Le Roman d’un enfant/72
LXXII
Les fins d’étés surtout étaient délicieuses là-bas, quand les plaines devenaient toutes violettes de crocus, au pied des bois déjà jaunis. Alors commençaient les vendanges, qui duraient bien quinze jours et qui nous enchantaient. Dans des recoins de bois ou de prairies, avoisinant ces vignes des petits Peyral où nous passions alors toutes nos journées, nous faisions des dînettes de bonbons et de fruits, après avoir dressé sur l’herbe les couverts les plus élégants, que nous entourions à l’antique de guirlandes de fleurs et dont les assiettes étaient composées de pampres jaunes ou de pampres rouges. Des vendangeurs venaient là nous apporter des grappes exquises, choisies entre mille, et, la chaleur aidant, nous étions vraiment un peu gris quelquefois, non pas même de vin doux, car nous n’en buvions pas, mais de raisins seulement, comme se grisent, au soleil sur les treilles, les guêpes et les mouches.
Un matin de la fin de septembre, par un temps pluvieux et déjà frais qui sentait mélancoliquement l’automne, j’étais entré dans la cuisine, attiré par un feu de branches qui flambait gaiement dans la haute cheminée ancienne.
Et puis là, désœuvré, contrarié de cette pluie, j’imaginai pour me distraire de faire fondre une assiette d’étain et de la précipiter, toute liquide et brûlante, dans un seau d’eau.
Il en résulta une sorte de bloc tourmenté, qui était d’une belle couleur d’argent clair et qui avait un certain aspect de minerai. Je regardai cela longuement, très songeur : une idée germait dans ma tête, un projet d’amusement nouveau, qui allait peut-être devenir le grand charme de cette fin de vacances…
Le soir même, en conférence tenue sur les marches du grand escalier à rampe forgée, je parlais aux petits Peyral de présomptions qui m’étaient venues, d’après l’aspect du terrain et des plantes, qu’il pourrait bien y avoir des mines d’argent dans le pays. Et je prenais, pour le dire, de ces airs entendus de coureur d’aventures, comme en ont les principaux personnages, dans ces romans d’autrefois qui se passent aux Amériques.
Chercher des mines, cela rentrait bien dans les attributions de ma bande, qui partait si souvent avec des pelles et des pioches à la découverte des fossiles ou des cailloux rares.
Le lendemain donc, à mi-montagne, comme nous arrivions dans un chemin, délicieusement choisi du reste, solitaire, mystérieux, dominé par des bois et très encaissé entre de hautes parois moussues, j’arrêtai ma bande, avec un flair de chef Peau-Rouge : ça devait être là ; j’avais reconnu la présence des gisements précieux, — et, en effet, en fouillant à la place indiquée, nous trouvâmes les premières pépites (l’assiette fondue, que, la veille, j’étais venu enfouir).
Ces mines nous occupèrent sans trêve pendant toute la fin de la saison. Eux, absolument convaincus, émerveillés, et moi, qui pourtant fondais tous les matins des couverts et des assiettes de cuisine pour alimenter nos filons d’argent, moi-même arrivant presque à m’illusionner aussi.
Le lieu isolé, silencieux, exquis, où ces fouilles se passaient, et la mélancolie sereine de l’été finissant, jetaient un charme rare sur notre petit rêve d’aventuriers. Nous tenions, du reste, nos découvertes dans le plus amusant mystère ; il y avait maintenant entre nous comme un secret de tribu. Et, dans un vieux coffre ignoré du grenier de mon oncle, nos richesses, mêlées d’un peu de terre rouge de montagne, s’entassaient comme en une caverne d’Ali-Baba.
Nous nous étions promis de les y laisser dormir pendant tout l’hiver, jusqu’aux vacances prochaines, où nous comptions bien continuer de grossir ce trésor.