Plon (4p. 21-23).


VII


Un jour, son cheval, qui marchait depuis le matin, mit le pied dans un trou et tomba si malheureusement, tant il était recru, qu’il se rompit le cou. Perceval se releva meurtri, mais sans grand mal, et reprit son chemin à pied. Il alla ainsi jusqu’à la nuit, et comme il se sentait très las, et qu’il ne voyait ni abri ni maison, il s’étendit sous un arbre et s’endormit.

Or, à minuit, il s’éveilla : devant lui se tenait une femme, on ne peut plus belle et avenante, qui lui demanda ce qu’il faisait là.

— Ni bien ni mal, répondit-il, mais, si j’avais un cheval, je m’en irais volontiers.

— Qu’à cela ne tienne ! Je vais t’amener le plus beau destrier qui soit.

Perceval accepta, car il était simple de cœur et ne songeait pas à malice : et la femme rentra dans l’ombre, puis en ressortit presque aussitôt, menant en main un grand cheval, le mieux fait et le plus richement harnaché qu’on ait jamais vu ; sachez en effet que le frein et les étriers en étaient de fin or et les arçons d’ivoire tout gemmé de pierreries et émaillé de fleurettes ; mais l’œil luisait comme un charbon ardent et la robe était si finement noire que c’était merveille de la voir.

D’abord qu’il aperçut ce destrier, Perceval éprouva une sorte d’horreur : mais, preux comme il était, il sauta en selle hardiment, piqua des deux et le cheval partit comme un carreau d’arbalète, de manière qu’en peu de temps il fut bien loin de la forêt. La lune luisait claire et Perceval s’ébahissait à voir passer si vite les bois et les champs ; mais, quand il se trouva à l’entrée d’une obscure vallée au fond de laquelle miroitait un lac noir, et qu’il aperçut que le destrier volait droit vers cette eau sur quoi n’était ni pont ni planche, il eut si grand peur qu’il leva la main et se signa. Aussitôt l’Ennemi, chargé du poids de la Croix qui était trop lourd pour lui, poussa un hurlement épouvantable et jeta son cavalier à terre, puis il sauta dans le lac qui brasilla et d’où jaillirent flammes et étincelles : tel un bûcher ardent où tombe une pierre. Par quoi Perceval le Gallois comprit que c’était le diable qui l’avait emporté.

Il s’écarta de l’eau le plus qu’il put, afin d’échapper aux assauts des démons, s’agenouilla et, tendant les mains vers le ciel, remercia Dieu de bon cœur. Jusqu’à l’aube, il pria de la sorte ; mais, quand le soleil eut fait son tour au firmament et que le jour clair et beau eut abattu la rosée, il se remit en marche vers l’Orient.