Paris Calmann Lévy (p. 279-280).


LXXIII


Aux premiers jours d’octobre, une joyeuse dépêche de mon père nous rappela en toute hâte ; mon frère, qui rentrait en Europe par un paquebot de Panama, venait de débarquer à Southampton ; nous n’avions donc que le temps de nous rendre, si nous voulions être à la maison pour le recevoir.

Et, en effet, le soir du surlendemain, nous arrivâmes tout juste à point, car on l’attendait lui-même quelques heures après par un train de nuit. Rien que le temps de remettre dans sa chambre, à leurs places d’autrefois, les différents petits bibelots qu’il m’avait confiés quatre années auparavant, et il fut l’heure de partir pour la gare à sa rencontre. Moi, cela ne me semblait pas une chose réelle, ce retour, surtout annoncé si brusquement, — et je n’en avais pas dormi depuis deux nuits.

Aussi tombais-je de sommeil à cette gare, malgré mon impatience extrême, et ce fut comme dans un rêve que je le vis reparaître, que je l’embrassai, intimidé de le retrouver si différent de l’image qui m’était restée de lui : noirci, la barbe épaissie, la parole plus brève, et m’examinant avec une expression moitié souriante, moitié anxieuse, comme pour constater ce que les années avaient commencé à faire de moi et démêler ce qu’elles en pourraient tirer plus tard…

En rentrant à la maison, je dormais debout, d’un de ces sommeils d’enfant fatigué par un long voyage contre lesquels il n’y a pas de résistance, et on m’envoya coucher.