs sectateurs ne se laissent pas facilement aller au changement.

Cette croïance néanmoins est toujours aveugle ; parceque les Religions ne donnent et ne sauroient même donner aucune preuve claire, sure et convaincante de la vérité de leurs prétendus saints mistères, ni de leurs prétendues révélations divines. Elles veulent que l’on croïe absolument et simplement tout ce qu’elles en disent, non seulement sans en avoir aucun doute, mais aussi sans rechercher, même sans désirer d’en connoitre les raisons : car ce seroit, selon elles, une impudente temerité et un crime de lêze Majesté Divine, de vouloir curieusement chercher des raisons et des preuves de ce qu’elles enseignent, et de ce qu’elles obligent de croire, comme venant de la part de Dieu, alléguant pour toute raison cette maxime qu’ils tirent d’un de leurs prétendus saints Livres, et qu’ils regardent comme une sentence formidable, où il est dit que ceux qui veulent trop éplucher et trop sonder les secrets de la Divine Majesté de Dieu, se trouveront oprimés par l’éclat de sa gloire[3]. Qui scrutator est Majestatis oprimetur â gloriâ. La Foi[4], disent nos pieux Christicoles, est le soutient des choses qu’ils espérent, et la raison persuasive de celles qu’ils ne voïent point. Leur foi, suivant ce qu’ils disent, n’auroit point de mérite, si elle s’apuïoit sur l’expérience des sens et sur des raisonnemens humains. Le plus pressant et le plus puissant motif, selon eux, de croire les choses les plus incompréhensibles et les plus incroïables, est de n’en avoir point d’autre que celui de leur foi, qui est, comme j’ai dit, une croïance aveugle de tout ce que la Religion les oblige de croire. De-là vient qu’ils tiennent encore pour maxime qu’il faut renoncer à cet égard à toutes les lumières de la Raison et à toutes les aparences des sens pour captiver leur esprit sous l’obéissance de leur Foi. En un mot ils tiennent que pour croire fidèlement, il faut croire aveuglement, sans raisonner et sans vouloir chercher des preuves. Or il est évident qu’une croïance aveugle de tout ce qui se propose sous le nom et l’autorité de Dieu, est un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures ; puisque l’on voit effectivement qu’il n’y a aucune erreur, aucune illusion, aucune imposture en matière de Religion qui ne prétende se couvrir du nom et de l’autorité de Dieu, et qu’il n’y a aussi aucun des imposteurs qui les inventent ou proposent, qui ne se disent tous particuliérement inspirés et envoïés de Dieu. Donc toutes les Religions posant pour fondement de leurs mistères et prenant toutes pour régle de leur Doctrine et de leur Morale qu’il faut croire aveuglement tout ce qu’elles proposent de la part de Dieu, elles posent pour fondement de leurs mistères et prennent pour règle de leur Doctrine et de leur Morale un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures : Donc etc.


  1. Sess. 6. ch. 8.
  2. Hebr. 11 : 6.
  3. Prov. 25, 27.
  4. Hebr. 11 : 1.