Le Rêve de Mysès/07
CHAPITRE VII
À l’heure où les trois déesses : Anta, reine de la guerre ; Khem, mère du monde, et Seb, souveraine de l’onde, se réincarnaient pour cueillir, dans les roseaux du Nil, l’herbe de vie éternelle, les amants sortaient de leur demeure.
Mysès et Mahdoura, maintenant, étaient parfaitement unis.
Le prêtre, ayant goûté les lèvres de la belle fille, restait dans l’ivresse de leur morsure et oubliait jusqu’au souvenir de la reine Ahmosis.
Le cher fantôme, le « double » de la morte, ne l’accompagnait plus dans toutes ses missions. Il ne voyait plus son mélancolique sourire, il n’entendait plus sa voix harmonieuse soupirer dans les brises nocturnes sa cantilène passionnée.
L’homme était retourné aux joies de la terre, cruellement inconscient de sa mission divine, car sa chair était faible et son esprit volage.
Mahdoura et Mysès cheminaient, tendrement enlacés, dans la Ville éternelle. Des allées, bordées de sphinx, terminées par deux obélisques, flanquant un pylône, à l’entrée des temples, s’ouvraient parfois devant eux. Et ils s’arrêtaient près des monuments gigantesques de granit, prononçant d’amoureuses paroles, dont l’écho grossi rebondissait au loin, car le prêtre, seul, pouvait pénétrer dans les profondeurs écartées des sanctuaires. Le « Sam », grand pontife, et les souverains venaient uniquement et à certaines dates, y offrir des prières et des vases précieux.
Le Pharaon, alors, se prosternait dans la somptuosité de sa gloire et s’entretenait avec les défunts royaux.
Mais toutes les tombes de Thèbes ne ressemblaient pas aux maisons splendides des souverains.
Parfois, la sépulture consistait uniquement en une petite chapelle recouvrant un puits.
La momie était simplement placée au centre d’un édifice de forme pyramidale, dans lequel on avait ménagé une cavité murée.
Dans les sépultures les plus simples, on se bornait à creuser un trou de quelques mètres de profondeur au fond duquel reposait le cercueil que l’on recouvrait avec de la terre et des pierres.
Mahdoura, ayant accompagné le prêtre dans ses visites sacrées, l’attendait au sortir de l’enceinte redoutable. Elle s’asseyait sur un tombeau en construction, près des colosses de granit, adossés contre les murs, des obélisques et des pylônes que les derniers rayons du soleil teintaient de rose.
Les immenses sphinx, aux paupières vides, l’impressionnaient vaguement.
De grands oiseaux aquatiques passaient au-dessus d’elle dans l’azur éblouissant, paraissant nager dans une onde endormie, une mer morte d’une infinie douceur.
D’autres oiseaux lointains mêlaient leurs plaintes, leurs chansons mélancoliques, et un grand désir d’amour faisait défaillir la jeune fille qui appelait le bien-aimé.
Son sacerdoce accompli, Mysès venait la rejoindre à l’ombre des pierres géantes, sous la protection des génies mystérieux de la mort.
— Je suis à toi ! soupirait-elle, mon cher seigneur, mon maître !… Cache-toi derrière cette roche, car je vois passer, au loin, les prêtres d’Osiris. Et il s’abattait à ses côtés, épuisant la violence de sa torturante ivresse, savourant le frémissement des tendresses éperdues, s’enchaînant à elle par le lien ininterrompu des baisers, se fondant en sa chair pour un bonheur toujours nouveau.
L’heure passait ; et, peu à peu, sortant de son plaisir charnel, il sentait une présence occulte flotter dans l’air ; une forme s’efforçait de transparaître, de se traîner dans l’espace devenu indéfinissable, et les regards dilatés, le cœur battant, il demeurait immobile, anxieusement.
— À quoi penses-tu ? demandait Mahdoura.
Et lui, n’osant avouer son trouble soudain, inventait un prétexte.
— Nous sommes coupables, disait-il, de nous aimer dans l’enceinte des morts… Ne pourraient-ils se venger de notre audace ?…
— Bah !… Ils ont été des amants, comme nous. Pourquoi se fâcheraient-ils d’une joie qu’ils partagent peut-être dans leur sombre hypogée ?… Ne penses-tu point que les défunts sont plus généreux et compatissants que les hommes que nous frôlons sur terre ?…
Et, de fait, les colosses de pierre, les sphinx accroupis semblaient les protéger contre les attaques des vivants.
C’étaient, certes, des êtres de bonté et de pardon, pleins de force, de gloire et de silence.
Les jeunes gens attendaient, de leur souveraine justice, l’appui dont ils avaient besoin pour continuer à se chérir librement devant les humains.