Le Rêve de Mysès/06
CHAPITRE VI
Mahdoura, chaque jour, revenait chez le prêtre, qui n’avait plus le courage de la fuir. Elle était auprès de lui comme un animal familier et soumis, acceptant ses ordres, supportant ses caprices sans jamais manifester aucune impatience.
Mysès se sentait marcher dans la fatalité, dans la fuite désolée des illusions et de l’espérance. Toutes ses vaines aspirations vers un amour impossible, tous ses désirs, jamais réalisés, de plus en plus, accablaient son esprit.
La crainte de la démence progressait en son âme, et, cependant, avec perversité, il recherchait l’ivresse morbide, et, plus avant, se plongeait dans son mal.
Les artères de ses tempes battaient plus fiévreusement, lorsqu’il revenait du temple ou de la crypte des prêtres embaumeurs ; il lui semblait qu’un danger le menaçait dans cette paix, profonde de la mystérieuse demeure.
Fermant les yeux aux rais de soleil, pleins de poussières dansantes qui filtraient entre les draperies, il s’ensevelissait dans une mélancolique méditation, sans chercher à réagir contre l’idée fixe qui despotiquement le possédait.
Mahdoura, alors, se glissait auprès de lui, appuyait ses lèvres sur son visage, implorait une parole affectueuse. Mais, il ne répondait pas à ces marques de tendresse qui lui étaient pénibles.
Cependant, un sang brûlant bouillonnait dans ses veines ; sa chair appelait la caresse, et l’amante obstinée, sentant confusément cet émoi, ne désespérait pas d’arriver à l’accomplissement de ses désirs.
Au déclin du jour, elle l’attirait dans le jardin, sous l’haleine voluptueuse des roses, puisait de l’eau dans le creux de sa main, et portait à sa bouche cette coupe vivante.
Il buvait, délicieusement ému, puis levait son visage vers la jeune fille.
— Pauvre petite ! disait-il, apitoyé par cette douceur attentive et persistante.
Alors, elle se collait à lui, mendiant une caresse, cherchant un consentement dans son regard.
Pendant longtemps elle revint, ainsi, sans se lasser, gagnant chaque jour un peu d’influence sur le cœur du jeune homme.
— Je t’aime ! répétait-elle. Quand tu voudras,
Une forme svelte et gracieuse jaillit des touffes de mimosas et de tamaris, se dressa devant le prêtre surpris.
je t’appartiendrai. Nous serons des amants passionnés
et nous vivrons heureux dans cette demeure.
Faiblement, il la repoussait encore, se sentant lâche contre cet amour qui le sollicitait de toute la puissance de sa farouche énergie.
— Ah ! que nos baisers seraient doux ! disait-elle ; pour toi, j’inventerais des jeux nouveaux, et jamais tu ne te lasserais de mes étreintes ! Les femmes qui aiment comme moi ne sont pas semblables aux autres !
Un soir, par une chaleur accablante, il ne repoussa pas la jeune fille. Les branches alourdies des mimosas et des tamaris, alignées contre les murs, envoyaient de véhéments aromes et Mysès fermait les yeux, n’ayant plus la force de résister à la charnelle tentation. Ils se trouvaient tout près l’un de l’autre, la main dans la main, voluptueusement attirés par une puissance sexuelle invincible.
Le fluide qui se dégageait du corps de Mahdoura pénétrait le jeune homme, depuis si longtemps sevré de caresses.
Plusieurs fois les cheveux de ténèbres avaient frôlé son visage, les seins durs avaient cherché sa poitrine, dans une offre irrésistible.
Les doigts du prêtre frissonnaient dans les doigts qui, fortement, les tenaient captifs, sa gorge se contractait dans un désir impétueux.
Elle l’attira contre elle, lascive et féline, devinant qu’une minute pareille ne se retrouverait peut-être plus, qu’il fallait, dans un coup d’audace, vaincre les dernières hésitations du prêtre.
Passionnément, avec un grand soupir, une sorte de roucoulement pâmé, elle posa ses lèvres sur les siennes, en l’enveloppant de ses bras.
Il ne résista plus, aveuglé, transporté, succombant sous l’affolement subit de ses sens.
Elle avait des baisers profonds qui enchaînaient les énergies, emportaient les volontés dans un vertige éperdu.
Au corps du prêtre, elle enchaînait ses membres souples et puissants, plus follement se collait à lui.
Il sentait ses genoux, ses jambes, ses flancs, ses seins qui brûlaient sa chair. Son souffle, qu’il buvait, le parcourait comme un jet de flammes.
Elle s’aperçut qu’elle allait vaincre. Elle joua, alors, la soumission, s’abandonna, se laissa emporter irrésistiblement vers la couche, près du sarcophage de la reine Ahmosis.
Et la momie royale tressaillit, sans doute,
d’indignation dans sa prison dorée ; le double
— Parce que, fit-elle, en souriant, je sais que tu finiras par céder !
Et elle se blottit devant le seuil avec une amoureuse audace.