Plon (4p. 23-26).


VIII


Il chemina tant qu’à vêpres, il arriva près d’une maison forte où il fut très bien hébergé. Le lendemain, il fut entendre la messe, et comme il sortait de la chapelle, il s’entendit appeler par son nom. Il s’approcha d’une petite fenêtre d’où venait la voix et aperçut une recluse : à peine l’eût-on crue vivante, tant elle était maigre et desséchée.

— Perceval, Perceval, lui dit-elle, je sais bien qui vous êtes ! Ne me reconnaissez-vous pas ?

— Non, dame, par ma foi !

— Sachez que je suis votre tante. Jadis j’étais une des riches dames de ce monde, et pourtant cette richesse ne me plaisait point autant que la pauvreté où vous me voyez à cette heure.

Perceval alors lui demanda des nouvelles de sa mère dont il ignorait si elle était morte ou vive, car il ne l’avait pas vue depuis très longtemps.

— Beau neveu, dit la recluse, jamais plus vous ne la rencontrerez, si ce n’est en songe, car elle mourut de chagrin après votre départ pour la cour du roi Artus.

— Notre Sire ait pitié de son âme ! répondit Perceval. Certes la perte que j’en ai faite me chagrine cruellement. Mais, puisque Dieu l’a voulu, il me la faut souffrir ; ma mère est à présent où il nous faudra tous venir.

Ce disant, des larmes lui tombaient des yeux, très grosses. Au bout d’un moment il ajouta :

— Dame, je suis en quête du Saint Graal, qui est chose si célestielle que je voudrais bien le conseil de Dieu : ne m’en pourriez-vous dire quelque chose ?

— Beau neveu, c’est la plus haute quête qui ait jamais été entreprise, et il y aura tant d’honneur pour celui qui la mènera à bonne fin que nul cœur d’homme ne le saurait concevoir. Sachez qu’il y a eu en ce monde trois tables principales. La première fut celle où le Sauveur fit la sainte Cène avec les apôtres, celle qui porta la nourriture du ciel, propre aux âmes comme aux corps, et qui fut établie par l’Agneau sans tache, sacrifié pour notre rédemption.

« La deuxième fut fondée par Joseph d’Arimathie à l’image de la première : ce fut la table du Saint Graal ; et il s’y trouvait un siège qui avait été fait en mémoire de celui où Jésus-Christ s’assit le jour de la Cène et où jamais nul ne prit place depuis Moïse l’impudent, qui fut englouti dans la terre.

« La troisième fut établie par le conseil de Merlin en l’honneur de la sainte Trinité et elle eut nom la Table ronde pour signifier la rondeur du monde ; aussi voit-on que les chevaliers de la Table ronde sont venus de toutes les contrées où fleurit la chevalerie, soit en chrétienté, soit en payennerie ; et tous ceux qui y sont admis y siègent égaux, sans nulle préséance. Mais, comme l’a prédit Merlin, personne ne pourra s’asseoir au siège périlleux sans risquer le sort de Moïse, hormis le vrai chevalier, le promis, le désiré, qui conquerra la vérité du Saint Graal.

« Notre Sire a voulu que Galaad fût celui-là. Et je vous dirai pour quelle raison les portes et les fenêtres du palais se fermèrent d’elles-mêmes avant qu’il apparût à la cour et pourquoi ses armes étaient vermeilles. Le Sauveur promit à ses apôtres durant sa Passion qu’il les viendrait visiter : c’est pourquoi, le jour de la Pentecôte, comme ils étaient réunis dans une maison dont tous les huis étaient clos, le Saint Esprit descendit sous la semblance d’une flamme pour les réconforter, et il les envoya par les terres étrangères prêcher le nom de Dieu et enseigner les saints Évangiles. De même, le vrai chevalier vint sous des armes couleur de feu, et il entra dans la salle bien que toutes les portes en fussent closes, et ce même jour fut entreprise la quête du Graal.

« Sachez que Galaad la mènera à bien, accompagné de deux chevaliers, dont l’un sera vierge et l’autre chaste. Bohor de Gannes sera celui-ci. Vous serez l’autre si vous vous gardez de l’Ennemi et maintenez votre corps net de toute tache de luxure, comme il est à cette heure. Sinon vous perdrez, comme Lancelot, l’honneur d’être compagnon de la Table du Saint Graal. »

Perceval répondit qu’ainsi ferait-il s’il plaisait à Dieu ; et il demeura tout le jour avec sa tante. Mais le lendemain, après la messe, il prit congé et, monté sur un bon destrier qu’on lui avait donné, il s’en fut par la haute forêt.