Le Rêve de Mysès/08
CHAPITRE VIII
Cependant, Mysès de nouveau, songeait à la morte qu’il avait outragée. C’était une torture lente, une lancinante douleur qu’il ne pouvait vaincre.
Et il fermait les yeux pour ne plus voir Mahdoura qui le suivait comme son ombre, obstinée, et féline.
Malgré tout, il la sentait là, vibrante de passion, brûlée d’insatiable convoitise. Elle était séduisante d’amour et de jeunesse, et il voyait, à travers ses paupières closes, la gorge dressée de la fillette, ses épaules, ses flancs, ses jambes harmonieuses et fines. Une fumée voluptueuse s’exhalait d’elle, exaspérant sa chair.
— Va-t-en ! criait-il, j’ai besoin de me recueillir, de prier dans l’ombre pour l’oubli de nos péchés !…
Mais elle se collait à lui.
— Tu n’auras pas, mon cher amant, la force
de me chasser après nos joies ardentes ?… Il
n’y a pas une place de mon corps que je ne
t’aie livrée, ne t’en souviens-tu pas ?… Mon
front, mes yeux, ma bouche, mes seins, tout
est à toi.
Au déclin du jour, elle l’attirait dans le jardin, sous l’haleine voluptueuse des roses, puisait de l’eau dans le creux de sa main et portait à sa bouche cette coupe vivante.
— J’ai été coupable ! Je me repens !…
— Pourquoi te repentir ?… Nous n’avons fait de tort à personne. Notre jeunesse, notre corps, notre amour nous appartiennent ; nous avons le droit d’en disposer à notre fantaisie.
— Je suis le serviteur des dieux. Pour toi, j’ai trahi mes serments !…
— Bah ! tous les prêtres d’Osiris ont aimé des créatures humaines… Et je ne parle pas des orgies qui profanent, trois fois l’an, le temple d’Hâpi. Les « Pallacides » se livrent aux serviteurs des dieux. Le sacrifice de leur virginité se fait publiquement devant l’autel d’« Isis », la « Nature » primordiale, la « Matrice » universelle !…
— Je n’ai jamais participé à ces cérémonies de luxure.
— Peut-être as-tu eu tort, car tu serais plus indulgent pour toi-même.
— Je me suis consacré à l’embaumement des morts !… Et, depuis de longs jours, j’ai cessé de me rendre dans la crypte du temple d’Osiris. Les « Taricheutes » s’étonnent de mon absence. Les « Paraschites » et les « Clochytes », mal dirigés, ont abîmé les corps de plusieurs dignitaires de la cour. Il faut absolument que je répare leur maladresse.
— Soit, fit Mahdoura, je t’attendrai.
Mais tel n’était point le désir de Mysès.
— Va, dit-il, me cueillir les plantes fatidiques que tu connais si bien. Grâce à elles, je pourrai redonner la jeunesse à ceux qui vont paraître devant le divin tribunal.
— Quoi ! tu veux ?…
— Oui, Mahdoura, je t’aimerai davantage, si tu consens à me servir, comme par le passé, alors que je n’avais pas encore goûté le miel de tes lèvres.
La jeune fille hésitait.
— J’ai peur de te perdre.
— Tes craintes sont chimériques… Où pourrais-je aller ?…
— Je l’ignore… j’ai peur, voilà tout.
— Tu me retrouveras toujours, en ce logis, au retour de tes courses lointaines, et tu me rendras, par ta soumission, infiniment plus tendre et plus reconnaissant.
— Ah ! je voudrais te croire !…
Il montra le sarcophage d’Ahmosis.
— La femme qui dort là, est plus belle que durant sa vie. C’est grâce aux plantes précieuses que tu m’as apportées que j’ai pu accomplir ce miracle d’embaumement.
— Montre-moi donc ton chef-d’œuvre ?…
Mais Mysès prenait un air désolé.
— Non, je dois garder le secret de la mort.
À l’heure où les trois déesses : Anta, reine de la guerre ; Khem, mère du monde, et Seb, souveraine de l’onde, se réincarnaient pour cueillir dans les roseaux du Nil l’herbe de vie éternelle, les amants sortaient de leur demeure.
— Je ne le trahirai pas… qu’un seul moment je puisse regarder le visage de celle que tu me caches si obstinément !…
— Non, Mahdoura, n’insiste pas.
— Je t’en supplie !… Vraiment, je suis curieuse de voir cette splendeur surnaturelle que tu ne cesses de me vanter !… Lorsque mes yeux auront constaté ce que tu m’affirmes, je m’associerai de tout cœur à tes admirables travaux. J’irai visiter les étangs lointains, dont seule je connais les mystérieuses profondeurs. Je t’apporterai des plantes, des insectes et des reptiles inconnus.
Le prêtre n’osait accorder à sa maîtresse la faveur qu’elle demandait.
Mahdoura, certainement, reconnaîtrait la reine Ahmosis, et pourrait le trahir dans un moment d’oubli ou de rancune. Dans ce cas, ce serait pour lui la mort ou la réclusion éternelle.
— Je ne puis ouvrir ce sarcophage, murmurait-il, tristement.
— Alors, je n’irai point te chercher ce que tu souhaites !…
Et les jours passaient dans cette obstination, amassant dans le cœur de l’amant des pensées de méfiance et de haine pour l’insoumise.