Le Remède au surmenage et la transformation des lycées de Paris/II

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Cet honneur était réservé à un homme que j’ai eu l′imprudence d′inviter ici ce soir, ce qui me gêne pour vous dire de lui tout le bien que j′en pense : au moins aurai-je soin de ne pas vous dire son nom… c′est M. Godart, directeur de l′École Monge.

L′École Monge a été fondée en 1869, par un groupe d′anciens élèves de l′École polytechnique : elle occupe aujourd′hui un large emplacement compris entre le boulevard Malesherbes et l′avenue de Villiers : elle appartient donc à ces nouveaux quartiers aérés et somptueux dont les avenues droites et les pierres blanches contrastent si complètement avec les rues tortueuses et les murailles noircies du quartier latin : la différence est encore plus sensible entre les lycées qui s′élèvent sur la rive gauche et l′établissement dont je vous parle.

Au centre s’étend une cour couverte qui mesure 80 mètres de long sur 30 de large ; imaginez le hall de quelque richissime compagnie financière débarrassé de ses comptoirs et de ses commis ; le sol est en asphalte, la toiture vitrée. À la hauteur du premier étage, court une galerie sur laquelle ouvre un litanie de portes et de fenêtres ; aux deux extrémités, des portiques de gymnastique surchargés d’agrès. Quand on est là, on comprend que cette École ne ressemble pas aux autres, qu’elle est un champ d’expériences scolaires, qu’on y a horreur de la routine et que les nouveautés y séduisent. Dans le passé, les innovations ont porté sur l’enseignement ; avec sa sœur cadette, l’École alsacienne, l’École Monge a ouvert une voie où l’Université n’a pas tardé à s’engager ; l’avenir s’annonce plus brillant encore ; c’est sur le terrain de l’éducation que l’on va désormais travailler.

Le rapport présenté à la dernière Assemblée générale des actionnaires par M. Godart laissait soupçonner de grandes réformes ; la question du surmenage y était traitée de main de maître ; on n’y trouvait pas ces récriminations inutiles contre lesquelles je m’élevais tout à l’heure, mais un aperçu très net de la situation et des remèdes possibles ; malgré cela, je n’aurais jamais cru que l’exécution pût être si prompte ; ce qu’il a fallu d’intelligence et de volonté pour mener à bien cette œuvre-là, on peut se l’imaginer quand on songe que l’École renferme 850 élèves et qu’il s’agissait de leur faire faire un pas dans l’inconnu et non seulement à eux, mais à leurs parents, qu’il fallait prévoir les objections et les résoudre d’avance, contenir l’enthousiasme des uns et en même temps réchauffer l’ardeur des autres… et surtout ne pas faire une faute, ne pas occasionner un désordre, ne pas causer le moindre ralentissement des études. — Je voudrais pouvoir vous redire en détail les péripéties de cette transformation ; mais je dois me hâter de vous expliquer en quoi elle consiste pour en arriver ensuite à ce qui fait le fond de ma conférence, à savoir le moyen de procurer aux lycées les bienfaits d’un régime analogue.

Le dimanche est à l’École Monge un jour de congé et le jeudi un jour de promenade ; comme on tenait à ne pas supprimer la promenade, c’est sur les autres jours de la semaine qu’ont été réparties les récréations nouvelles ; le mardi et le vendredi pour les plus grands ; les lundi, mercredi et samedi pour les plus petits ; ceux qui se préparent aux Écoles du gouvernement, restent momentanément soumis à un régime différent, car il s’agit avant tout de ne pas compromettre leurs prochains examens. Si donc vous passez, vers deux heures, un des jours ci-dessus mentionnés aux environs de l’École Monge, vous ne pouvez manquer de rencontrer un immense char à bancs attelé de quatre chevaux et suivi de beaucoup d’omnibus remplis d’enfants ; tout cela se dirige vers le bois de Boulogne ; le char à bancs déverse devant les manèges du Jardin d’acclimatation, tous les jeunes cavaliers ; les omnibus gagnent les uns le Pré Catelan, les autres le lac ; au Pré Catelan, un professeur de vélocipèdes se tient à la disposition de ceux qui veulent cultiver son art ; ailleurs, il y a des parties de toutes espèces : sur le lac on canote dans les lourds bateaux forme douairière, que les gardiens louent au public : mais bientôt les jolies yoles à bancs mobiles que l’École a commandées viendront les remplacer. — Enfin sur une des grandes pelouses du bois on joue au cricket, s’il vous plaît. — Vous me direz que tout cela doit coûter cher aux familles ; c’est exorbitant, frais de transport, entrée au Jardin d’Acclimatation et location au Pré Catelan : 10 centimes par jour et par élève ; soit 3 francs par mois. — Les leçons d’équitation sont de 1 franc et les promenades à cheval dans le bois, sous la surveillance d’un écuyer, de 2 francs l’heure. — J’ajoute qu’aucune pression n’est exercée sur les parents et qu’on assure à l’intérieur de l’École le travail des élèves qui ne doivent pas prendre part aux promenades ; mais ceux-là sont, je dois le dire, bien peu nombreux, et ils le seront de moins en moins.