Ernest Flammarion (p. 209-212).
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V

Pour toi chaque cérémonie avait sa raison d’être et son sens propre. Elles n’étaient pas de vains simulacres, ni un déploiement de pompe destiné seulement à frapper les yeux et l’imagination. Elles s’adressaient surtout à nos âmes. Mais tu te serais fait scrupule de ne point préparer selon les rites exactement tout ce qui était nécessaire à leur célébration.

Baptêmes, mariages et enterrements te trouvaient à ton poste, toujours attentif et grave. Que ce fût un enfant qui entrât dans le sein de l’Église, ou un vieillard que l’on conduisît au cimetière, tu étais là. Ainsi tu savais ce qui se passait dans chaque famille et les voyais tous, chacun à son heure, le visage rose de joie ou blanc de tristesse. Tous les enfants étaient baptisés, et il y avait excessivement peu de mariages et d’enterrements civils. Une vie humaine s’ouvrait et se fermait comme un livre sous le regard de Dieu.

Mais tu ne les connaissais pas seulement pour les voir à l’église. Lorsqu’il le fallait, tu te rendais chez eux, que ce fût dans la petite ville ou dans les villages. Aux mourants le vicaire portait l’Extrême-Onction. Il disait, en entrant :

Pax domui huic, et omnibus habitantitibus in ea.

Et c’était presque toujours une pauvre maison d’ouvriers, puisque les bourgeois qui vivent de leurs rentes ne sont pas nombreux chez nous. C’était une maison faite d’une seule pièce, avec deux lits contre le mur du fond. Dans un de ces lits un homme ou une femme geignait, tout en se rappelant certains cas miraculeux où des moribonds avaient été sauvés par l’application des huiles consacrées. Lorsque tout n’était pas préparé, tu donnais les indications nécessaires. Il fallait une nappe blanche sur un guéridon ou sur un coin de table, une bougie allumée, un crucifix, de l’eau bénite et une branche de buis bénit dans un verre. Quelquefois on allait chercher tout cela chez les voisins. Et le malade continuait de se plaindre. Et tu pensais qu’un jour viendrait où il en serait de même pour toi, mais chez nous tout serait prêt bien avant l’heure. La cérémonie terminée on regardait le malade pour découvrir sur ses traits l’expression d’un mieux immédiat et sensible. Il y avait un instant de détente. On se reprenait à espérer. La paix était entrée dans la maison et dans les âmes de tous ceux qui l’habitaient.

Durant les deux semaines d’après Pâques, tu allais dans les villages, marchant à cinq pas en avant du vicaire en surplis qui « portait le Bon Dieu » aux vieux et aux vieilles sans forces pour venir faire leurs Pâques à l’église. De toute l’année, c’étaient tes seules promenades. Encore ne le faisais-tu que pénétré du sentiment de la présence réelle de Dieu que tu précédais. Comme si c’eût été la nuit, tu portais de la main gauche la lanterne ronde où brûlait une bougie, tandis que ta droite, tout le temps que vous mettiez à traverser la petite ville, agitait la sonnette. Des femmes, sur votre passage, se mettaient à genoux à l’endroit même où elles se trouvaient, avant que vous ne fussiez arrivés à leur hauteur. Après, c’étaient les bois, les champs et les près où, selon les hasards des années, il restait de la neige, bien que les cloches de Pâques eussent proclamé le retour du printemps. Parfois sur la route vous rencontriez des paysans ; d’autres, parfois, de leurs champs où ils étaient occupés à « rouler » leurs blés, vous apercevaient. D’ailleurs tu sonnais pour les avertir. Et, se découvrant, ils s’agenouillaient sur la terre molle et noire de leurs sillons. Et le vent du matin gonflait le surplis blanc du vicaire, mais il n’avait pas raison de la flamme de la bougie qui, sur la route des hommes, traçait, comme une étoile, l’autre route de Dieu.