Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 11

Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 70-76).
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XI.
Elle n’est aussi qu’une source et une cause fatale de troubles et de divisions éternelles parmi les hommes.

Et non seulement cette foi ou cette croïance aveugle qu’elles posent pour fondement de leur Doctrine et de leur Morale, est un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures, mais est aussi une source funeste de troubles et de divisions éternelles parmi les hommes : car comme ce n’est point par raison, mais plutôt par opiniatreté qu’ils s’attachent les uns et les autres à la croïance de leur Religion et de leurs prétendus saints mistères, et qu’ils croïent aveuglément chacun de leur part être au moins aussi bien fondés que les autres dans leur croïance, et dans le maintient de leur Religion, et que cette croïance aveugle qu’ils ont chacun de leur côté de la prétendue verité de leur Religion, les oblige de regarder toutes les autres comme fausses, et qu’elle les oblige même à maintenir chacun la leur au péril de leurs vies et de leurs fortunes et aux dépens de tout ce qu’ils auroient de plus cher : c’est ce qui fait qu’ils ne peuvent s’accorder entr’eux, sur le fait de leur Religion, et qu’ils ne s’y accorderont jamais : et c’est ce qui cause aussi perpétuellement entr’eux, non seulement des disputes et des contestations verbales, mais aussi des troubles et des divisions funestes. C’est pourquoi aussi on voit tous les jours qu’ils se persécutent les uns les autres à feu et à sang pour le maintient de leurs folles croïances et Religions, et qu’il n’y a point de maux et de mechancetés qu’ils n’exercent les uns contre les autres, sous ce beau et spécieux prétexte de défendre et de maintenir la prétendue verité de leur Religion, les foux tous autant qu’ils sont ! Voici ce que dit le Sr. de Montagne[1] sur ce sujet : » il n’est point, dit-il, d’hostilité excellente comme la Chrétienne. Notre zèle, dit-il, fait merveille, quand il va secondant notre pante vers la Haine, la Cruauté, l’Ambition, l’Avarice, la Détraction, la Rébellion. À contrepoil, continue-t’-il, vers la bonté, la bégnité, la tempérance, si, comme par miracle, quelque rare complexion ne s’y porte, il ne va ni de pié, ni d’aîle. Notre Religion, ajoute-t’-il, est faite pour extirper les vices, elle les couvre, les nourrit, les incite.” En effet on ne voit point de guerres si sanglantes et si cruelles que celles qui se font par un motif ou par un prétexte de Religion : car pour lors chacun s’y porte aveuglement avec zèle et avec fureur et chacun tâche de faire de son Ennemi un sacrifice à Dieu, suivant ce dire d’un Poëte[2] inde furor vulgo, quod numina vicinorum odit uterque locus, quum solos credat habendos esse Deos quos ipse colit ; jusqu’où les Hommes ne se portent-ils pas, dit Mr. de la Bruyère[3] pour l’intérêt de la Religion dont ils sont si peu persuadés et qu’ils pratiquent si mal.

Cet argument me paroit jusqu’ici tout évident ; or il n’est pas croïable qu’un Dieu Tout-puissant qui seroit infiniment bon et infiniment sage, voudrait jamais se servir d’un tel moïen, ni d’une voïe si trompeuse que celle-là pour établir ses loix et ses ordonnances, ou pour faire connoitre ses volontés aux Hommes ; car ce seroit manifestement vouloir les induire en erreurs, et vouloir leur tendre des piéges, pour leur faire prendre aussitot le parti du mensonge que celui de la verité. Ce qui n’est constamment pas croïable d’un Dieu, qui seroit tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage. Pareillement il n’est pas croïable qu’un Dieu, qui aimeroit la paix et l’union, qui aimeroit le bien et le salut des hommes, tel que seroit un Dieu infiniment parfait, infiniment bon et infiniment sage, et que nos Christicoles eux-mêmes qualifient de Dieu de paix, de Dieu d’amour, de Dieu de charité, de Père de miséricorde et de Dieu de consolation etc., il n’est pas croïable, dis-je, qu’un tel Dieu auroit jamais voulu établir et mettre pour fondement de Religion une source si fatale et si funeste de troubles et de divisions éternelles parmi les Hommes, comme est cette croïance aveugle dont je viens de parler, laquelle seroit mille et mille fois plus funeste aux Hommes, que ne fut jamais cette pomme d’or que la Déesse Discorde jetta malicieusement dans l’Assemblée des Dieux aux nôces de Pélée et de Thetis, et qui fut cause de la ruine de la ville et du Roïaume de Troïe, suivant le dire des Poëtes.

Donc des Religions qui posent pour fondement de leurs mistères et qui prennent pour règle de leur Doctrine et de leur Morale une croïance aveugle ; qui est un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures, et qui est encore une source fatale de troubles et de divisions éternelles parmi les Hommes, ne peuvent être véritables, ni avoir été veritablement instituées de Dieu, et comme toutes les Religions posent pour fondement de leurs mistères et prennent pour règle de leur Doctrine et de leur Morale une croïance aveugle, comme je viens de le montrer, il s’en suit evidemment qu’il n’y a aucune véritable Religion, et qu’il n’y en a même aucune qui soit véritablement d’institution divine, et par conséquent j’ai eu raison de dire qu’elles étoient toutes des inventions humaines et que tout ce qu’elles veulent persuader des Dieux, de leurs loix et de leurs ordonnances ou de leurs mistères, et de leurs prétendues révélations, ne sont que des erreurs, des illusions, des mensonges et des impostures. Tout cela suit évidemment.

Mais je vois bien que nos Christicoles ne manqueront pas de recourir ici à leurs prétendus motifs de crédibilité, et diront que quoique leur Foi ou leur Croïance soit aveugle en un sens, elle ne laisse pas néanmoins d’être apuïée et confirmée par tant de si clairs, si sûrs et si convaincans témoignages de vérité, que ce seroit non seulement imprudence, mais aussi une témérité et une opiniâtreté et même une folie très-grande de ne vouloir pas se rendre. Ils réduisent ordinairement tous ces prétendus motifs de crédibilité à trois ou quatre chèfs.

Le premier ils le tirent de la pureté et de la prétendue sainteté de leur Religion qui condamne, disent-ils, toutes sortes de vices, et qui récompense la pratique de toutes les vertus. Sa Doctrine est si pure et si sainte, à ce qu’ils disent, qu’il est visible par-là qu’elle ne peut venir que de la pureté et de la sainteté d’un Dieu infiniment bon et infiniment sage.

Le second motif de crédibilité ils le tirent de l’innocence et de la sainteté de ceux qui l’ont prémiérement embrassée avec tant d’amour, de ceux qui l’ont avancée avec tant de zèle, qui l’ont maintenue si constamment et qui l’ont si genereusement défendue au péril de leur vie, jusqu’à l’effusion de leur sang, et même jusqu’à souffrir la mort et les plus cruels tourmens, plutôt que de l’abandonner, n’étant pas croïable, disent nos Christicoles, que tant de si grands personnages, si saints, si sages, si éclairés, se seroient laissé tromper dans leur croïance, ou qu’ils auroient voulu renoncer, comme ils ont fait, à tous les plaisirs, à tous les avantages et à toutes les commodités de la vie et s’exposer encore eux-mêmes à tant de peines et de travaux, et même à tant de si rigoureuses et cruelles persecutions, pour maintenir seulement des erreurs et des impostures.

Ils tirent leur troisième motif de crédibilité des Profêtes et des Oracles qui ont été en différens tems, et depuis si longtems rendus en leur faveur, tous lesquels oracles et Propheties se trouvent, à ce qu’ils disent, si manifestement et si clairement accomplis dans leur Religion, qu’il n’est pas possible de douter que ces oracles et prophéties ne viennent véritablement d’une inspiration et d’une révélation toute divine, n’y aïant qu’un seul Dieu qui puisse si clairement et si sûrement prévoir et prédire les choses futures.

Enfin leur quatrième motif de crédibilité, et comme le principal de tous se tire de la grandeur et de la multitude de miracles et prodiges extraordinaires et surnaturels, qui ont été faits en tout tems et en tous lieux en faveur de leur Religion, comme sont par exemple de rendre la vûë aux aveugles, l’ouië aux sourds, faire parler les muèts, faire marcher droit les boiteux, guérir les paralitiques et les démoniaques et généralement guérir toutes sortes de maladies et d’infirmités en un moment et sans apliquer aucun remède naturel, et même ressusciter les morts, et enfin faire toutes sortes d’autres œuvres miraculeuses et surnaturelles, qui ne se peuvent faire que par une Puissance toute divine ; lesquels miracles et prodiges sont, comme disent nos Christicoles, des motifs et des témoignages si clairs, si sûrs et si convaincans de la vérité de leur croïance, qu’il n’en faut point chercher davantage pour se persuader entièrement de la vérité de leur Religion ; en sorte qu’ils regardent non seulement comme une imprudence, mais aussi comme une opiniâtreté et comme une témérité et même comme une très-grande folie de penser seulement à vouloir contredire tant de si clairs et de si convaincans témoignages de vérité. C’est une grande folie, disoit un fameux personnage d’entr’eux[4], c’est une grande folie de ne pas croire à l’Évangile, dont la doctrine est si pûre et si sainte, dont la vérité a été publiée par tant de si grands, si doctes, et si saints personnages, qui a été signée par le sang de tant de si glorieux martyrs, qui a été embrassée par tant de si pieux et si savans docteurs, et qui a été enfin confirmée par tant de si grands et si prodigieux miracles, qui ne peuvent avoir été faits que par la toute-puissance d’un Dieu. À l’occasion de quoi un autre fameux personnage[5] d’entr’eux adressoit hardiment ces paroles à son Dieu. Seigneur, lui disoit-il, si ce que nous croïons de vous, est erreur, c’est vous même qui m’avez trompé ; car tout ce que nous croïons, disoit-il, a été confirmé par tant de si grands et si prodigieux miracles, qu’il n’est pas possible de croire qu’ils aïent pû avoir été faits par d’autres que par vous.


  1. Essai de Montagne, p. 408.
  2. Juv. Sat. 15. 36.
  3. Caractère, p. 573.
  4. Pic de la Mirand.
  5. Rich. de S. Victor.