Le Roman de Renart/Aventure 5
CINQUIÈME AVENTURE
enart commençoit à se consoler des méchants tours de Chantecler et de Tiecelin quand, sur la branche d’un vieux chêne, il aperçut la Mésange, laquelle avoit déposé sa couvée dans le tronc de l’arbre. Il lui donna le premier salut : « J’arrive bien à propos, commère ; descendez, je vous prie ; j’attends de vous le baiser de paix, et j’ai promis que vous ne le refuseriez pas. — À vous, Renart ? » fait la Mésange. « Bon, si vous n’étiez pas ce que vous êtes, si l’on ne connoissoit vos tours et vos malices. Mais, d’abord, je ne suis pas votre commère ; seulement, vous le dites pour ne pas changer d’habitudes en prononçant un mot de vérité. — Que vous êtes peu charitable ! » répond Renart : « votre fils est bien mon filleul par la grâce du saint baptême, et je n’ai jamais mérité de vous déplaire. Mais si je l’avois fait, je ne choisirois pas un jour comme celui-ci pour recommencer. Écoutez-bien : « sire Noble, notre roi, vient de proclamer la paix générale ; plaise à Dieu qu’elle soit de longue durée ! Tous les barons l’ont jurée, tous ont promis d’oublier les anciens sujets de querelle. Aussi les petites gens sont dans la joie ; le temps est passé des disputes, des procès et des meurtres ; chacun aimera son voisin, et chacun pourra dormir tranquille.
— Savez-vous, damp Renart, » dit la Mésange, « que vous dites là de belles choses ? Je veux bien les croire à demi ; mais cherchez ailleurs qui vous baise, ce n’est pas moi qui donnerai l’exemple.
— En vérité, commère, vous poussez la défiance un peu loin ; je m’en consolerois, si je n’avois juré d’obtenir le baiser de paix de vous comme de tous les autres. Tenez, je fermerai les yeux pendant que vous descendrez m’embrasser. — S’il est ainsi, je le veux bien, » dit la Mésange. « Voyons vos yeux : sont-ils bien fermés ? — Oui. — J’arrive. » Cependant l’oiseau avoit garni sa patte d’un petit flocon de mousse qu’il vint déposer sur les barbes de Renart. À peine celui-ci a-t-il senti l’attouchement qu’il fait un bond pour saisir la Mésange, mais ce n’étoit pas elle, il en fut pour sa honte. « Ah ! Voilà donc votre paix, votre baiser ! Il ne tient pas à vous que le traité ne soit déjà rompu. — Eh ! » dit Renart, « ne voyez-vous pas que je plaisante ? je voulois voir si vous étiez peureuse. Allons ! recommençons ; tenez, me voici les yeux fermés. » La Mésange, que le jeu commençoit à amuser, vole et sautille, mais avec précaution. Renart montrant une seconde fois les dents : « Voyez-vous, » lui dit-elle, « vous n’y réussirez pas ; je me jetterois plutôt dans le feu que dans vos bras. — Mon Dieu ! » dit Renart, « pouvez-vous ainsi trembler au moindre mouvement ! Vous supposez toujours un piége caché : c’etoit bon avant la paix jurée. Allons ! une troisième fois, c’est le vrai compte ; en l’honneur de Sainte Trinité. Je vous le répète ; j’ai promis de vous donner le baiser de paix, je dois le faire, ne seroit-ce que pour mon petit filleul que j’entends chanter sur l’arbre voisin. »
Renart prèche bien sans doute, mais la Mésange fait la sourde oreille et ne quitte plus la branche de chêne. Cependant voici des veneurs et des braconniers, les chiens et les coureurs de damp Abbé, qui s’embatent de leur côté. On entend le son des grailes et des cors, puis tout à coup : le Goupil ! le Goupil ! Renart, à ce cri terrible, oublie la Mésange, serre la queue entre les jambes, pour donner moins de prise à la dent des lévriers. Et la Mésange alors de lui dire : « Renart ! pourquoi donc vous éloigner ? La paix n’est-elle pas jurée ? — Jurée, oui ; » répond Renart, « mais non publiée. Peut-être ces jeunes chiens ne savent-ils pas encore que leurs pères l’ont arrêtée. — Demeurez, de grâce ! je descends pour vous embrasser. — Non ; le temps presse, et je cours à mes affaires. »