Le Puits de la vérité/Les Infusoires

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 11-12).



LES INFUSOIRES



On sait que ce sont de tout petits animaux qu’on découvre dans l’eau avec un microscope. Ils passent le temps à tourbillonner et à chasser. Les uns, pour ne pas perdre de temps, ont la bouche toujours ouverte et on avait cru jusqu’ici qu’ils avalaient indistinctement toutes sortes de nourritures. Or il paraît qu’ils savent parfaitement choisir ce qui leur convient et qu’entre de la craie et du jaune d’œuf, ils n’hésitent pas et choisissent le jaune d’œuf. Il y a donc je ne sais quel rudiment d’intelligence dans ces infiniment petits et un savant russe, M. Métalnikow, a entrepris bravement d’étudier leur psychologie. L’âme des infusoires n’est pas si simple qu’on le croirait et si on les trompe, on ne les trompe pas deux fois. On leur fait très bien avaler du verre pilé, de l’arsenic ou du mercure, mais ces choses les dégoûtent profondément et quand on veut recommencer, ils passent leur chemin. Même ils refusent énergiquement et cela, du premier coup, d’ingurgiter le moindre grain d’amidon trempé dans la teinture d’iode. Ils ont un faible pour le carmin, mais refusent d’en absorber plusieurs fois de suite. Sagement, ils craignent l’indigestion. Pour varier leur menu, ils acceptent un peu de sépia. Mais ce qui leur fait le plus de plaisir, c’est l’alcool. Ils en prennent tant qu’on veut. En somme, les infusoires se conduisent assez bien comme les humains. Ils aiment ce qui flatte leur goût, se jettent voracement sur tout ce qui est nouveau et s’en détournent aussi vite. Qui croirait que dans une goutte d’eau il peut y avoir des petits êtres doués d’une certaine faculté de choix, non pas des animalcules qui vivent au hasard, mais qui, au contraire, savent fort bien ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas. Je sais bien que ce n’est qu’un mécanisme, mais chez nous, qu’est-ce que c’est donc ?


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