Le Procès des Thugs (Pont-Jest)/III/11

Lecomte (p. 484-493).


XI

LA COLÈRE DU PEUPLE.



Dès qu’il fut sorti de Spitalfields, James retrouva facilement son chemin et il se dirigea en courant vers White-Chapel.

Au coin de la rue du Nord, il croisa un groupe d’ouvriers ivres qui descendaient vers les Docks, et il lui sembla entendre, à l’extrémité de la grande artère qu’il suivait, des bruits confus de voix et des vociférations.

On eût dit, du reste, que l’alarme était déjà donnée, car de nombreuses escouades d’agents de police passaient au pas accéléré. Malgré l’heure avancée, on voyait çà et là aux fenêtres des femmes effarées et tremblantes.

En arrivant à l’angle du square de Beaumont, il ne put douter un instant de la gravité de la situation et de la tournure qu’allaient prendre les événements.

La fabrique de William Berney était attaquée par une foule furieuse qui venait d’en briser les grilles et se précipitait dans la longue avenue à l’extrémité de laquelle s’élevaient les ateliers.

Il ne lui restait plus qu’une porte à franchir pour se ruer dans l’intérieur de l’établissement, mais cette porte, faite d’épais madriers de chêne, semblait devoir résister longtemps aux assaillants.

À la lueur des torches que portaient quelques-uns des ouvriers, James reconnut Tom au premier rang des mutins.

Tête nue, les manches relevées, le colosse était armé d’un énorme essieu qu’il avait trouvé contre le mur et que deux hommes auraient eu peine à soulever. Il s’en servait comme d’un bélier.

À chaque coup qu’il frappait, c’était un gémissement des gonds et des ferrures. Mille hourrahs y répondaient, mais la porte ne cédait pas.

— Par la maison ! par la maison ! camarades ! entendit soudain James, qui s’efforçait vainement de se glisser au milieu des rangs pressés.

Il se retourna.

C’était Cromfort qui, accompagné de Welly, venait de pousser ce cri.

Rien n’était plus facile, en effet, que de pénétrer dans la manufacture par le pavillon qu’habitait M. Berney avec sa famille. Les deux constructions communiquaient par les bureaux dont l’entrée était dans la cour principale.

James se sentit épouvanté.

Il savait M. Berney en voyage ; son fils bien certainement était absent de la maison cette nuit-là comme toutes les autres, et miss Emma devait être seule avec quelques domestiques qui ne pourraient se défendre.

Dieu seul savait jusqu’où l’ivresse et la colère allaient pousser ces hommes.

En levant les yeux, il aperçut des ombres courant derrière les fenêtres éclairées, et il lui sembla reconnaître celle de la jeune fille.

Oubliant alors sa haine pour ne songer qu’à son amour, il renversa tout autour de lui. Ceux qui, obéissant au cri de Cromfort, s’étaient dirigés vers la maison d’habitation, trouvèrent le jeune ouvrier debout contre la porte et prêt à leur barrer le passage.

— Hurrah ! James, hurrah ! dirent les révoltés en reconnaissant leur camarade et en pensant qu’il n’était là que pour leur faciliter l’entrée dans le pavillon.

Aussi furent-ils stupéfaits lorsqu’ils le virent arrêter au passage ceux qui se présentaient.

— Impossible d’entrer, mes amis, leur dit-il, sans vouloir paraître s’opposer ouvertement à leur dessein, la porte est fermée.

— Enfonçons-la, dirent quelques-uns ; elle est moins solide que l’autre.

— Inutiles, garçons, en voici la clef.

Cromfort, en disant ces mots, s’était élancé auprès de James et s’efforçait de glisser dans la serrure une clef qu’il tenait à la main.

— Malheureux ! que veux-tu faire ? dit le frère de Mary en tentant d’arrêter Cromfort ; il n’y a dans cette maison qu’une femme ! Où as-tu pris cette clef ?

— Ah çà ! tu es donc un traître, toi ! se contenta de répondre l’ouvrier. À moi, vous autres !

Un groupe de mutins s’empressa de répondre à cet appel et, au même moment, James se sentit saisi par les jambes et jeté en bas des marches.

Il vit, en tombant, la porte s’ouvrir, et, du côté de l’usine, une gerbe de flammes s’élever vers le ciel.

Fatigués de sa résistance, ceux des hommes qui attaquaient la grande porte y avaient mis le feu.

C’était par deux issues, maintenant, que les ouvriers, furieux et irrités encore par les obstacles, prenaient possession de l’usine pour la mettre au pillage.

Brisé, meurtri par tous ceux qui lui avaient passé sur le corps, James se releva et bondit jusqu’au premier étage de la maison.

Il entendait à droite, du côté des bureaux, les envahisseurs qui en brisaient les portes.

Le feu venait de gagner les magasins de coton ; grâce au vent violent qui soufflait, dans quelques minutes peut-être l’usine entière allait être la proie des flammes.

Une porte était à sa gauche, c’était celle des appartements de M. Berney.

Il y frappa à coups redoublés.

Des cris de terreurs seuls lui répondirent.

— C’est moi, moi, James ! ouvrez ! cria-t-il alors de toutes ses forces en s’arc-boutant contre les panneaux. Ouvrez, miss, ou vous êtes perdue !

La porte cédant enfin sous son poids, il se précipita dans l’antichambre.

La fille de M. Berney, à demi-vêtue, s’était réfugiée dans le salon avec une de ses femmes.

Elle était pâle, tremblante et pouvait à peine se soutenir.

— Venez vite, miss, lui dit-il, en s’approchant d’elle.

La jeune fille poussa un cri d’espoir en le reconnaissant.

— Mais pourquoi ce bruit, cette foule ? Que nous veulent ces hommes ? demanda-t-elle.

— Vous le saurez trop tôt, miss. Fuyez, vous dis-je, nous n’avons pas un instant à perdre. Lorsqu’ils auront brisé les machines et les métiers, Dieu sait contre qui se tournera leur fureur aveugle et folle. C’est la colère du peuple.

— Non, ce n’est pas possible ; vous vous trompez.

— Je vous trompe ? Eh bien ! regardez, miss.

Il avait entraîné la jeune fille vers la fenêtre, d’où elle put voir les flammes qui gagnaient déjà les principaux bâtiments de l’usine.

Dans la cour, les révoltés brisaient les métiers qu’ils avaient enlevés des ateliers et ils éventraient les balles de coton.

C’était une horrible scène de pillage.

Miss Emma se rejeta en arrière avec un cri d’effroi.

— Fuyons, fuyons ! dit-elle en prenant la main de James et en s’enveloppant dans un manteau que sa femme de chambre venait de lui jeter sur les épaules.

Et, le conduisant elle-même, ils arrivèrent en haut de l’escalier.

Des cris se faisaient entendre au rez-de-chaussée.

Une douzaine d’hommes ivres et le visage noirci par la fumée se bousculaient dans le vestibule et cherchaient à enfoncer les portes de la salle à manger.

— Impossible par là, dit avec épouvante James qui s’était penché sur la rampe.

— Venez alors, reprit Emma. En passant par l’appartement de mon père et par la caisse, nous gagnerons la sortie qui donne sur le square.

Ils rentrèrent rapidement dans l’appartement de la jeune fille, et, après en avoir poussé la porte, ils prirent à travers le premier étage de la maison.

Miss Emma courait, folle, éperdue, renversant tout devant elle.

Le frère de Mary s’efforçait vainement de lui rendre un peu de calme.

Ils arrivèrent ainsi dans le bureau particulier de M. Berney.

À leur étonnement, la porte par laquelle il communiquait avec la caisse était ouverte et la pièce était éclairée.

James s’avança le premier, se doutant bien qu’il se passait là quelque chose d’étrange, et en en franchissant le seuil, il jeta un cri de colère.

Il venait de reconnaître Welly et Cromfort, qui, à l’aide d’une pince, cherchaient à faire sauter la porte du coffre-fort.

— Misérables ! dit-il, en s’élançant vers eux ; c’est donc pour voler à votre aise que vous avez poussé à la révolte les ouvriers de l’usine ?

— Eh bien ! qu’est-ce que c’est ? répondit Cromfort qui s’était mis sur la défensive, ne sachant tout d’abord à qui il avait affaire, mais qui avait promptement reconnu l’ouvrier ; monsieur James n’est pas content ?

— Je dis que vous êtes des voleurs et que je saurai bien m’opposer à votre action infâme.

Welly qui, à l’arrivée de James, s’était abrité derrière son complice, se découvrit tout à coup en étendant la main et en riant aux éclats.

Il venait d’apercevoir miss Emma et il la montrait à Cromfort avec un sourire ironique.

La jeune fille, à l’idée d’une rixe entre son sauveur et ces hommes, avait saisi celui-ci par le bras et elle cherchait à l’entraîner.

Quant à Cromfort, il avait levé sa barre de fer qui, dans ses mains, pouvait être une arme terrible, et tout en tenant James à distance, il lui disait brutalement :

— Chacun son goût, camarade ; tu aimes mieux les jolies filles, à ton aise ! Nous préférons les guinées. Fais ton affaire, crois-moi, et laisse-nous faire la nôtre.

— Malheureux ! s’écria James indigné et ne pouvant plus longtemps rester maître de lui, à cette insulte jetée à celle qu’il aimait plus encore qu’à lui-même.

Et se débarrassant de miss Emma, il se rua sur Cromfort, dont il esquiva adroitement le premier coup.

Ils roulèrent ensemble sur le parquet.

La jeune fille, épouvantée, était tombée sur un siège, et Welly se penchait pour ramasser la pince que Cromfort avait laissée échapper dans sa chute, lorsque soudain la porte par laquelle miss Emma et James devaient fuir vola en éclats, et une vingtaine d’hommes envahirent le bureau.

C’était un groupe de soldats et de policemen. M. Berney lui-même, qui, depuis quelques instants, était revenu de Liverpool, les conduisait, et ils étaient commandés par un jeune constable volontaire.

Derrière ce dernier, ne le quittant pas plus que son ombre et paraissant étouffer dans son uniforme, venait un gros homme essoufflé dont la tournure n’avait rien de guerrier. Bien certainement, ainsi que son chef, ce n’était qu’un auxiliaire de bonne volonté. Cependant il paraissait acharné contre les révoltés.

En voyant arriver ce secours inespéré, miss Emma s’élança à la rencontre de son père.

Quant à Cromfort et Welly, ils poussèrent un cri de rage et tentèrent un suprême effort pour s’échapper ; mais avant qu’ils eussent pu faire un mouvement, ils étaient saisis et garrottés, ainsi que James, qui ne s’était même pas défendu.

— Eh bien ! tu dois être satisfait, monsieur l’amoureux, dit avec cynisme et à haute voix Welly, après quelques minutes de silence, pendant qu’un policeman lui liait les mains ; nous n’aurons pas les billets de banque, mais tu n’auras pas non plus la demoiselle.

Le jeune ouvrier se contenta de hausser les épaules avec mépris.

Il n’avait pas vu que M. Berney, en entendant ces paroles, venait d’imposer brutalement le silence à sa fille, avec laquelle il avait échangé rapidement quelques mots.

Miss Emma avait baissé la tête en pâlissant et en étouffant un cri d’horreur.

Si James avait pu comprendre ce qui s’était dit entre eux, son cœur aurait bondi d’indignation.

En voyant arrêter son sauveur, miss Emma avait voulu expliquer sa conduite ; mais le manufacturier, dont l’esprit était aigri par le malheur qui le frappait, et qui, du reste, ne pouvait plus douter de l’amour des deux jeunes gens l’un pour l’autre, s’était contenté de répondre à sa fille, après l’apostrophe honteuse de Welly :

Il confia donc la pauvre idiote à la femme de chambre de la comtesse.

— Cet homme est leur complice ou votre amant. Choisissez !

Et sans souci des plaintes et des supplications de miss Emma, il lui avait ordonné de rentrer chez elle, pendant qu’ils se dirigeait avec les soldats et les policemen vers l’usine, dont la force armée gardait les issues depuis quelques instants déjà.

Lorsque William Berney arriva dans la cour, ceux des ouvriers qui n’avaient pu s’échapper étaient tenus en respect par les soldats qui les couchaient en joue, et les pompiers, après avoir fait la part du feu, cherchaient à préserver le bâtiment de la machine à vapeur.

La moitié de l’usine avait été la proie des flammes. Les torrents d’eau que lançaient les pompes faisaient jaillir, des débris incendiés, des nuages de fumée qui voilaient le ciel.

À l’arrivée de M. Berney, ce fut de la part des révoltés des cris de colère et de mort et une tentative désespérée pour échapper à leurs gardiens.

Sur leur refus de se rendre, un feu de peloton se fit entendre et vingt hommes tombèrent.

Ce devait être la fin de la lutte.

Une demi-heure plus tard, le manufacturier voyait passer devant lui, le visage crispé, les regards chargés de haine, enchaînés deux à deux, ces ouvriers pour lesquels il avait été impitoyable et dont un moment le colère venait de lui enlever plusieurs millions.

Malgré son flegme et son énergie, des larmes brûlantes roulaient dans ses yeux.

Le jeune constable, qui était venu si à propos au secours de M. Berney, se tenait auprès de lui, toujours escorté de son gros compagnon, et il semblait examiner avec le plus grand soin le visage de chacun des prisonniers.

On eût dit qu’il cherchait à reconnaître quelqu’un.

— Les misérables ! lui dit M. Berney, ils viennent de détruire en un instant un établissement que j’avais mis vingt années à organiser. Et on nous demande de la pitié pour ces hommes ! Je voudrais que tous vos philanthropes et vos utopistes aient assisté à cette scène de folie et de pillage. Ah ! je connais les meneurs, et j’espère bien qu’ils payeront leur crime.

— Non, vous ne les connaissez pas tous, répondit le jeune homme.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il y a, cachés derrière tous ces malheureux, des chefs ignorés ; mais que moi je découvrirai, je vous le promet. J’ai le pressentiment qu’un de ces beaux soirs, je me trouverai en présence de gens de ma connaissance.

Le jeune homme ne se doutait guère qu’au moment où il s’exprimait ainsi, il était comme son gros compagnon, l’objet de l’examen attentif de deux matelots, qui, mêlés aux innombrables curieux que le bruit de la lutte avait attirés, ne le quittaient pas du regard.

— C’est bien lui, disait l’un des marins, mon correspondant était exactement renseigné. Vous voyez ces deux hommes, docteur. Après le colonel Maury, ce sont mes deux plus dangereux ennemis. Eux seuls peuvent me reconnaître ; c’est vous dire qu’ils doivent disparaître à tout prix. Ah ! capitaine Wesley, ah ! master Stilson, vous avez fait trois mille lieues pour me poursuivre. Patience, votre tour viendra !

Villaréal, en effet, car l’un de ces matelots était l’Hindou, ne se trompait pas.

Il avait bien à quelques pas de lui le jeune officier de Madras et le gai guichetier de Golconde ; mais ce dernier n’était plus que l’ombre de lui-même.

Son teint avait blêmi, ses larges joues s’étaient affaissées.

George Wesley, qui était arrivé à Londres avec le pressentiment que Nadir s’y était réfugié, n’en avait plus douté lorsqu’il avait appris au ministère des colonies que le prince Moura-Sing n’avait pas paru en Angleterre.

Plus tard, dans les nombreux attentats dont les rues de la ville avaient été le théâtre, il avait voulu reconnaître la main de l’Hindou, et il s’était engagé parmi les constable volontaires, dans l’espoir que le hasard le mettrait un jour en présence de l’homme qui, après avoir été auprès de miss Ada son rival heureux, s’était encore joué de lui.

Il avait alors entraîné master Stilson, dont l’abstinence avait fait un lion déchaîné, car le malheureux avait tenu son serment : depuis près d’un an il n’avait pas bu un verre de gin.

On le voit, le capitaine George Wesley avait raison en disant au manufacturier qu’il y avait derrière les révoltes des chefs qu’il espérait bien découvrir.

Seulement, il ne pensait pas qu’il fût aussi près d’eux ; surtout il ne songeait guère à cette rencontre qu’il devait faire quelques instants plus tard et que nous avons racontée dans le chapitre précédent.

— Dieu vous entende ! lui répondit M. Berney : mais celui que je voudrais voir en ce moment, c’est mon fils ; car, selon moi, c’est une sottise qu’il a faite qui est la cause de cette nuit de désastre.

— Votre fils ?

— Lui-même ! Vous devriez me rendre un service.

— Tout à vos ordres.

— Eh bien ! allez me le chercher, car il n’est pas rentré aujourd’hui.

— Où le retrouverai-je ?

— Parbleu, chez sa maîtresse, sans doute ! chez mademoiselle Saphir, entre ses deux dignes amis, Charles et Gérard Maury. Vous savez où elle demeure ?

— Non.

— Dove’s street, dans Piccadilly.

— J’y cours à l’instant.

— Ramenez-le, de gré ou de force, je vous prie ; il faut que je lui parle, peut-être que ce malheur sera une leçon dont il profitera.

— Dans une heure, je serai de retour. Quant à vous, monsieur Berney, du courage.

Ces mots prononcés, le jeune constable s’éloigna de l’usine pour remplir la mission pénible dont il venait de se charger, et le manufacturier remonta dans ses bureaux afin d’y réparer autant que possible le désordre causé par les scènes d’invasion dont ils avaient été le théâtre.

Pendant ce temps-là, on relevait les morts dans la cour de l’usine et on écrouait dans la prison de Clerkenwell ceux des révoltés qui étaient tombés entre les mains des policemen.

Tous les prisonniers avaient d’abord été enfermés dans une salle commune, et James, en n’apercevant pas Tom, craignit un instant qu’il ne fût parmi les morts, mais plusieurs ouvriers lui affirmèrent qu’il n’en était rien.

On avait vu le colosse, toujours armé de sa redoutable masse de fer, se frayer un passage à travers les rangs des soldats et disparaître, avec un grand nombre de mutins, par une des portes latérales de l’usine qui n’était pas gardée.

Rassuré sur ce point si important pour lui, car il ne doutait pas que Tom s’empresserait de se rendre auprès de sa mère et de Mary, James put alors réfléchir à sa situation.

Il sentait bien qu’elle était grave à cause de la haine de M. Berney, et il le comprit encore davantage lorsque, le lendemain matin, le directeur de Clerkenwell, assisté d’un inspecteur de police, vint faire l’appel des prisonniers et ordonna que lui, James, ainsi que Cromfort et Welly, fût mis au secret.

Lorsque le malheureux se vit seul, dans la cellule obscure où on l’avait conduit, tout ce qui s’était passé la nuit précédente lui revint à la mémoire et le désespoir s’empara de son âme, car il se demanda si M. Berney, dans sa colère aveugle, n’allait pas le confondre, non pas avec les révoltés, ce qui l’inquiétait peu, mais avec les misérables pour qui la destruction de l’usine n’avait été qu’une occasion de vol et de pillage.

Ces tristes pensées le ramenèrent tout naturellement à miss Emma, et il se prit à espérer en elle.

Il ignorait que M. Berney, malgré les pleurs et les prières de sa fille ; venait d’approuver et de signer le rapport de police sur les événements du square de Beaumont, et que ce rapport contenait cette phrase :

« En ce qui concerne les ouvriers James, Welly et Cromfort, ils ont été surpris et arrêtés dans le bureau particulier de M. Berney, au moment où ils tentaient de forcer la caisse pour s’emparer des valeurs qu’elle renfermait. »

Quant à mistress Davis, inquiète de l’absence prolongée de son fils, elle s’était décidée, dans la matinée, à aller aux informations.

Après avoir appris l’incendie de l’usine de M. Berney et l’arrestation de James, elle retourna à White-Chapel en proie au plus violent désespoir.

Là, dans cette petite maison que le bonheur seul avait visité pendant si longtemps, lorsqu’ayant tout dit à sa fille, elle vit celle-ci se jeter à ses genoux en s’écriant : « Pardon, mère, pardon, c’est moi qui ai perdu James ! » la pauvre femme, qui jusque-là n’avait eu que des pressentiments comprit tout enfin et pensa devenir folle de douleur.