Le Rythme dans la poésie française/III

Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 12-21).
◄  II
IV  ►

III

Villon fut un des premiers à pressentir la valeur musicale du vers français. On connaît ses strophes sur deux rimes :

Mes jours s’en sont allez errans
Où sont les gracieux gallans
Que je suivoye au temps jadis
Si bien chantans, si bien parlans
Si plaisants en faitz et en dictz ? etc…

La strophe de cinq vers réussit dans ce même temps à Pelletier du Mans :

Alors que la vermeille aurore
Le bord de notre ciel colore,
L’alouette, en ce même point,
De sa gentille voes honore
La faeble lumière qui poinct.

Tant plus ce blanc matin éclère
Plus d’elle la voes se fait claire ;
Et semble bien qu’en s’eforçant
D’un bruit vif elle veulhe plère
Au soleilh qui se vient haussant.

Voici venir l’époque où Du Bellay égrènera au vent les sixains du Vanneur :

A vous troppe légère
Qui d’aile passagère
Par le monde volez
Et d’un sifflant murmure
L’ombrageuse verdure
Doulcement ébranlez.

J’offre ces violettes
Ces lis et ces fleurettes
Et ces roses icy
Ces vermeilleltes roses
Tout freschement écloses
Et ces œillets aussi.

De votre douce halaine
Éventez cette plaine,
Éventez ce séjour,

Cependant que j’ahanne
A mon blé que je vanne
A la chaleur du jour.

Quelle joie, au sortir des fabliaux et des mystères, d’entendre cette fauvette qui nous arrive, comme disait Sainte-Beuve, « toute chantante et ailes déployées » ! Nous ne tarderons pas d’ailleurs à aborder le docte Ronsard, parfois si délicieusement mélancolique :

Quand vous serez bien vieille, au soir, a la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant.
Direz, chantant mes vers en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait durant que j’étais belle ! »

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle.
Déjà, sous le labeur à demy someillant,
Qui, au bruit de Ronsard, ne s’aille réveillant.
Bénissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendray mon repos ;
Vous serez au fouyer une vieille accroupie

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain.
Cueillez dès aujourd’huy les roses de la vie.

Un rythme plus compliqué, c’est l’Avril de Belleau, dont la gracieuse cadence, empruntée à Froissard, avait tenté aussi Ronsard et Du Bellay :

Avril, l’honneur des bois
Et des mois,
Avril, la douce espérance
Des fruits qui, sous le coton
Du bouton.
Nourrissent leur jeune enfance.
Avril, l’honneur des prez verts,
Jaunes, pers.
Qui d’humeur bigarrée
Émaillent de mille fleurs
De couleurs
Leur parure diaprée… etc., etc.

Le rondeau est déjà la spécialité de Marot :

Au bon vieulx temps, un train d’amour régnoit,
Qui sans grand art et dons se démenoit :
Si qu’un bouquet donné d’amour profonde
C’estoit donné toute la terre ronde :
Car seulement au cœur on se prenoit,

Et si, par cas, à s’aimer on venoit
Sçavez-vous bien comme on s’entretenoit ?
Vingt ans, trente ans : cela durait un monde
Au bon vieulx temps.
Or’s est perdu ce qu’amour ordonnoit ;
Rien que pleurs faintz, rien que ruses ou n’oyt ;
Qui vouldra donc qu’à aymer je me fonde,
Il faut premier que l’amour on refonde,
Et qu’on la meine ainsi qu’on la menoit
Au bon vieulx temps.

Puis, c’est Passerat renouvelant encore un vieux mètre oublié :

Viens, ami, viens te promener
Dans ce bocage ;
Entends les oiseaux jargonner
De leur ramage.

Mais escoute comme sur tous
Le rossignol est le plus doux
Sans qu’il se lasse.

Oublions tout deuil, tout ennuy
Pour nous resjouir corne luy ;
Le temps se passe.

La note change avec Bertaut :

Félicité passée
Qui ne peut revenir
Tourment de ma pensée,
Que n’ay-je, en te perdant, perdu le souvenir !

La bonhomie narquoise et le bon sens rustique reprennent leurs droits avec Rapin célébrant le gentilhomme champêtre en strophes de cinq vers, vives, franches, martelées comme bien peu de stances l’ont été jusqu’alors.

Vivez contems, ô gentilshommes.
Avec la paix et la santé,
Estimant vos fruits et vos pommes
Plus que ne fait ses grosses sommes
L’usurier de peur tourmenté… etc.

Pourquoi faut-il qu’à ces fleurs naturelles du sol français de disgracieuses plantes artificielles se soient mêlées ? Le xvie siècle est fécond en bizarreries : sonnets boiteux, acrostiches, mésostiches ; on compose des pièces « qui se peuvent lire et retourner de trente-huit manières différentes ». Les rimes les plus étranges sont recherchées[1]. Pierre Richelet en a recueilli la curieuse nomenclature.

A côté de ces enfantillages, une tentative non moins chimérique se produisait. Un certain Jean Mousset, s’étant mis en tête de scander métriquement les vers français, traduisait ainsi tout Homère. Pareille expérience fut tentée par Jodelle, puis par Pasquier, Baïf et Nicolas Denisot. Le public, habitué à un rythme tout différent, ne put se plier à cette nouvelle cadence, d’ailleurs arbitraire, le nombre des syllabes françaises dont on ne saurait exactement déterminer la quantité restant considérable.

Une autre réforme originale fut celle de Bonaventure Despériers, qui aux vers rimés substitua des vers blancs[2]. Il ne fut non plus ni écouté ni suivi.

Malgré de telles bravades, quelques règles ayant apparence de logique commencent à s’établir. Les poètes comprennent dès lors que la césure est le principal élément rythmique du vers. Ronsard lui assigne sa place à l’hémistiche dans l’alexandrin. On répudie la césure féminine, c’est-à-dire celle qui tombe sur une syllabe muette. Ce fut Jean Lemaire des Belges qui s’avisa de cette proscription. D’autre part, le vieux décasyllabe a fini par lasser. On lâche de le rajeunir en le césurant à l’hémistiche. Cette coupe toutefois disparaît vite ; elle ne renaîtra, je crois, qu’au xixe siècle.

Cependant, Régnier, déjà, protestait contre cette foison d’innovations, et ses vers, malgré la mode violée, n’en étaient pas moins harmonieux. Signalons aussi quelques rares mètres impairs de plus de sept syllabes. Le vers de neuf syllabes réussira à Malherbe accidentellement comme plus tard à Molière. Ronsard s’amuse à tâter de l’hendécasyllabe et du reste s’en excuse aussitôt, prétendant que ces vers « ne sont ni ne furent jamais agréables ».

En somme, on doit convenir que le rythme n’a pas suivi au xvie siècle une marche aussi rapidement ascendante que les autres éléments de notre poésie, la pensée et l’image. C’est plutôt pour la grâce du sentiment, l’imprévu charmant des métaphores que nous goûtons les Ronsard, les Marot, les Régnier. Mais le xviie siècle s’ouvre avec Malherbe. Le rythme va prendre momentanément une importance considérable.

  1. Voy. Revue Bleue du 17 octobre 1891 : Une ancienne École littéraire, par M. Raoul Rosières.
  2. On trouverait d’ailleurs sous le nom de baguenaudes de ce sortes de vers au moyen âge.