Plon (4p. 17-21).


VI


Quelques jours plus tard, il parvint au sommet d’un coteau. C’était, par un matin d’été, quand l’alouette s’amuse à crier à voix pure. Le temps était beau et clair, le jour resplendissait : le chevalier s’arrêta à écouter le merle et la pie, et, comme il regardait la plaine alentour, il aperçut, au pied de la colline, un fort château entouré d’une rivière grosse et rapide. Il se mit en devoir de s’y rendre ; mais, lorsqu’il en approcha, sept demoiselles très bien voilées vinrent à sa rencontre.

— Sire chevalier, dit l’une d’elles, ignorez-vous que cette rivière est l’Averne et cette forteresse le châtel aux Pucelles ? Sachez que toute pitié en est absente. Vous feriez mieux de retourner sur vos pas, car ici vous ne récolteriez que honte.

À cela Galaad ne répondit mot ; mais il s’assura que rien ne manquait à ses armes, et continua d’avancer à grande allure. Alors sept chevaliers sortirent du château.

— Gardez-vous de nous, lui cria l’un d’eux, car mes frères et moi, nous ne vous assurons que de la mort.

— Comment ? Voulez-vous jouter contre moi tous les sept à la fois ?

Déjà ils s’élançaient, et leurs sept lances heurtèrent ensemble son écu sans l’ébranler sur sa selle, mais si rudement qu’ils arrêtèrent net son cheval. Pour lui, il abattit celui auquel il s’était adressé ; puis il fit briller son épée et courut sus aux autres, frappant de telle force qu’il n’était d’armure qui pût garantir de ses coups. Ainsi dura la mêlée, et tant que les sept frères, qui étaient pourtant d’une grande prouesse, se trouvèrent si las et mal en point qu’ils ne pouvaient presque plus se défendre. Galaad, au contraire, était aussi frais qu’en commençant, car l’histoire du Graal témoigne qu’on ne le vit jamais fatigué pour travail de chevalerie qu’il eût fait. En sorte que les sept chevaliers, voyant qu’ils ne pouvaient plus durer contre lui, ils s’enfuirent. Et sachez qu’il ne les poursuivit point.

Quand il fut entré dans le château, il y vit errer des pucelles en si grand nombre qu’il n’aurait su les compter. Et, toutes, elles étaient pareillement vêtues de camelot noir et voilées de lin blanc.

— Sire, disaient-elles, soyez le bienvenu, car nous vous avons longtemps attendu ! Dieu soit béni, qui vous a conduit ici ! On doit comparer votre venue à celle de Jésus-Christ, car les prophètes avaient annoncé celle du Sauveur, mais les moines prédisent la vôtre depuis plus de vingt ans.

Cependant, l’une d’elles lui présentait un cor d’ivoire à bandes d’or richement ouvrées, et le priait d’en sonner. Il dit qu’il ne le ferait point avant que de savoir d’où venait la mauvaise coutume du lieu.

— Il y a sept ans, lui répondit-on, les sept frères que vous avez vaincus vinrent s’héberger dans ce château, en compagnie du duc Linor qui en était seigneur. La nuit, ils voulurent prendre de force la fille de leur hôte et, parce qu’il s’y opposait, ils le tuèrent. Puis ils obligèrent tous ceux du pays à leur rendre hommage. « Seigneurs, leur prédit un jour la fille du duc, vous avez gagné cette forteresse à l’occasion d’une femme, mais vous la perdrez de même. Et vous serez vaincus tous sept par le corps d’un seul chevalier. » Dont ils eurent grand dépit : ils jurèrent qu’il ne passerait point une pucelle qu’ils ne retinssent, et cela jusqu’à ce qu’un chevalier les eût menés tous les sept à merci. C’est depuis ce temps qu’on a nommé cette forteresse le châtel aux Pucelles.

Alors Galaad prit le cor d’ivoire et il en sonna si haut qu’on l’entendit bien à dix lieues à la ronde, en sorte que, peu après, les vassaux du château commencèrent d’arriver. Il leur fit rendre hommage à la fille du duc Linor et jurer sur les reliques qu’ils renonceraient à la mauvaise coutume établie par les sept frères. Après quoi les pucelles prisonnières partirent, chacune pour son pays.

Le lendemain, quand il eut entendu la messe, Galaad s’éloigna à son tour. Et bientôt, dans la forêt, il remarqua un chêne, le plus haut, le plus ancien, le plus feuillu qu’il eût jamais vu : à sa cime l’arbre portait une croix, et sous ses feuilles des oiseaux chantaient si mélodieusement que c’était merveille, tandis que deux petits enfants tout nus, on ne peut plus beaux, âgés de sept ans ou environ, jouaient et couraient de branche en branche. Galaad les conjura au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, de lui dire s’ils étaient de Dieu.

— Doux ami, répondirent-ils, nous sommes de par Dieu ; nous venons de ce Paradis terrestre d’où Adam fut chassé, afin de t’enseigner la signifiance de ce qui t’est advenu. Sache que par le château des Pucelles tu dois entendre l’enfer. Ces pucelles, ce sont les bonnes âmes qui y étaient enfermées à tort avant la venue du Sauveur, et les sept chevaliers sont les sept péchés capitaux qui, alors, régnaient sans droit sur le monde. Tout de même que le Père des cieux envoya son Fils sur terre pour délivrer les bonnes âmes, ainsi il te manda comme son chevalier et sergent pour mettre en liberté ces pucelles, qui sont pures et nettes autant que fleurs de lys qui n’ont senti la chaleur du jour. Maintenant, prends cette route, à droite, devant toi.

Là-dessus, les enfants disparurent, et avec eux le chêne et la croix. Et Galaad se demandait s’il n’avait pas été trompé par l’Ennemi, lorsqu’une grande ombre passa et repassa devant lui plus de sept fois : il se signa, sentant son cheval trembler de peur sous lui, et tout aussitôt une Voix sortit de l’ombre et lui enjoignit de croire les enfants. Alors il prit la route qui lui était assignée.

Mais le conte laisse pour un moment de parler de lui, voulant dire ce qui advint à Perceval le Gallois, après qu’il se fut séparé de ses compagnons à la Croix Vagan.