Le Relèvement de l’Accouchée


Le Relèvement de l’Accouchée



LE RELEVEMENT
DE L’ACCOUCHÉE1.

Puisque, par l’ordre le mieux temperé de la nature, chacun est obligé de suivre les traces et les vestiges de son naturel, on ne doit s’estonner pour le jourd’huy si je ne sçay quel crocquant de ce siècle a voulu quitter le plus specieux de son exercice pour s’avilir dans une intemperance aussi legère que la poudre, et autant inconstante que les vents et les fumées ; toutesfois ses années et sa qualité devant faire rougir toute insolence dans un silence de discretion, c’est ce qui fait à cognoistre aux ames plus grossières que toutes choses sont sujettes à faire joug à l’inconstance, et qu’il n’y a rien de si stable et de si permanent qui ne reçoive des divertissemens très importans à la police des bonnes mœurs.

Excusons-le, il est sur l’aage, il est chargé de beaucoup d’enfans, et sur tout d’une grande fille qui ne peut trouver un bon party faute d’escus ; et puis il est nouvellement relevé de maladie, qui fait que ses esprits sont alienez, ou du moins fort engagez dans la diversité des choses, ne considerant pas qu’en se gaussant de la comedie l’on rit de luy à gueule bée, de ce que la volupté s’exerce fort frequemment en son logis par le concert ordinaire d’une musique qu’il semble vouloir excuser, toutesfois en plusieurs et diverses compagnies ; et neantmoins, comme j’ay apris d’un escholier nouvellement revenu de l’université de Poictiers, la comedie et la musique pari passu ambulant, estans d’une mesme cathegorie, d’une mesme trempe et d’une mesme composition : car, si la comedie imprime des dissolutions dans les esprits, la musique n’en faict pas moins, et si l’une resveille les sens, l’autre les jette à la renverse.

Passons outre. On a cy devant parlé au Caquet de l’accouchée pour et contre la France en certain endroit, et contre plusieurs et diverses personnes de qualité, et a-on voulu blasmer ceste benigne et courtoise nation de ce qu’elle toleroit des theatres publics deffendus du temps et du règne de sainct Louis ; mais à cecy il n’y a que redire pour le jourd’hui : omnia tempus habent, ce disent les vielles ; et puis il n’y a que ce bon diable de Tabarin et Desiderio de Combes qui exercent ce metier et ce passe-temps, l’un donnant des remèdes pour l’exterieur, et l’autre pour ce qui est de plus exquis, de plus cher en ce monde, ainsi que nous tesmoignent la diversité des cures par eux faictes2. À bon chat bon rat, il n’appartient qu’au savetier à parler de sa serpette, à l’yvrogne de sa bouteille, au petit mercier de son filet et de ses allumettes, aux femmes de cacqueter à double rattelée, et aux oysons de chier par tout (non omnia possumus omnes)3 ; il est vray selon le dire de la garde de l’accouchée, qui a le fessier plus gros que n’eut jamais la haguenée de Gargantua, car il faut s’estonner comme un homme de merite et de qualité s’est amusé à la ruelle d’un lict pour entendre et escrire tant de sornettes4, qui ne sont pourtant bien racontées, puis qu’il a accommodé le stile de son discours avec des mensonges nonpareils.

— Sur quoy la servante de chambre du logis, esmerillonnée au possible, autant desireuse de sçavoir et de gouster de tout comme peut estre sa maistresse, remonstra à la dite garde d’accouchée5 qu’il valloit mieux mentir un peu pour contenter le monde que de laisser son esprit enroüillé, et qu’estant de la confrairie de ceux qui vont à pied pour le present, qu’il n’estoit pas mal seant de faire telles sortes d’escritures, puis qu’on ne faisoit plus de consultations.

— Il est vray que c’est une pauvre chose que l’oisiveté6 ; mais aussi quel profit de discourir de plusieurs dames que ne luy sçavent point de gré, et qui sont maintenant ses capitales ennemies, et lesquelles, au besoin, l’ayant rencontré sur pareilles entrefaictes, lui feroient vuider le pot à pisser pour penitence ?

Sur ces entrefaictes arriva la cuisinière, laquelle, pour mettre la garde7 et la fille de chambre d’accord, leur dict : N’est-il pas vray ce qui a esté escrit ces jours passez ? la mère de madame ne se plaignoit-elle pas de tant d’enfans que sa fille a depuis sept ans en çà qu’elle est mariée ? Par sainct Jean ! cela est vray, et si je sçay bien pourquoy elle faisoit tant de plainctes, car la galande, encore qu’elle soit assez incommodée, l’appetit de paroistre ne la peut quitter, et, toute surannée qu’elle puisse estre, elle ne laisse pas de dire par fois qu’elle est grandement obligée à Tabarin. Aux bons entendeurs salut8 : la fontaine de Jouvance est tarie, c’est pourquoy cet homme est necessaire ; et si ce vieil registre d’amour a faict tant de plainctes devant l’assemblée qui estoit dernierement au logis, il ne faut pas que l’on s’en estonne, car elle voudroit que toute sa lignée fust de la coste de sainct Louis, pour paroistre selon son dessein.

Ce discours ne fut pas si tost finy qu’une petite muguette de la rue Sainct-Martin entra dans le logis pour sçavoir de la disposition de madame l’accouchée, et pour avoir l’honneur que de s’offrir à son service pour le jour de son relevement, où elle ne fust pas si tost entrée, qu’un certain clerc qui va tantost au pair avec son maistre, à cause de quelque gentillesse dont il est pourveu, luy demanda : Hé bien ! Madame, que dit-on du Caquet de l’accouchée que l’on a faict imprimer ces jours passez ? N’en avez-vous point encor eu la lecture ?

— Vrayement, respondit-elle, c’est un discours assez jolly, et duquel j’ai receu un infiny contentement, principalement sur ce qui est recité d’une damoiselle qui jettoit des soupirs gros comme des boulets de canon, de ce qu’il y a tant de peine à se garentir des accidens qui arrivent aux financiers, faute d’estre alliez à quelque gentil-homme de remarque, car son mary a fait perdre plus de pas à un mien amy pour le payer de la pension que le roy luy donne qu’il n’y a presque de jours en l’an.

— Comment ! luy respondit ce mignon de clerc, vous la cognoissez ?

— Ouy, asseurement, je la cognois, et à mon grand dommage ! Mais n’en parlons plus. À Dieu, Monsieur ; je m’en vais sçavoir la disposition de Madame.

Ainsi elle monta en la chambre, et laissa choir de sa pochette, sans y songer, un certain papier enveloppé où9 la suitte du Caquet estoit escritte, qui commençoit par ces mots : « Je m’estonne de ce que l’on a introduit en l’assemblée de l’accouchée de ce temps tant de personnes et de tant de sorte d’estoffes, avec si peu de règle et avec tant de confusion, d’autant qu’au siècle où nous sommes la ruse possède tellement les esprits d’un chacun, qu’il n’est pas à croire qu’une damoiselle allant voir quelque accouchée se fasse assister de sa suivante si d’avanture elle ne l’envoyé en une antichambre ou dans une salle, selon que le logis est composé, afin que par ainsi les reigles de toutes libertez soient observées, ausquels lieux je vous laisse à penser ce qu’il s’y faict aucunesfois, tesmoin la fille d’un sergent à verge qui abandonna y a quelque temps son père, vieil qu’il estoit, pour suivre partout Madamoiselle, à cause qu’elle luy faisoit porter l’attour.

« Il y a aussi grand sujet de blasmer le secretaire du Caquet, puisqu’il a introduit avec mensonge et avec imposture une simple servante en ceste assemblée si notable : car, parmy des dames de qualité, aucunes desquelles ont amassé plus de rentes et de revenus en dix années que n’avoient autresfois vaillant les plus grandes dames de la cour, quelle apparence ! C’est faire tort à l’ordre du siècle et mettre tout dans l’ancien cahos. Non, non ! si telles crocquantes ont envie de causer de leur butin, ce n’est point en compagnie, ainsi que dit monsieur le secretaire ; c’est avec mon compère le savatier, ou avec quelque ravaudeur qui leur est affidé, et qui le plus souvent leur resserre leur butin : aussi à ces drosles-là on leur va bien tailler de la besogne, car, au lieu de faire les galans, sans contredit il faudra qu’ils prennent lettres de maistrise malgré eux ; transeat, le danger n’est pas grand : quand au corps de ces canailles il y aura jurande et maistrise, ils songeront davantage à leur profit, et ne serviront plus d’espions comme ils font aux coins des ruës ; et quand à mesdames les servantes, elles n’auront plus la peine de se confesser du revenu de l’ance du panier, qui leur sera une consolation à leur esprit et une esperance de mieux faire que celles du passé, lesquelles, après avoir bien ferré la mule et s’estre pourveuës à leurs fantaisies, ont esté contrainctes enfin d’achepter une escuelle de bois : tesmoin une certaine galande qui se voit maintenant entre midy et une heure à la porte de monsieur le president ou aux environs, attendant la caristade. »

En suitte de ce discours il y avoit une reprimande contre l’autheur du Caquet de l’accouchée, en consideration de ce qu’il avoit recité d’une marchande de soye de ceste ville, qui disoit avoir vendu pour douze cens livres d’estoffes pour la fiancée d’un thresorier de Picardie. Aussi quelle apparence de se gausser ou dire que l’on s’est gaussé d’un homme de ceste qualité pour avoir fait une petite despence, car encores qu’il n’ait que douze cens livres de gages, n’y a-il pas le tour du baston, qui vaut mieux que tout, et qui peut entretenir le carosse et les laquais, outre l’ordinaire du logis ? Laissons là les thresoriers, c’est un crime d’en parler en temps de guerre : le trouble du temps et leur bel esprit les licencie ; bref, il n’est pas temps d’en faire la recherche : nous sommes en un temps d’estat auquel les armes sont de requeste, et le conseil des anciens guerriers plus que celuy des magistrats, si ce n’est dans les villes bien policées et où la rebellion est en mespris, esquelles il n’y a difficulté quelconque que les femmes des notaires n’aillent au traquenar de l’ambition et de la braverie, puisque la continuation de la guerre a fait engager toute la noblesse de France jusques au moule du pourpoint pour trouver de l’argent à rente. Pour moy, j’en cognois une assez familierement, qui, sur ce point, aymeroit mieux cent fois mourir si quelqu’une de ses compagnes la surpassoit ; aussi a-elle le maintien assez venerable, le discours assez affilé, et pour estre un peu noire de visage, elle n’en est pas plus laide sous le linge.

J’estimerois que ce papier estoit une espèce de responce à ce pretendu Cacquet de l’accouchée, car il y avoit, outre ce que dessus, l’apologie de la femme d’un advocat du Chastellet, que l’on disoit avoir mis son nez en ce petit discours de braverie, en laquelle estoient escrits ces mots : « Si les empereurs, par leurs constitutions et par leurs nouvelles, ont entendu declarer nobles les advocats, quoy qu’ils fussent de basse extraction, pourquoy voudroit-on aujourd’hui corriger leurs actions après s’estre advancez par leur vertu ? » Aux nobles tout ce qui est de noble doit estre permis et toleré, et rien ne doit borner leurs actions que leurs propres volontez, qui font d’ordinaire leur refuge dans la bienseance, et non dans les opinions d’un ingrat et d’un insolent vulgaire, lequel tasche de s’eslever de jour en jour, au prejudice d’autruy, quoy qu’il n’aye que des aisles de cire le plus souvent. Donc, si les advocats portent en ce temps des soustanes de Damas au lieu de sayes, il n’est point si mal à propos qu’à un simple procureur qui n’aura que trois ou quatre presentations le long de l’année, qui ne sera honteux d’en faire de mesme ; et puis, le règne de la confusion estant en lustre, ce n’est point à ceste corde-là qu’il faut toucher.

Après la guerre viendra la paix10 ; le roy estant de retour dans Paris, il donnera, Dieu aydant, si bon ordre aux desordres qui se sont coulez parmy le peuple, qu’à l’imitation de ses ancestres, la police qu’il introduira fera que chacun sera cogneu pour ce qu’il est. Alors le petit courteau de boutique ne portera plus le castor à l’envie de la noblesse et des hommes de qualité ; il sera tout honteux de porter le petit bonnet à l’antique, et madame la bourgeoise sa femme sera toute gogueluë d’estre habillée de bon gros drap au lieu de vestemens de soye (ainsi qu’une trop grande licence a toleré depuis quelque temps). Ce sera lors qu’on ne tiendra plus de caquet des maris comme l’on faict ; on ne parlera plus de leurs aydes, ny des offres de courtoisie qui se font par fois pour soulager le bon homme. Bref, tout sera remis en si bon ordre et en si bonne cadence, que les lieux destinez pour l’impudicité (quoy qu’ils soyent abolis depuis un longtemps) seront neantmoins retenus et conservez pour celles qui font banqueroute à leur honneur.

À grands seigneurs peu de paroles ; j’ay appris par le Caquet que l’assistance de l’accouchée estoit composée de plusieurs femmes et de diverses qualitez, lesquelles disoient chacune leur rattelée, et ainsi que leur conception ou leur envie les provoquoit : ce que je suis d’advis de croire si ladicte accouchée estoit quelque femme à l’occasion ; toutefois, estant certain qu’il n’y a reigle si certaine qui ne reçoive son exception, ceste accouchée estant quelque peu relevée en qualité, il est à presupposer qu’il n’y avoit point tant de sortes de femmes comme l’on dit : car pour le jourd’huy, si une femme a vaillant cinq ou six mille livres [tant de ce qu’elle a peu apporter en mariage que du travail de son pauvre diable de mary]11, il faudra tapisser la maison par tout, paroistre en vaisselle d’argent ; et, quand elle ne seroit que la femme d’un petit commissaire du Chastelet, il faut que le satin marche à toute reste, sans aucun soucy des deptes [quand mesme la fruictière du quartier viendroit tous les jours crier et brailler à sa porte pour estre payée de ce qu’elle a fourny pour son logis]12.

Voilà comme l’on se porte pour le jourd’huy dans les vains appas de l’ambition, ne se voyant presque si petit compagnon ny de si basse estoffe qui ne s’en face accroire en quatre parties, aymant mieux engager sa femme, son honneur et sa conscience, qu’il ne vienne à bout de ses pretentions et de ses procez, ainsi qu’a fait un certain gantier depuis peu de jours en ça13, afin de faire le galland en son quartier, au prejudice d’un disciple de sainct Yves ; et puis l’on parle du sieur d’Ambray, qui fit jadis un don à l’Hostel-Dieu de trois pains de succre pour soulager sa conscience. Vrayement, qui voudroit parler de tout le monde et de la sorte qu’il se gouverne, ce seroit un beau libelle ! Les honnestes hommes, ce sont ceux qui vont bien couverts, et quoy que l’on ait un grand esprit et accomply des plus rares perfections, ce n’est plus rien ; il en faut avoir à quelque prix que ce soit, faut chasser au loing la necessité ; aussi bien, quand on a plumé la poulle et le poussin, les Pères de la Société absoudent tout, ce qui m’occasionne de dire ce que disoit autresfois un poète :

Impia sub dulci melle venena latent.

Ouy, sous les herbes plus fueilluës et plus espoisses, les serpens et coleuvres font leur retraicte, et soubs les honnestes apparences des vestemens du siècle, les plus pernicieuses conspirations prennent leur estre et leur naissance : tellement qu’il est mal à propos de se plaindre des eschevins14 de nostre siècle, qui par fas et par nefas emplissent leur bource à la sortie de leur charge, si l’on ne dit qu’il y a un grand abus aussi à la distribution des deniers provenans de la succession de la reyne Marguerite : car, si Massey15 se gausse de sa part du procez par luy intenté au Parlement, il y en a d’autres qui font bien leurs affaires ; les uns en entretiennent le carosse, et les autres en font bonne chère.

Hé bien ! l’on a grandement rompu la teste de madame l’accouchée, par la diversité des discours qui se sont tenus au chevet de son lict ; quiconque s’est trouvé en ceste assemblée n’a pas eu le filet à la langue ; bref, le silence a esté si peu observé en toutes les apresdinées, que la plus part de Paris y a eu son lardon, attendant que le reste fust preparé pour le Relevement ; sur quoy ceste grosse vesse de garde (de laquelle a esté parlé cy-dessus)16, mettant les mains sur ses roignons, dit assez effrontement : Par ma foy, Mesdames, vous en avez bien dit entre vous ; mais je vous veux apprendre un bon tour qu’a fait autres fois un17 procureur du Chastellet de qui la fortune estoit assez petite. Il faut que vous sçachiés que, se voyant ainsi reduit au petit pied, il trouva une très bonne invention de parvenir en peu de temps : c’est qu’il estoit procureur d’une partie qui contestoit au presidial un grand fonds et de grande importance, à quoy elle se trouvoit fort empeschée, à cause des chicaneries où l’on desiroit de l’embroüiller. La partie adverse, sçachant la necessité de ce procureur, courtoisement s’adressa à luy, et luy representa que s’il y avoit moyen de passer une sentence en sa faveur, qu’il y avoit dix mille livres à gaigner : ce qui ne fut pas si tost proposé qu’il fust effectué ; et ainsi le procureur commença sa fortune, qui du depuis s’est bien accreuë, car, au retour de cette affaire, sa femme luy fit si bonne chère de la resjouissance qu’elle avoit, que l’appetit luy en vint souvent de faire telles expeditions. Aussi maintenant il est si riche qu’il ne se soucie plus guères de sa practique.

Sur ce discours, la femme d’un advocat dit tout haut qu’il ne falloit point trouver estrange si un procureur s’estoit laissé corrompre pour bastir sa petite fortune, d’autant que les gens de bien n’amassent rien, et qu’elle en voyoit un tesmoignage si certain en la personne de son mary, que pour avoir refusé de prevariquer en sa charge, et avoir esconduit un solliciteur qui l’avoit pressé de ce faire, que du depuis, au lieu de travailler comme il faisoit, il a esté contraint, pour vivre depuis un an, d’emprunter de l’argent à rente.

— Hé quoy ! (ce dit une damoiselle de la ruë Saint-Martin), s’est-il tant engagé comme vous dites ?

— Ouy, respondit une marchande du Palais qui voulut y mettre son nez : je vous asseure, Madamoiselle, qu’il m’en doit de beau et de bon ; mais je ne daignerois le presser au payement, car, quelque malheur qui luy soit arrivé, il ne laisse pas de faire bon mesnage pour le peu de bien qu’il a18.

Sur cecy, la femme d’un chirurgien commença de dire : Je ne sçay, pour moy, de quel malheur je suis talonnée. J’avois marié ma fille à un jeune conseiller, et luy avois fait une honneste advance, pensant qu’il deust faire des merveilles avec elle ; et neantmoins je n’ay peu recevoir aucun contentement de ce mariage, combien que je leur aye donné à disner à tous deux l’espace de deux ans, ce qui m’a donné sujet de la retirer avec moy, avec si peu de ce que j’ay peu r’attrapper de son mariage.

— Madame, vous avez tort de vous plaindre de vostre gendre (dit la vefve d’un autre chirurgien, qui ne manque point d’appetit au faict d’amour) ; le moyen que Madame vostre fille puisse estre bien satisfaicte de luy, maintenant qu’il prend le frein aux dents, taschant de se rendre capable en sa charge ! Vous sçavez qu’il a fait toutes ses estudes en trois ans, tant en grammaire, rhetorique, philosophie, que droict civil : c’est pourquoy il falloit19 davantage se contenir dans la discretion et le laisser estudier encore quatre ou cinq années, et puis il eust faict possible comme les grands guerriers, lesquels, après leurs grandes courses et leurs grands travaux, sont bien aises de cherir la dame et d’en dire deux mots à leur loisir.

— Vous avez aucunement raison, repliqua ceste bonne femme ; mais les arrerages d’amour sont bien difficiles à payer, et principalement par les hommes d’estude20 [ : car il n’y a rien qui les rende plus soucieux et plus saturniens que cest exercice. Ce n’est pas comme les cavaliers, qui ont tousjours l’oreille à lairte21]. Voilà pourquoy j’ay esté contraincte de solliciter et procurer le divorce, pour lequel nous plaidons maintenant au Parlement.

— Voilà pourtant qui n’est guère honneste, dit la femme d’un petit procureur du Chastelet qui s’estoit foulé la verge le jour de ses espousailles ; vrayement, si j’eusse voulu faire de mesme pendant deux années, ou peu s’en faut, que j’ay jeusné, ce seroient de belles merveilles ! Je vous diray, ma mère ne m’en a pas donné le conseil ; aussi mon mary m’en affectionne fort, et, d’autre part, on n’en peut caqueter comme on faict des autres.

— Quoy ! Madame, dit une marchande de la ruë Sainct-Denis, estes-vous si sage et si retenue que de laisser passer votre jeunesse de la sorte ? Pour moy, je vous asseure qu’il faut que je passe mon temps et que je paroisse, quand mon mary devroit faire encor une fois cession. Hé ! que ne doivent point faire les femmes22 [de quelle liberté ne se doivent-elles point servir ? qu’est-ce qui doit servir de frein à leurs actions ?], puis que les filles s’emancipent bien quand on attend trop à les marier ? J’en cognois une de nos quartiers, laquelle je vous asseure estre bien advisée selon le temps.

Cela esmeut madame la relevée de sçavoir qui estoit ceste fille et ce qu’elle avoit faict pour son contentement, et, pour le sçavoir, dit à madame la marchande : Madame, obligez-moy tant que je cognoisse la fille que vous dites n’avoir faict difficulté de se pourvoir.

À quoy respondit ladite marchande que c’estoit la fille d’un pourpointier, qui avoit si bien practiqué sa mère de l’habiller à l’advantage que, peu de temps après, faisant comme le paon, qui se mire d’ordinaire à sa queuë, elle s’en seroit orgueillie si fort qu’elle auroit desdaigné d’estre pourveuë à un garçon du mestier de son père pour aller quérir ses estrennes chez le fils d’un president.

— Il ne se faut point estonner, repliqua la relevée, si ceste fille a laissé aller le chat au fromage de la sorte, car elle a desjà de l’aage, et ne manque point de courage pour sa qualité ; et puis, voyant qu’une sienne voisine avoit trouvé un bon party qui luy fait porter le satin et le damas, ne croyez-vous pas que cela ne luy ait faict du mal au cœur ?

— Veritablement, respondit la femme d’un confiturier qui s’est efforcée d’envoyer son mary en paradis par eschelle, si je pouvois trouver d’aussi bonnes fortunes, Dieu sçait si je ferois l’amour à si bon marché comme je fais ! car, estant soustenuë par des enfans de bonne maison, il n’y auroit personne qui m’osast regarder de travers, ny dire pis que mon nom.

Sur ce discours, la garde de laquelle a esté parlé cy-dessus, estant ennuyée de tant de sornettes, joint que l’appétit la tenoit autant au gosier comme il luy tient par fois au cul, ne fut honteuse de dire tout haut : Ne vous desplaise, Mesdames, si je vous interromps ; il vaut mieux gouster à bon escient, puisque la collation est preste, que de parler tant d’amour comme vous faictes. Par ma foy, il vaut mieux n’en guères dire et en faire davantage. Ça ça, beuvons23 ! [le temps le permet, et puis nos maris n’y sont pas. Ce qui donna tant de hardiesse à la compagnie, qu’]aussi tost les dames commencèrent d’escrimer du gobelet24 et d’articuler des machoires à bon escient, observant chascune d’elles un silence nompareil25 ; après laquelle collation on print congé de Madame la relevée fort honnestement26.



1. Dans le Recueil général, cette partie est intitulée : la Huictiesme journée et dernière visitation au relevement de l’Accouchée.

2. Var. Tout le commencement de cet alinéa manque dans le Recueil général.

3. Var. Cette citation latine manque au Recueil général.

4. Var. Cette fin d’alinéa manque au Recueil général.

5. Var. Les mots : à ladite garde d’accouchée sont remplacés dans le Recueil général par : en ma faveur.

6. Var. Le Rec. gén. ajoute : respond la femme de l’advocat.

7. Var. Rec. gén. : la femme de l’advocat.

8. Var. La fin de l’alinéa manque au Recueil général.

9. Var. Au lieu de la fin de cet alinéa et de tout l’alinéa suivant, on lit dans le Recueil général : estoit escrit que la fille d’un sergent à verge avoit abandonné y a quelque temps son père, vieil qu’il estoit, pour suivre par tout Madamoiselle, à cause qu’elle luy faisoit porter l’atour, et d’autres petits secrets qui estoient inserez dans le petit papier.

10. Var. Ces mots manquent au Recueil général.

11. Var. Le passage entre crochets manque au Recueil général.

12. Var. Le passage entre crochets manque au Recueil général.

13. Var. Le commencement de cet alinéa est remplacé, dans le Recueil général, par : Il y en a beaucoup qui s’en font à croire, tesmoins ce qu’a fait un certain gantier qui, depuis quelque temps en çà…

14. Depuis long-temps on se plaignoit des échevins et on les chansonnoit. Tabourot, dans ses Bigarrures, au chapitre des Allusions, plaisantant sur leur nom, dit : « qu’échevin est ainsi nommé quasi léchevin, pour ce qu’il doit tâter le vin pour commencement de bonne police, afin qu’on n’en vende de mauvais. »

15. Il faut lire ici, je crois, Moysset, et non Massey : c’est le partisan dont nous avons parlé plus haut dans une note. Luynes et ses frères l’avoient lancé, comme Chalange, dans les grandes affaires. Dans un pamphlet du temps, le Contadin provençal, il est question de « la grande familiarité que ces trois frères ont avec ce preud’homme Moysset, ne provenant que des etroictes intelligences qu’ils ont ensemble pour voler les deniers du royaume. » Recueil des pièces les plus curieuses qui ont été faictes pendant le règne du connestable M. de Luynes, Paris, 1632, in-8, p. 98.

16. Var. Rec. gén. : garde l’accouchée voulut, auparavant prendre congé, dire quelque chose en…

17. Var. Rec. gén. : desire, s’il vous plaist, vous en dire un en passant : c’est qu’un…

18. Var. Rec. gén. : j’ai patience qu’il ait la fortune meilleure.

19. Var. Ce qui termine l’alinéa est remplace, au Recueil général, par : le laisser estudier encore quatre ou cinq années, pour estre plus parfait en toute sorte de sciences.

20. Var. Le passage entre crochets manque au Rec. gén.

21. On écrivoit ainsi, d’après l’étymol. ital., fare all’ erta. V. Montaigne, I, 19.

22. Var. Le passage entre crochets manque au Rec. gén.

23. Var. Le passage entre crochets est remplacé, au Recueil général, par : les unes aux autres auparavant que partir et de prendre congé de madame la relevée. Ce qui occasionna la compagnie de faire la collation.

24. Var. Rec. gén. : verre.

25. Var. Le mot nompareil est remplacé, au Recueil général, par : ne voulant plus traicter des discours ny d’Accouchée ni de Relevée.

26. Var. Le Recueil général ajoute : se promettant les unes aux autres, d’un vif courage, de se voir à leurs autres accouchemens.