Le Puits de la vérité/Vivre sa vie

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 15-16).



VIVRE SA VIE !



Des gens qui ne connaissent peut-être pas bien le sens des mots, ont essayé de bafouer cette expression que, paraît-il, un théâtre assez maladroit a popularisée : Vivre sa vie… Pour moi, je n’en connais guère de plus belle, de plus vraie et de plus juste. Ce sera notre premier plaisir et, comme notre plaisir, ce sera notre devoir. Il est bien évident qu’il faut vivre pour soi, avant de vivre pour les autres. Le christianisme, lui-même, qui vante et propage beaucoup le sacrifice, a reconnu cette formule en ordonnant à ses fidèles de penser avant toute chose à leur propre salut. Nous, qui mettons volontiers notre salut sur cette terre injuste, pensons à l’accomplir intégralement et pour cela vivons notre vie, celle qui nous a été donnée, telle qu’elle nous a été donnée. Il faut d’abord vivre, et avec toute la joie compatible avec notre état, joie que viendra souvent colorer la douleur, mais sans nous déconcerter plus d’un moment. Ce que l’on peut voir d’égoïsme dans cette belle expression est de l’égoïsme nécessaire et bienfaisant même socialement. Gœthe disait, quand on lui parlait de ceux qui prétendent faire le bonheur de l’humanité : « Que chacun commence par se rendre soi-même heureux et le bonheur universel ne tardera pas à régner ». Vivre sa vie est une excellente formule. Faudrait-il donc vivre la vie de son voisin, par exemple ? Il s’y opposerait, car que pourrions-nous lui offrir, en échange de sa vie, sinon la nôtre, dont il n’a que faire ? Si nous sommes nés pour vivre, nous sommes nés pour vivre notre vie. C’est d’elle que nous avons la charge et il nous en faut le bénéfice. Puis, a-t-on réfléchi que vivre sa vie, c’est en vivre souvent des centaines d’autres par surcroît ? Vivre avec force, c’est répandre autour de soi la bonne odeur de l’énergie.


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