Le Roman d’un enfant/71
LXXI
Un jour, l’idée me vint même, par saugrenuité, par bravade, par je ne sais quoi, de faire une chose extrêmement malpropre. Et, après avoir cherché toute une matinée ce que ce pourrait bien être, je trouvai.
On sait les nuées de mouches qu’il y a, les étés, dans le Midi, souillant tout, en vrai fléau. Au milieu de la cuisine de la maison de mon oncle, je connaissais un piège qui leur était tendu, une sorte de gargoulette traîtresse, d’une forme spéciale, au fond de laquelle toutes venaient infailliblement trouver la mort dans de l’eau de savon. Or, ce jour-là, j’avisai au fond de ce vase une horrible masse noirâtre, qui représentait des milliers de mouches, toute la noyade des deux ou trois jours précédents, et je songeai qu’on pourrait en composer un plat, une crêpe par exemple, ou bien une omelette.
Vite, vile, et avec un dégoût qui allait jusqu’à la nausée, je versai dans une assiette la pâte noire, et l’emportai clandestinement chez la vieille madame Jeanne, mon amoureuse, la seule au monde qui fût capable de tout pour moi.
— Une omelette aux mouches ! oh ! mais, comment donc ! Quoi de plus simple ! dit-elle. Tout de suite du feu, une poêle, des œufs, — et la chose immonde, préalablement bien battue, fut mise à cuire dans sa haute cheminée moyen âge, tandis que je regardais, épouvanté et consterné de moi-même.
Puis les trois petits Peyral survinrent, qui me réconfortèrent en s’extasiant de mon idée comme toujours, et, quand le mets fut à point, servi chaud dans un plat, nous allâmes le montrer en triomphe à nos familles, marchant tous les quatre en cortège, par rang de taille, et chantant « L’astre des nuits » à grosse voix rauque, comme pour porter le diable en terre.