Paris Calmann Lévy (p. 271-272).


LXX


Après le dîner de midi, il était d’usage chez mon oncle de se tenir pendant une heure ou deux à l’entrée de la maison, dans le vestibule dallé de pierres et orné d’une grande fontaine guillochée, en cuivre rouge : c’était le lieu le plus frais, au moment de la lourde chaleur du jour. On y maintenait l’obscurité en fermant tout, et deux ou trois petites raies de soleil, où dansaient des mouches, filtraient seulement à travers les joints de la grosse porte Louis XIII. Dans le village silencieux, où personne ne passait, on n’entendait toujours que le même éternel jacassement de poules, toutes les autres bêtes semblant s’être endormies.

Moi, je n’y restais point, dans ce vestibule frais. L’accablant soleil du dehors m’attirait, et à peine d’ailleurs était-on installé là, en cercle, qu’on entendait « Pan ! pan ! » à la porte de la rue : les petits Peyral, qui venaient me chercher, et qui secouaient tous trois le vieux frappoir de fer, chauffé à brûler les doigts.

Alors, chapeaux baissés, nous partions chaque jour pour quelque entreprise nouvelle, avec des marteaux, des bâtons, des papillonnettes. D’abord, les petites rues gothiques pavées de cailloux ; puis les premiers sentiers alentour du village, toujours couverts d’un matelas de balle de blé, où on enfonçait jusqu’aux chevilles et qui entrait dans les souliers ; puis enfin la campagne, les vignes, les chemins qui grimpaient vers les bois ; ou bien encore la rivière, guéable pour nous, avec ses îlots pleins de fleurs.

Comme revanche de mon calfeutrage et de ma vie trop immobile, trop correcte de toute l’année, c’était assez complet ; mais il y manquait toujours la compagnie d’autres garçons de mon âge, les froissements, et puis cela ne durait que deux mois.